François Molins, aujourd'hui procureur général près la Cour de cassation, se souvient de la période trouble qui a suivi les attentats de 2015 et 2016 en France en citant le "Contrat Social" de J.J.Rousseau : "Tout Etat libre où les grandes crises n'ont pas été prévues est à chaque orage en danger de périr." / © service presse Ecole de Guerre
Origines de la justice anti-terroriste française
La création d'une justice anti-terroriste remonte en France à la guerre d'Algérie. Au début des années 60, la Cour de sûreté de l'État, une juridiction composée de militaires et de magistrats chargée de juger les menées subversives commises contre l’État français, est mise en place. Fonctionnelle un temps, elle s'inscrit dans le contexte polémique de la présence coloniale française en Algérie et sera contestée dans les décennies suivantes. Pour répondre à l'une de ses promesses de campagne électorale, Mitterrand supprime la Cour de sûreté de l'État après son élection en 1981.
Toutefois, la série d'attentats qui frappe le pays en 1985 et 1986, sur fond de terrorisme international téléguidé par l’Iran, la Libye et la Syrie impose un tournant dans l'organisation du système judiciaire. Jusqu'alors, l’ensemble des cours et juridictions prenant en charge les affaires terroristes étaient compétentes chacune sur leur territoire, sans cohérence globale. En 1986, la France choisit une justice anti-terroriste qui fera cohabiter principes de droit commun et principes des droits de l'homme avec pour piliers :
Si diverses menaces terroristes planent sur la France au cours des décennies 80 et 90, notamment par l'action de mouvements régionaux (basque, kurde, corse), politiques (extrême-gauche), ou internationaux, l'activité des magistrats du Parquet de Paris s'est rapidement concentrée en quasi-totalité sur le terrorisme djihadiste. Mais, quelle définition notre justice donne-t-elle exactement à l'action terroriste ?
Concrètement, constitue des actes terroristes un certain nombre d’infractions portant gravement atteinte à l’ordre public par la terreur. Elles sont commises par des cellules d'individus qualifiées d' "associations de malfaiteurs", dès lors que leur volonté de préparer des attentats se matérialise par des éléments concrets : matériel, faux documents, fournitures, hébergements et caches. On distingue ainsi 3 niveaux d'association de malfaiteurs :
Toutefois, la série d'attentats qui frappe le pays en 1985 et 1986, sur fond de terrorisme international téléguidé par l’Iran, la Libye et la Syrie impose un tournant dans l'organisation du système judiciaire. Jusqu'alors, l’ensemble des cours et juridictions prenant en charge les affaires terroristes étaient compétentes chacune sur leur territoire, sans cohérence globale. En 1986, la France choisit une justice anti-terroriste qui fera cohabiter principes de droit commun et principes des droits de l'homme avec pour piliers :
- la centralisation
- la spécialisation
Si diverses menaces terroristes planent sur la France au cours des décennies 80 et 90, notamment par l'action de mouvements régionaux (basque, kurde, corse), politiques (extrême-gauche), ou internationaux, l'activité des magistrats du Parquet de Paris s'est rapidement concentrée en quasi-totalité sur le terrorisme djihadiste. Mais, quelle définition notre justice donne-t-elle exactement à l'action terroriste ?
Concrètement, constitue des actes terroristes un certain nombre d’infractions portant gravement atteinte à l’ordre public par la terreur. Elles sont commises par des cellules d'individus qualifiées d' "associations de malfaiteurs", dès lors que leur volonté de préparer des attentats se matérialise par des éléments concrets : matériel, faux documents, fournitures, hébergements et caches. On distingue ainsi 3 niveaux d'association de malfaiteurs :
- l'association de malfaiteurs terroriste de base, punie par 10 ans d’emprisonnement.
- l'association de malfaiteurs terroristes criminels, punie par 30 ans d’emprisonnement, dirigée contre une personne ou des biens (assassinat, meurtre, destruction par explosif).
