Aujourd’hui, l’albinisme ne doit pas être un obstacle pour émerger dans la vie professionnelle
Interview albinisme.mp3 (9.92 Mo)
MM: Dr. Traoré, pouvez-vous vous présenter?
Dr. BT: Je me nomme Docteur Traoré Banzoumana, titulaire d’un doctorat en Études arabes. Je suis spécialiste en Gestion des manuscrits et archives. Je travaille actuellement comme Coordinateur de l’ONG Sauvegarde et valorisation des manuscrits pour la défense de la culture islamique (SAVAMA DCI). Je milite aussi au sein de l’association pour la promotion et de la défense des droits des albinos.
MM: Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours?
Dr. BT: Je suis le produit d’un système éducatif particulier, celui des Medersa, où l’enseignement est arabophone. J’ai par la suite appris le français. J’ai pu poursuivre cette éducation malgré mon handicap d’albinos qui me causait des difficultés en raison des problèmes de vision qui lui sont rattachés. Ce problème de vue était le grand défi auxquels j’ai fait face. J’étais en effet installé au premier rang, mais j’éprouvais toujours des difficultés à lire correctement au tableau. J’ai pu continuer mes études grâce au soutien de mes camarades de classe, jusqu’à obtenir un doctorat.
Ma vie professionnelle a démarré en 2001, à Tombouctou ou j’ai été archiviste à l’Institut des Hautes Études et Recherches Islamiques Ahmed Baba.
Je suis au niveau associatif, militant de plusieurs associations, dont des associations de jeunesse et une association de promotion et de défense des droits des albinos.
MM: Comment avez-vous rejoint cette association? Est-ce votre problème de vision qui est à la base de votre motivation à rejoindre cette association des droits des personnes atteintes d’albinisme?
Dr. BT: Effectivement, cela fait bien partie de mes motivations. Vu tous les problèmes que j’ai rencontrés pendant mes études, je me suis dit que j’avais eu la chance de bénéficier de beaucoup de soutien, de la part de mes parents, de mes amis et de connaissances. Je me suis alors demandé si d’autres personnes vivant avec ce handicap pouvaient jouir d’un tel soutien. C’est de là que m’est venue l’idée de mettre en place une association. Cependant, il existait déjà une association qui se nomme SOS Albinos. J’avais en 2001 rencontré le président de cette association qui est aujourd’hui ministre du Culte et des Religions au Mali. A cette occasion nous avions échangé sur mon projet même si une collaboration souhaitée n’a pu se faire à ce moment-là, pour des raisons professionnelles m’ayant contraint à quitter Bamako et retourner à Tombouctou.
Aujourd’hui je suis aussi le chargé de communication d’une organisation dénommée Association malienne pour la défense des albinos, mise en place en 2013.
MM: Quelles sont les principales actions et activités que vous menez au sein de cette association de défense des droits des personnes atteintes d’albinisme?
Dr. BT: En priorité, nos actions vont à l’endroit des personnes non atteintes d’albinisme, dans le but de les sensibiliser sur la question. Il existe de nombreux préjugés autour de cette question d’albinisme à travers lesquels les personnes atteintes d’albinisme sont marginalisées, d’où la nécessité de la sensibilisation. L’idée est de leur faire comprendre que l’albinisme n’est rien d’autre qu’une maladie, un dysfonctionnement biologique et qu’aujourd’hui un albinos est capable de bien de choses, au même titre que toute autre personne.
Le deuxième combat que nous menons aujourd’hui nous cible nous-mêmes (personnes atteintes d’albinisme) afin que nous prenions conscience que l’albinisme ne doit pas être un handicap, un obstacle nous empêchant de progresser dans la vie.
Je présente généralement mon propre exemple, moi qui suis issu d’une famille pauvre mais qui me suis battu pour arriver là où je suis. C’est l’illustration que malgré nos problèmes de peau, de vision et les préjugés, nous pouvons émerger dans cette société malienne. Il existe d’autres exemples tels que l’artiste musicien Salif Keita et l’actuel ministre du Culte et des Religions, que je cite aussi de façon à redonner du courage aux membres de l’association et aux albinos en général afin qu’ils sortent de leurs coquilles. Je leur délivre ce message aussi au cours des formations que je donne en développement personnel. Leur objectif est de redonner aux albinos le courage de vaincre la timidité et de reprendre leur destin en main.
