Quel Sorbonnard ne connaît pas Ahmad Salamatian et sa caverne d’Ali Baba littéraire qui lui sert de librairie estudiantine rue Cujas ? Ancien Député d’Ispahan et ex-Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères dans le premier Gouvernement de la République islamique d’Iran, réfugié politique en France, son érudition considérable sur la Perse attire tous ceux et celles qui, des officines ministérielles les plus obscures jusqu’aux plus humbles chercheurs, se passionnent pour ce pays. Interrogé par Sara Daniel, Rédactrice en chef adjointe du Nouvel Observateur, c’est un long et passionnant entretien didactique sur la genèse de la « révolte verte » initiée dans la foulée des élections présidentielles de juin 2009, qu’il livre dans un ouvrage récent, publié chez Delavilla. S’il ne les fréquente plus officiellement, Ahmad Salamatian se tient toujours minutieusement informé sur les personnages clés de la révolution islamique qu’il a personnellement côtoyés. On ne sera donc pas surpris par son analyse exceptionnellement pointue de la situation en Iran et par son éclairage instructif des relations parfois tumultueuses entretenues entre les différents protagonistes, en raison notamment de leurs rivalités passées : les oppositions entre les candidats malheureux à la dernière élection présidentielle Mehdi Karoubi, le « mollah rouge » et Mir Hossein Moussavi, le « petit Obama » valent ainsi les tensions entre le guide Ali Khamenei et le président Mahmoud Ahmadinejad. Au risque d’alimenter l’impression d’un pouvoir divisé, susceptible de représenter une ouverture pour la diplomatie occidentale: d’autres spécialistes ont dénoncé cet « alibi de la minorité qui dédouane l’ensemble du système » et offre à la « « duplicité du régime » l’occasion d’une « faiblesse tournée en force » (Ramine Kamrane et Frédéric Tellier, « Iran : les coulisses d’un totalitarisme », Coll. « Climats », Editions Flammarion, 2007.)
Responsabilité des intellectuels iraniens
Ahmad Salamatian
L’ancien bras droit du Président Bani Sadr, période sur laquelle l’auteur passe promptement, nous plonge au cœur des structures sécuritaires et répressives : le Corps des Gardiens de la Révolution comme les milices Bassidji ne semblent plus avoir de secrets pour lui. L’ouvrage demeure néanmoins trop descriptif : le lecteur reste parfois sur sa faim malgré l’annonce alléchante du chapitre final sur la « fin de l’islam politique », pourtant sous-titre du livre. On soupçonnera l’astucieux Ahmad Salamatian de tenir ces premières réflexions pour un produit d’appel dans l’attente de considérations nettement plus approfondies auxquelles il nous a toujours habitué. Et ce, en dépit de la référence discutable à la « fascination » éprouvée par Michel Foucault « pour la révolution de 1978 et cette religion de combat et de sacrifice ». Il eût été intéressant, à ce propos, de lire Ahmad Salamatian sur la responsabilité historique des intellectuels iraniens sous le Shah qui ont accompli, ou fait accomplir à d’autres, le « pèlerinage » à Neauphle-le-Château. Au « Docteur Hadj Seyyed Ahmad Salamatian, fervent disciple de l’Imam et tout acquis à ses avisés et profonds préceptes… » comme le proclamaient ses affiches électorales lors des premières législatives de la République Islamique d’Iran, on préfère nettement le libraire jovial revenu aux exigeantes traditions républicaines du Quartier Latin. Entre le turban et les livres, Ahmad Salamatian a, on l’espère, définitivement choisi son destin d’homme libre.
Iran, La révolte verte, La fin de l’Islam politique?, Ahmad Salamatian et Sara Daniel, Editions Delavilla, 2010.
Iran, La révolte verte, La fin de l’Islam politique?, Ahmad Salamatian et Sara Daniel, Editions Delavilla, 2010.