- la direction de réseaux terroristes punie par la perpétuité, c'est le cas par exemple d'Abou Bakr al-Baghdadi.
Durcissement de la politique pénale anti-terroriste
En 2011 et 2012, dans le contexte de la guerre civile syrienne, d'importantes vagues de départs de Français vers la Syrie ont eu lieu. Les esprits naïfs y ont vu de gentils brigadistes partis soutenir la population syrienne bombardée par son gouvernement. Or, l'Armée syrienne libre, alors principale force d'opposition à Bachar el-Assad, recrutait en vérité très peu d’étrangers. Sur près de 2000 départs de Français comptabilisés une grande majorité rejoignait en réalité le Front Jabhat al-Nosra, futur Daech. Les filières de recrutement se sont multipliées en 2012-2013, jusqu'aux carnages de 2015 et 2016, dont le vendredi 13 novembre 2015 à Paris et le 14 juillet 2016 à Nice. Le califat s’était proclamé, donnant naissance proto-Etat de l'Etat islamique au sein duquel Daech pratiquait une politique d’incitation médiatique au meurtre contre la France et les Français, où qu’ils se trouvent.
Or, les dispositions judiciaires utilisées à l'époque correspondaient au premier degré d' "association de malfaiteurs" mentionnée plus haut pour sanctionner des cas méritant des peines bien plus lourdes. Étaient ainsi jugés à l'aune de cette juridiction des cas avérés de personnes parties combattre en Syrie, qui y restaient et revenaient, tout en écopant de peines de 6 à 10 ans ; des appuis logistiques participant à la construction des filières de recrutement (itinéraires, lieux d'hébergement, téléphones de passeurs...) écopant de peines de 5 à 7 ans ; et enfin, les velléitaires, qui ne parvenaient pas à partir, soit parce qu'ils étaient appréhendés par la DGSI, soit parce qu'ils hésitaient, écopant de peines inférieures à 5 ans. Plus encore, les femmes, elles échappaient purement et simplement à une présentation devant la justice.
La justice pénale a en conséquence effectué une mue afin de répondre à la relative impunité dont jouissaient les actes terroristes islamistes. De coutume, l'action du Parquet suit d'une part l'application des lois votée à l'initiative gouvernementale ou parlementaire, et d'autre part, l'application d'une politique pénale répondant aux recommandations du Garde des Sceaux. La bascule s'est opérée dans le cadre de ces affaires terroristes djihadistes : totale autonomie a été donnée au Parquet de Paris. Les réflexions de sa section antiterroriste ont grandement nourri et et contribué à durcir la loi pénale, malgré les réticences des juges d’instruction. À partir du printemps 2016, et suite aux attentats de 2015, il a été décidé que toute personne rejoignant une organisation terroriste serait jugée par une cour d'assise spéciale, au même titre qu'une personne commettant ou planifiant une action terroriste, ne relevant plus désormais du tribunal correctionnel de Paris, mais de la cour d'assises spéciale. Simultanément, les peines encourues ne seraient plus limitées à 10 ans, pouvant monter jusqu'à 30 ans, au même tire que les actions criminelles.
Face au volume de dossiers à traiter, des limites ont néanmoins été fixées afin d'éviter une judiciarisation trop rigide. Le durcissement des peines concernerait les cas suivants : les individus partants à partir du printemps 2016, dont on pouvait prouver l'activité de combattant au sein des katibas, les individus ayant participé à des patrouilles le long des frontières ou aux travaux de la police islamique de Daech. Une question non moindre subsistait : comment juger les femmes djihadistes, dont on a longtemps minimisé l'action au sein de l’État islamique ?