Notre autre combat au sein de cette association est la mise à disposition de produits pour les problèmes de peaux et des verres correcteurs afin de permettre aux albinos de mieux se protéger contre les effets du soleil et de pouvoir étudier.
MM: Vous venez de citer Salif Keita et l’actuel ministre des Cultes au Mali comme des modèles. Vous êtes aussi un modèle de personne vivant avec ce handicap et qui, en dépit de la mauvaise perception autour de la question, a réussi. Pourtant cette perception de la population malienne est encore présente. Pouvez-vous nous dire plus sur cette perception de la société malienne sur l’albinisme?
Dr. BT: Cette perception négative est encore présente, mais tend à disparaitre, parce que les gens commencent à comprendre et à voir des albinos émerger dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle du Mali. J’entends beaucoup de personnes me dire: "Bazoumana, vous faites notre fierté!" Je leur réponds alors qu’il y en a d’autres comme moi, talentueux à qui il faut ouvrir les portes.
Les populations ont en effet des doutes sur nos capacités. Par exemple, à mon interview pour avoir mon premier poste à Tombouctou, on m’a posé la question: "est-ce que vous pourrez supporter le soleil de Tombouctou?" J’ai répondu qu’il est vrai que j’ai une peau qui est fragile, mais aussi que je saurais trouver des moyens de me protéger contre le soleil. C’est ce que j’ai fait… J’ai vécu là-bas pendant une dizaine d’années sans problèmes. Tout cela pour dire que malgré cette mentalité qu’ont les gens, c’est à nous les albinos de démontrer le contraire, que nous sommes capables. Je pense que plus nous avançons dans ce sens, plus les gens serons convaincus du bien-fondé de notre combat. Ils vont comprendre que nous sommes comme eux et qu’il n’y a aucune différence.
MM: Et pourtant il est connu que dans beaucoup de pays africains la vie des personnes atteintes d’albinisme est menacée. Pouvez-vous dire aussi que cette tendance commence à disparaitre, notamment au Mali?
Dr. BT: Bien sûr, je peux l’affirmer, cette tendance commence à disparaitre au Mali. De plus en plus, nous voyons les albinos dans tous les secteurs de la vie sociale économique et culturelle. Moi, auparavant je ne pouvais pas me promener seul. J’étais toujours accompagné de quelqu’un, mais aujourd’hui, je voyage partout en Afrique, en Europe. Je n’ai aucune crainte par rapport à ma vie au Mali aujourd’hui, parce que j’ai vu que les Maliens ont vraiment changé. Aujourd’hui, je milite aussi au sein de la Jeune Chambre Internationale du Mali avec plus de 1400 membres. Je suis l’une des personnalités les plus remarquables au sein de cette organisation pas parce que je suis albinos mais parce que je me suis pas présenté comme tel. Je me suis battu au sein de cette association pour gravir les échelons et arriver à un certain niveau où la reconnaissance, le mérite m’étaient dus. C’est donc cela que j’explique aux albinos, pour qu’ils ne subissent et ne se laissent pas dominer par les préjugés. Nous devons montrer que nous sommes capables de bien de choses.
MM: Pensez-vous qu’un albinos qui vit par exemple dans la zone d’Aglal dans la région de Tombouctou soit exempt de ces menaces-là, puisque c’est une zone reculée, ou certains services sociaux de base et certaines structures de sécurité manquent? Pensez-vous qu’un albinos qui vit dans cette zone-là est exempt des menaces qui pourraient peser sur sa vie?
Dr. BT: Je ne pourrais pas le dire ou l’affirmer à 100%, mais je sais que là où il vit aujourd’hui, les gens ne vont pas oser dire: on va le prendre pour en faire un sacrifice, comme on le voit en Tanzanie, au Kenya ou en Ouganda.
Je sais qu’aujourd’hui, il y a un manque de structures sanitaires là où il vit, je sais aussi qu’il lui manque des produits pour pouvoir protéger, soigner sa peau. Mai dire que sa vie est en danger parce qu’il vit dans cette zone, je l’exclus. C’est un milieu que je connais un peu les zones d’Aglal, Tombouctou, Mopti, les régions du Nord… ce sont des endroits ou l’albinisme est très rare. Et une fois que cela arrive, les gens s’étonnent, ils ne comprennent pas assez, mais ils ne vont pas jusqu’à menacer la vie de cette personne.
