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L'Europe, la crise grecque et les spéculateurs

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Par Canal Académie - Jean-Louis Chambon Rédigé le 29/04/2010 (dernière modification le 29/04/2010)

En Europe, 20 États sur 27 affichent un déficit public. Sommes-nous en passe de vivre tous à l’image de la Grèce ? Après l’accord conclu par les 27 en faveur d’Athènes, l’Europe est soulagée mais les marchés ne sont pas convaincus... Quant aux spéculateurs, faut-il tant les décrier ? Ce n’est pas sûr. Première leçon de la crise : des années de laxisme budgétaire coûtent cher. Arrive toujours l’heure des comptes...


Illustration: L'euro en mauvaise posture? Pas si sûre...
Illustration: L'euro en mauvaise posture? Pas si sûre...
Zhu Min, gouverneur adjoint de la banque centrale chinoise [1], considère que "la Grèce n’est que la partie visible de l’iceberg, peut-être pas la banqueroute car sa taille est modeste, mais en l’absence de mesures décisives, la principale préoccupation devient l’Espagne et l’Italie".

A contrario José Barroso estime "qu’il n’y a pas de pays dans la zone euro qui soit dans une situation comparable."

On aimerait le croire ; remarquons toutefois que le Portugal vient de voir sa note dégradée par Fitch, que l’Irlande vacille et que l’Islande prend l’eau... 20 États sur 27 font l’objet d’une procédure de déficit excessif. Quant à la France, dont l’endettement et dont les déficits publics historiques s’ajoutent à une perte de compétitivité sans précédent (les parts de marchés commerciaux perdues représentent 100 milliards d’euros de PIB en moins en dix ans !), elle ne se sent pas concernée… Alors qui croire ?

La réponse est simple : en économie libérale, ce sont les marchés qui ont toujours raison. Rappeler cette évidence expose sans doute à l’incrédulité, voire à l’opprobre tant il est vrai que l’opinion ne hait rien tant que les acteurs diabolisés qui les animent et que l’on nomme "les spéculateurs", lesquels sont perçus avant tout comme des fauteurs de troubles : le premier ministre grec les a d’ailleurs pointés du doigt auprès de Barack Obama (bien évidemment, puisque la crise grecque est détenue majoritairement par les marchés). Obama, de son côté, leur a imputé la faillite de Chrysler et celle de Lehman Brothers, ce dont on pourrait largement discuter. Tandis que, ultime développement, le ministre allemand des finances veut engager des détectives pour traquer "ceux qui se mettent d’accord entre eux et qui jouent contre l’euro"... On frise le délire.

Il est temps sur ce plan aussi de retrouver de la lucidité. En réalité les "spéculateurs" (qui étaient considérés dans la Rome antique comme des gens utiles et honorables), restent irremplaçables pour alerter sur les failles du marché (ce sont eux qui ont parié contre Enron, contre Lehman, avertissant ainsi de leur insolvabilité). Ils ne sont pas non plus à l’origine de la crise grecque, ils ont simplement hésité à prêter davantage à un État lourdement endetté et accumulant les déficits publics pour payer notamment ses fonctionnaires à un niveau et à un prix exhorbitants.

Les acteurs de marchés, "les spéculateurs", jouent donc un rôle éminent, n’en déplaise à leurs détracteurs, en tant que "gardiens du temple libéral" et comme "émetteurs de messages d’alertes", dont certes ils tirent profit mais à hauteur des risques symétriques qu’ils assument pour la collectivité. Ils ont donc tendance à réduire les risques et à prendre le contre-pied de la foule des autres investisseurs, à l’instinct moutonnier, premier facteur en réalité de la constitution de bulles... dont on connaît les effets désastreux.

Ils "adorent la liberté, détestent le baratin et exècrent les restrictions", notait avec malice et en grand connaisseur des marcheurs Ben Bernanke ; on comprend que cela agace nombre de grands dirigeants de la planète, qui à l’expérience privilégient sur bien des points des logiques opposées ! Nous sommes donc, au plan de la fragilité de nos économies et d’une forme de faillite de la pensée du modèle occidental, plus que de simples voisins des Grecs (à la fraude comptable avérée près... mais cela change-t-il le fond du problème ?).

Les leçons douces-amères qui sont à tirer de la crise grecque (voire européenne), c’est qu’il y aura un prix à payer pour des années de laxisme budgétaire et monétaire, pour le maintien d’un modèle social à un coût démesuré par rapport à nos capacités objectives et notre compétitivité, pour les efforts non consentis et reportés sur les générations futures, pour les "débats interdits" par le politiquement correct. Ce prix se traduit en surcoût sur la dette (plus de 300 points de base pour la Grèce et ce n’est sans doute pas fini).

À cet égard, le dossier des retraites qui s’ouvre en France dans le contexte que l’on sait montrera si la lucidité peut l’emporter, si aucune piste de réflexion n’est sacrifiée au profit d’une vision court-termiste qui flatterait l’opinion en renvoyant aux calendes les solutions de fond, dans un dogmatisme érigeant les systèmes en religion, privilégiant les croyances sur la raison. Les dirigeants ont un rôle majeur à jouer sur ce plan et les dirigeants salariés qui viennent d’élaborer leur premier baromètre sur leur moral sont déterminés à apporter en contribution à cette impérieuse remise en cause leur vision, s’inscrivant dans la solidarité mais sur le long terme.

Cela, non seulement parce qu’ils sont tout particulièrement concernés, mais aussi et peut être surtout parce qu’ils savent que le mur des échéances (monetary wall) est devant nous : à eux seuls, les États-Unis (dont le triple A est menacé) devront trouver 2000 milliards de dollars sur le marché, comme les "obligataires" dont l’échéance de 15 milliards de dollars passera à 155 en 2012, à 212 en 2013 et à 338 en 2014...

La période 2012-2014 sonnera l’heure des comptes, des Grecs comme des autres. De la qualité des signaux porteurs de confiance que nous saurons donner aux marchés dépendra notre capacité à passer ce cap pour un avenir franco-européen qu’on espère renouvelé. On s’intéressera toutefois à la lecture des prévisions de l’OCDE, pour laquelle la situation grecque n’est pas la pire envisageable pour l’avenir. En effet, si rien n’est fait sur le plan des dépenses et des recettes comme sur les retraites, les dettes atteindront des sommets himalayens d’ici à 2020. 300 % du PIB au Japon, 200 % en Grande-Bretagne et "seulement 150 % pour la Belgique, la Grèce, la France, l’Italie et les États-Unis". À de tels niveaux, les marchés pourraient s’arrêter de fonctionner et la dette ne serait plus financée. Voici venir le temps des remboursements et des impôts nouveaux.

Texte de Jean-Louis Chambon


Dans l'attente des détails du plan de sauvetage grec, l'euro se stabilise









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