Leur rôle a évolué simultanément aux mutations du terrain. A l'été 2017, voyant son organisation militaire se déliter, Daech élargit sa conception du djihad armé, appelant également femmes et enfants à prendre les armes. La vision des magistrats en charge des cas de femmes a elle aussi changé. On a su que certaines d'entre elles participaient aux actions armées, maniaient des ceintures d’explosif, mais surtout se chargeaient de l’éducation des lionceaux du califat. Plusieurs dossiers ont montré que les femmes pouvaient s'avérer encore plus radicalisées que leurs conjoints. Par conséquent, depuis la fin de l'année 2017, toutes les femmes rentrant de Syrie ou d’Irak sont judiciarisées dès leur descente d’avion et présentées à des juges d’instruction.
Or, les dispositions judiciaires utilisées à l'époque correspondaient au premier degré d' "association de malfaiteurs" mentionnée plus haut pour sanctionner des cas méritant des peines bien plus lourdes. Étaient ainsi jugés à l'aune de cette juridiction des cas avérés de personnes parties combattre en Syrie, qui y restaient et revenaient, tout en écopant de peines de 6 à 10 ans ; des appuis logistiques participant à la construction des filières de recrutement (itinéraires, lieux d'hébergement, téléphones de passeurs...) écopant de peines de 5 à 7 ans ; et enfin, les velléitaires, qui ne parvenaient pas à partir, soit parce qu'ils étaient appréhendés par la DGSI, soit parce qu'ils hésitaient, écopant de peines inférieures à 5 ans. Plus encore, les femmes, elles échappaient purement et simplement à une présentation devant la justice.
La justice pénale a en conséquence effectué une mue afin de répondre à la relative impunité dont jouissaient les actes terroristes islamistes. De coutume, l'action du Parquet suit d'une part l'application des lois votée à l'initiative gouvernementale ou parlementaire, et d'autre part, l'application d'une politique pénale répondant aux recommandations du Garde des Sceaux. La bascule s'est opérée dans le cadre de ces affaires terroristes djihadistes : totale autonomie a été donnée au Parquet de Paris. Les réflexions de sa section antiterroriste ont grandement nourri et et contribué à durcir la loi pénale, malgré les réticences des juges d’instruction. À partir du printemps 2016, et suite aux attentats de 2015, il a été décidé que toute personne rejoignant une organisation terroriste serait jugée par une cour d'assise spéciale, au même titre qu'une personne commettant ou planifiant une action terroriste, ne relevant plus désormais du tribunal correctionnel de Paris, mais de la cour d'assises spéciale. Simultanément, les peines encourues ne seraient plus limitées à 10 ans, pouvant monter jusqu'à 30 ans, au même tire que les actions criminelles.
Face au volume de dossiers à traiter, des limites ont néanmoins été fixées afin d'éviter une judiciarisation trop rigide. Le durcissement des peines concernerait les cas suivants : les individus partants à partir du printemps 2016, dont on pouvait prouver l'activité de combattant au sein des katibas, les individus ayant participé à des patrouilles le long des frontières ou aux travaux de la police islamique de Daech. Une question non moindre subsistait : comment juger les femmes djihadistes, dont on a longtemps minimisé l'action au sein de l’État islamique ?
Leur rôle a évolué simultanément aux mutations du terrain. A l'été 2017, voyant son organisation militaire se déliter, Daech élargit sa conception du djihad armé, appelant également femmes et enfants à prendre les armes. La vision des magistrats en charge des cas de femmes a elle aussi changé. On a su que certaines d'entre elles participaient aux actions armées, maniaient des ceintures d’explosif, mais surtout se chargeaient de l’éducation des lionceaux du califat. Plusieurs dossiers ont montré que les femmes pouvaient s'avérer encore plus radicalisées que leurs conjoints. Par conséquent, depuis la fin de l'année 2017, toutes les femmes rentrant de Syrie ou d’Irak sont judiciarisées dès leur descente d’avion et présentées à des juges d’instruction.