MM: Vous êtes aujourd’hui connu dans votre communauté, avant d’en arriver à ce niveau, bien que vous ayez déjà retracé tout le combat que vous avez mené pour l’atteindre, est ce qu’on vous a déjà refusé un service en raison du fait que vous êtes atteint de cet handicap?
Dr. BT: Je sais qu’avant que je ne me marie cela a été un problème. Les préjugés… les gens disaient: "Ah... Vous allez vous marier avec un albinos?" Il y a eu beaucoup de tentatives avant de me marier aujourd’hui à deux femmes. J’en ai deux aujourd’hui, mais j’ai beaucoup souffert avant d’en avoir une, et si vous me demandez la cause principale, je vous dirai que c’est parce que je suis albinos que les tentatives que j’ai faites ont échoué. Aujourd’hui cela ne concerne pas que moi seul. Les filles albinos ont aussi ce problème. Elles ont des copains mais lorsqu’elles tentent de réaliser un projet de mariage avec ces derniers, la famille s’oppose en disant: c’est une fille albinos, elle va emmener des albinos dans notre famille… ça va changer notre sang... et d’autres propos du genre. Cela existe encore aujourd’hui.
Celles qui arrivent à s’affirmer et à se marier éprouvent beaucoup de difficultés à se faire accepter par les parents proches... Et comme je l’ai dit, l’association dans laquelle je milite est composée à 90% de membres féminins. Ces femmes et moi discutons quotidiennement de ce genre de problèmes et je leur donne des conseils et leur dit comment elles doivent y faire face.
MM: Et comment êtes-vous arrivés à vous faire accepter au sein de votre communauté?
C’est à la fois facile et difficile. Je me suis dit que tout ceci dépendait de moi-même. Si je me vois toujours comme un albinos et que je sens différent des autres, alors je le serai toujours. Mais si je pense que je suis comme tout le monde et qu’il n’y a aucune différence, alors il n’y aura aucune différence. Je l’ai toujours répété, s’il y a une différence entre moi et les autres, alors peut-être ce sont ces derniers qui la perçoivent. Pour moi, je n’en vois pas. Je me sens comme eux. C’est psychologique, je me suis mis cela dans la tête, et j’ai tout fait comme si je ne suis pas albinos. Je n’ai jamais considéré la blancheur de ma peau comme une différence. Je me suis aussi dit que cette différence doit contribuer à me rapprocher des autres.
Quoi que je fasse, je ne pourrai pas changer cela, je dois vivre avec ça, je dois tout faire avec ça. Je me suis mis dans la tête que je ne peux rien y changer. A l’école, je n’ai refusé l’amitié de personne, je suis toujours allé vers les autres, j’ai causé avec eux, j’ai joué avec eux au ballon, au point qu’on me donne des surnoms… à l’université c’était pareil, Je me suis jamais mis à l’écart, je suis toujours allé vers les autres. Peut-être qu’au départ ils ont été réticents à m’accepter, mais au fur et à mesure qu’on collabore, ils voient en moi une personne comme eux, avec des qualités, parfois meilleures aux leurs. C’est comme cela que je me suis fait un chemin dans la vie sociale et dans la vie professionnelle. Partout où je passe j’essaie d’être un bon exemple. J’essaie de laisser une bonne image de moi.
MM: Votre réussite personnelle est sans conteste, vous avez tissé des liens avec nombre d’albinos que vous avez rencontrés notamment au sein de votre association, mais comment pensez-vous que vous faites vraiment la différence auprès de ces personnes atteintes d’albinisme avec qui vous travaillez ou que vous côtoyez, le plus souvent?
Dr. BT: faire la différence c’est par le comportement. J’ai toujours traité ces personnes avec respect. Je leur ai toujours rappelé leur valeur. Dans mes relations, je n’ai que du respect pour la personne en face de moi. Si je peux servir cette personne, je le fais sans arrières pensées. Je me sens d’ailleurs aujourd’hui plus apte à servir les autres que de me servir. J’essaie toujours de rendre service aux autres sans rien attendre en retour.
