Un médicament sur dix ne satisfait pas aux normes de qualité dans les pays émergents
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Par opposition aux vrais médicaments : les médicaments "falsifiés" contiennent une dose inférieure (ou supérieure) à la quantité de substance active nécessaire pour agir sur la maladie. Dans le cas d’un sous-dosage, le produit induit des résistances. Mais il peut aussi s’agir d’un placebo ou d’un produit hautement toxique. La seconde catégorie, celle des médicaments "contrefaits" (qui peuvent soigner mais sont fabriqués en dehors des circuits contrôlés), représente 25% des médicaments consommés dans les pays émergents, selon l’OMS. Cette catégorie soulève des enjeux surtout liés à la propriété intellectuelle (procédés de fabrication, étiquetage). Un médicament sur 10 en circulation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ne satisfait pas aux normes de qualité, selon l’OMS. Des chiffres de la Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament (IFPMA), évaluent que la contrefaçon d’un "blockbuster" peut générer un bénéfice de l’ordre de 500 000 dollars pour un investissement initial de 1 000 dollars, alors que la même somme de départ investie dans le trafic de fausse monnaie ou d’héroïne rapporterait 20 000 dollars et, dans la contrefaçon de cigarettes, 43 000 dollars. Selon l'IRACM, la contrefaçon de médicaments serait de 10 à 25 fois plus rentable que le trafic de drogues. Les failles réglementaires, tant en termes de mise sur le marché que de respect des normes, la porosité des frontières, rendent le marché africain propice à une telle circulation ; de même que l’absence de coordination entre les différentes institutions (intérieur, défense, douane, santé, justice) ainsi que le manque d’information des populations. Entre 2014 et 2017, environ 600 tonnes de médicaments falsifiés ont été saisis par les douanes ivoiriennes. C’est pour répondre à cette problématique que l’Etat ivoirien promeut trois principaux volets d’actions. La coordination intersectorielle pour un meilleur contrôle de la chaîne d’approvisionnement et de distribution via une structure semi publique autonome : La Nouvelle Pharmacie de Santé publique (NPSP). Le second vise à réguler le secteur en permettant un contrôle et des sanctions conformes au dispositif judiciaire et pénal ivoirien (ratification de la Convention Medicrime et mise en place de l’Autorité Ivoirienne de Régulation pharmaceutique (AISP) depuis décembre 2018). Elle détient les missions suivantes : inspection, autorisation de mise sur le marché, saisie, pharmacovigilance et contrôle qualité. La troisième ambition : améliorer l’accessibilité financière aux médicaments essentiels à travers la Couverture Maladie Universelle (CMU).
Qui perd quoi et comment ?
Dans ce circuit, mis à part les trafiquants qui s’enrichissent avec une facilité déconcertante, c’est l’ensemble de la chaîne du médicament qui y perd en termes économiques. D’abord, le malade (le client). Il perd la santé, se crée des résistances qui ralentiront l’efficacité des traitements futurs et se confond dans un engrenage de la pauvreté (il dépense toujours plus et plus longtemps pour se soigner, sans guérir). Son emploi s’en trouve menacé. En résulte une perte de son pouvoir d’achat pour lui-même (et sa famille s’il s’agit du chef de famille). Il s’avère complexe d’estimer les effets des "médicaments de la rue", comme le confirme l’étude de Carine Baxerres : "Leurs effets sur les patients sont difficiles à détecter et à quantifier. Ainsi, la plupart des écrits sur la contrefaçon et les faux médicaments proviennent de journalistes d’investigation locaux et comprennent finalement peu d’investigations scientifiques de santé publique. De telles enquêtes posent d’ailleurs d’infinis problèmes méthodologiques: comment réaliser des investigations réellement représentatives de ces phénomènes "? Ensuite, les officines connaissent un important manque à gagner, confrontées à cette concurrence déloyale de la rue. Idem pour les laboratoires qui fabriquent des produits que le marché absorbe difficilement puisqu’ils sont plus onéreux que les médicaments falsifiés et restent plus longtemps sur les étagères des pharmacies (risque de péremption). Cette perte est estimée par le World Economic Forum (WEF) à environ 50 milliards de francs CFA soit 76 millions d’euros. Enfin, le système de santé public y perd (environ 5 milliards de francs CFA pour l’Etat), toujours selon l’étude du WEF. Le pays doit compter avec une grande partie de population malade ou à enterrer, frein à la performance économique. Les établissements de soins sont engorgés et tournent à plein régime.
Une piste pour réduire l’ensemble de ces risques et pertes ? On pourrait suivre le parcours du médicament depuis sa sortie du laboratoire jusqu’au patient. Ce dernier pourra, via une application mobile en scanner le code barre et le consommer en toute sécurité. Il s’agit pour l’instant d’une opération pilote qui pourrait s’avérer être un véritable atout pour l’Afrique d’autant que ce continent est l’un des mieux dotés en termes d’accès numérique (presque tous les Africains possèdent un smartphone et utilisent les nouvelles technologies). L’initiative est portée par la NPSP. Reste à savoir combien une telle mesure permettrait d’économiser pour chacun des segments du circuit du médicament ? En attendant, l'Institut International de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (l'IRACM - créé en 2010) pour lutter contre ce trafic, a créé une vidéo ludique pour sensibiliser le public aux contrefaçons en Europe via les commandes Internet. A quand une vidéo du même style, spécifique aux défis de l’Afrique ?