Les enjeux aujourd'hui
La menace terroriste ciblant la France et ses alliés reste acrtuellement une réalité concrète. Elle se présente néanmoins différemment depuis quelques années, du fait de la capacité militaire décroissante de Daech. Inspirée de ce que le théoricien Abou Moussab al-Souri qualifie de "djihad du troisième millénaire" (ou "djihad du pauvre"), sa stratégie est dispersée (et non centralisée comme elle l'était sous le califat) et cible des individus isolés, et souvent vulnérables, hébergés en Europe. Ces derniers sont incités à perpétrer des attaques contre des "militaires français, des mécréants et des blasphémateurs", ceci contribuant à l'objectif à plus long terme d'attiser les tensions au sein de la société civile en stigmatisant la minorité musulmane.
Pour parer aux risques que sous-tend cette menace, une surveillance accrue des quartiers sensibles, des transports, de certaines associations, des sortants de prison et des prisons elles-mêmes a été mise en place. À titre d'exemple, la seule année 2020 verra sortir 42 personnes condamnées pour terrorisme ayant purgé leur peine. Cette population des sortants représente un enjeu de taille: le régime des peines ayant été durci, les "sorties sèches" se multiplient. Les sortants retrouvent alors leur liberté sans aucune obligation, ni suivi des services pénitentiaires.
En outre, deux défis judiciaires s'annoncent au cours des deux prochaines années ; les procès de Charlie Hebdo ainsi que de l'attaque du Thalys se tiendront en 2020, tandis que 2021 verra se dérouler le procès relatif au 13 novembre 2015.
S'il est un enseignement à tirer des attentats de cette dernière décennie, c'est que les informations recueillies sur les terrains d'opération doivent être davantage partagées : en France, d'une part, entre les renseignements, la justice et l'administration ; à l'international, d'autre part. Prenons le cas d'une arrestation d'un Français qui aurait rejoint une organisation terroriste sahélienne : un rapport précisant les circonstances de son arrestation, s'il était armé ou non, s'il participait à des activités de soin, de logistique ou de cuisine (récit souvent inventé de toutes pièces) devrait être rédigé et partagé à l'ensemble des acteurs du renseignement et de la justice. Enfin, en matière de diplomatie, l'organisation américaine des services secrets se révèle être un allié précieux, dans la mesure où elle intègre l'ensemble des informations recueillies par ses forces sur les différents terrains, rassemblant des millions de données sur les combattants syriens et irakiens notamment.
Pour parer aux risques que sous-tend cette menace, une surveillance accrue des quartiers sensibles, des transports, de certaines associations, des sortants de prison et des prisons elles-mêmes a été mise en place. À titre d'exemple, la seule année 2020 verra sortir 42 personnes condamnées pour terrorisme ayant purgé leur peine. Cette population des sortants représente un enjeu de taille: le régime des peines ayant été durci, les "sorties sèches" se multiplient. Les sortants retrouvent alors leur liberté sans aucune obligation, ni suivi des services pénitentiaires.
En outre, deux défis judiciaires s'annoncent au cours des deux prochaines années ; les procès de Charlie Hebdo ainsi que de l'attaque du Thalys se tiendront en 2020, tandis que 2021 verra se dérouler le procès relatif au 13 novembre 2015.
S'il est un enseignement à tirer des attentats de cette dernière décennie, c'est que les informations recueillies sur les terrains d'opération doivent être davantage partagées : en France, d'une part, entre les renseignements, la justice et l'administration ; à l'international, d'autre part. Prenons le cas d'une arrestation d'un Français qui aurait rejoint une organisation terroriste sahélienne : un rapport précisant les circonstances de son arrestation, s'il était armé ou non, s'il participait à des activités de soin, de logistique ou de cuisine (récit souvent inventé de toutes pièces) devrait être rédigé et partagé à l'ensemble des acteurs du renseignement et de la justice. Enfin, en matière de diplomatie, l'organisation américaine des services secrets se révèle être un allié précieux, dans la mesure où elle intègre l'ensemble des informations recueillies par ses forces sur les différents terrains, rassemblant des millions de données sur les combattants syriens et irakiens notamment.
La judiciarisation de l'acte terroriste.m4a (359.27 Ko)