MM: Dr. Traoré nous nous acheminons vers la fin de notre entretien, avez-vous quelque chose à ajouter, un message à faire passer?
Dr. BT: J’ai un message à l’endroit de la population malienne. Je pense qu’ils ont compris que l’albinisme n’est pas l’effet d’un sorcier, d’une fatalité, une malédiction mais une création divine. Allah fait de celui qu’il veut un blanc et de celui qu’il veut un noir. Dans ma famille à moi nous sommes six (frères et sœurs) et il y a deux albinos. Cela n’a aucun impact sur nos relations. Nous faisons tout ensemble, nous mangeons dans le même plat. Il en est de même avec tous les autres.
C’est donc le message que je voudrais lancer à toute la population malienne, c’est de nous accepter davantage, de nous ouvrir les portes et de croire en nos capacités. Aujourd’hui, l’albinisme ne doit pas être un obstacle pour un fils du Mali d’émerger dans la vie professionnelle.
Un autre message à l’endroit de mes frères et sœurs albinos, prenons conscience que notre handicap n’est pas un obstacle pour avancer dans la vie. C’est vrai que nous sommes généralement issus des familles pauvres mais nous devons garder à l’esprit que nous devons nous battre, nous devons lutter avec les armes que nous avons. Étudions, travaillons et essayons d’occuper des postes pour aller jusque dans les endroits les plus reculés pour nous occuper de nos sœurs et frères albinos qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et d’avoir une vie meilleure, comme nous aujourd’hui.
Dr. BT: Je me nomme Docteur Traoré Banzoumana, titulaire d’un doctorat en Études arabes. Je suis spécialiste en Gestion des manuscrits et archives. Je travaille actuellement comme Coordinateur de l’ONG Sauvegarde et valorisation des manuscrits pour la défense de la culture islamique (SAVAMA DCI). Je milite aussi au sein de l’association pour la promotion et de la défense des droits des albinos.
MM: Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours?
Dr. BT: Je suis le produit d’un système éducatif particulier, celui des Medersa, où l’enseignement est arabophone. J’ai par la suite appris le français. J’ai pu poursuivre cette éducation malgré mon handicap d’albinos qui me causait des difficultés en raison des problèmes de vision qui lui sont rattachés. Ce problème de vue était le grand défi auxquels j’ai fait face. J’étais en effet installé au premier rang, mais j’éprouvais toujours des difficultés à lire correctement au tableau. J’ai pu continuer mes études grâce au soutien de mes camarades de classe, jusqu’à obtenir un doctorat.
Ma vie professionnelle a démarré en 2001, à Tombouctou ou j’ai été archiviste à l’Institut des Hautes Études et Recherches Islamiques Ahmed Baba.
Je suis au niveau associatif, militant de plusieurs associations, dont des associations de jeunesse et une association de promotion et de défense des droits des albinos.
MM: Comment avez-vous rejoint cette association? Est-ce votre problème de vision qui est à la base de votre motivation à rejoindre cette association des droits des personnes atteintes d’albinisme?
Dr. BT: Effectivement, cela fait bien partie de mes motivations. Vu tous les problèmes que j’ai rencontrés pendant mes études, je me suis dit que j’avais eu la chance de bénéficier de beaucoup de soutien, de la part de mes parents, de mes amis et de connaissances. Je me suis alors demandé si d’autres personnes vivant avec ce handicap pouvaient jouir d’un tel soutien. C’est de là que m’est venue l’idée de mettre en place une association. Cependant, il existait déjà une association qui se nomme SOS Albinos. J’avais en 2001 rencontré le président de cette association qui est aujourd’hui ministre du Culte et des Religions au Mali. A cette occasion nous avions échangé sur mon projet même si une collaboration souhaitée n’a pu se faire à ce moment-là, pour des raisons professionnelles m’ayant contraint à quitter Bamako et retourner à Tombouctou.
Aujourd’hui je suis aussi le chargé de communication d’une organisation dénommée Association malienne pour la défense des albinos, mise en place en 2013.
MM: Quelles sont les principales actions et activités que vous menez au sein de cette association de défense des droits des personnes atteintes d’albinisme?
Dr. BT: En priorité, nos actions vont à l’endroit des personnes non atteintes d’albinisme, dans le but de les sensibiliser sur la question. Il existe de nombreux préjugés autour de cette question d’albinisme à travers lesquels les personnes atteintes d’albinisme sont marginalisées, d’où la nécessité de la sensibilisation. L’idée est de leur faire comprendre que l’albinisme n’est rien d’autre qu’une maladie, un dysfonctionnement biologique et qu’aujourd’hui un albinos est capable de bien de choses, au même titre que toute autre personne.
Le deuxième combat que nous menons aujourd’hui nous cible nous-mêmes (personnes atteintes d’albinisme) afin que nous prenions conscience que l’albinisme ne doit pas être un handicap, un obstacle nous empêchant de progresser dans la vie.
Je présente généralement mon propre exemple, moi qui suis issu d’une famille pauvre mais qui me suis battu pour arriver là où je suis. C’est l’illustration que malgré nos problèmes de peau, de vision et les préjugés, nous pouvons émerger dans cette société malienne. Il existe d’autres exemples tels que l’artiste musicien Salif Keita et l’actuel ministre du Culte et des Religions, que je cite aussi de façon à redonner du courage aux membres de l’association et aux albinos en général afin qu’ils sortent de leurs coquilles. Je leur délivre ce message aussi au cours des formations que je donne en développement personnel. Leur objectif est de redonner aux albinos le courage de vaincre la timidité et de reprendre leur destin en main.
Notre autre combat au sein de cette association est la mise à disposition de produits pour les problèmes de peaux et des verres correcteurs afin de permettre aux albinos de mieux se protéger contre les effets du soleil et de pouvoir étudier.
MM: Vous venez de citer Salif Keita et l’actuel ministre des Cultes au Mali comme des modèles. Vous êtes aussi un modèle de personne vivant avec ce handicap et qui, en dépit de la mauvaise perception autour de la question, a réussi. Pourtant cette perception de la population malienne est encore présente. Pouvez-vous nous dire plus sur cette perception de la société malienne sur l’albinisme?
Dr. BT: Cette perception négative est encore présente, mais tend à disparaitre, parce que les gens commencent à comprendre et à voir des albinos émerger dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle du Mali. J’entends beaucoup de personnes me dire: "Bazoumana, vous faites notre fierté!" Je leur réponds alors qu’il y en a d’autres comme moi, talentueux à qui il faut ouvrir les portes.
Les populations ont en effet des doutes sur nos capacités. Par exemple, à mon interview pour avoir mon premier poste à Tombouctou, on m’a posé la question: "est-ce que vous pourrez supporter le soleil de Tombouctou?" J’ai répondu qu’il est vrai que j’ai une peau qui est fragile, mais aussi que je saurais trouver des moyens de me protéger contre le soleil. C’est ce que j’ai fait… J’ai vécu là-bas pendant une dizaine d’années sans problèmes. Tout cela pour dire que malgré cette mentalité qu’ont les gens, c’est à nous les albinos de démontrer le contraire, que nous sommes capables. Je pense que plus nous avançons dans ce sens, plus les gens serons convaincus du bien-fondé de notre combat. Ils vont comprendre que nous sommes comme eux et qu’il n’y a aucune différence.
MM: Et pourtant il est connu que dans beaucoup de pays africains la vie des personnes atteintes d’albinisme est menacée. Pouvez-vous dire aussi que cette tendance commence à disparaitre, notamment au Mali?
Dr. BT: Bien sûr, je peux l’affirmer, cette tendance commence à disparaitre au Mali. De plus en plus, nous voyons les albinos dans tous les secteurs de la vie sociale économique et culturelle. Moi, auparavant je ne pouvais pas me promener seul. J’étais toujours accompagné de quelqu’un, mais aujourd’hui, je voyage partout en Afrique, en Europe. Je n’ai aucune crainte par rapport à ma vie au Mali aujourd’hui, parce que j’ai vu que les Maliens ont vraiment changé. Aujourd’hui, je milite aussi au sein de la Jeune Chambre Internationale du Mali avec plus de 1400 membres. Je suis l’une des personnalités les plus remarquables au sein de cette organisation pas parce que je suis albinos mais parce que je me suis pas présenté comme tel. Je me suis battu au sein de cette association pour gravir les échelons et arriver à un certain niveau où la reconnaissance, le mérite m’étaient dus. C’est donc cela que j’explique aux albinos, pour qu’ils ne subissent et ne se laissent pas dominer par les préjugés. Nous devons montrer que nous sommes capables de bien de choses.
MM: Pensez-vous qu’un albinos qui vit par exemple dans la zone d’Aglal dans la région de Tombouctou soit exempt de ces menaces-là, puisque c’est une zone reculée, ou certains services sociaux de base et certaines structures de sécurité manquent? Pensez-vous qu’un albinos qui vit dans cette zone-là est exempt des menaces qui pourraient peser sur sa vie?
Dr. BT: Je ne pourrais pas le dire ou l’affirmer à 100%, mais je sais que là où il vit aujourd’hui, les gens ne vont pas oser dire: on va le prendre pour en faire un sacrifice, comme on le voit en Tanzanie, au Kenya ou en Ouganda.
Je sais qu’aujourd’hui, il y a un manque de structures sanitaires là où il vit, je sais aussi qu’il lui manque des produits pour pouvoir protéger, soigner sa peau. Mai dire que sa vie est en danger parce qu’il vit dans cette zone, je l’exclus. C’est un milieu que je connais un peu les zones d’Aglal, Tombouctou, Mopti, les régions du Nord… ce sont des endroits ou l’albinisme est très rare. Et une fois que cela arrive, les gens s’étonnent, ils ne comprennent pas assez, mais ils ne vont pas jusqu’à menacer la vie de cette personne.
MM: Vous êtes aujourd’hui connu dans votre communauté, avant d’en arriver à ce niveau, bien que vous ayez déjà retracé tout le combat que vous avez mené pour l’atteindre, est ce qu’on vous a déjà refusé un service en raison du fait que vous êtes atteint de cet handicap?
Dr. BT: Je sais qu’avant que je ne me marie cela a été un problème. Les préjugés… les gens disaient: "Ah... Vous allez vous marier avec un albinos?" Il y a eu beaucoup de tentatives avant de me marier aujourd’hui à deux femmes. J’en ai deux aujourd’hui, mais j’ai beaucoup souffert avant d’en avoir une, et si vous me demandez la cause principale, je vous dirai que c’est parce que je suis albinos que les tentatives que j’ai faites ont échoué. Aujourd’hui cela ne concerne pas que moi seul. Les filles albinos ont aussi ce problème. Elles ont des copains mais lorsqu’elles tentent de réaliser un projet de mariage avec ces derniers, la famille s’oppose en disant: c’est une fille albinos, elle va emmener des albinos dans notre famille… ça va changer notre sang... et d’autres propos du genre. Cela existe encore aujourd’hui.
Celles qui arrivent à s’affirmer et à se marier éprouvent beaucoup de difficultés à se faire accepter par les parents proches... Et comme je l’ai dit, l’association dans laquelle je milite est composée à 90% de membres féminins. Ces femmes et moi discutons quotidiennement de ce genre de problèmes et je leur donne des conseils et leur dit comment elles doivent y faire face.
MM: Et comment êtes-vous arrivés à vous faire accepter au sein de votre communauté?
C’est à la fois facile et difficile. Je me suis dit que tout ceci dépendait de moi-même. Si je me vois toujours comme un albinos et que je sens différent des autres, alors je le serai toujours. Mais si je pense que je suis comme tout le monde et qu’il n’y a aucune différence, alors il n’y aura aucune différence. Je l’ai toujours répété, s’il y a une différence entre moi et les autres, alors peut-être ce sont ces derniers qui la perçoivent. Pour moi, je n’en vois pas. Je me sens comme eux. C’est psychologique, je me suis mis cela dans la tête, et j’ai tout fait comme si je ne suis pas albinos. Je n’ai jamais considéré la blancheur de ma peau comme une différence. Je me suis aussi dit que cette différence doit contribuer à me rapprocher des autres.
Quoi que je fasse, je ne pourrai pas changer cela, je dois vivre avec ça, je dois tout faire avec ça. Je me suis mis dans la tête que je ne peux rien y changer. A l’école, je n’ai refusé l’amitié de personne, je suis toujours allé vers les autres, j’ai causé avec eux, j’ai joué avec eux au ballon, au point qu’on me donne des surnoms… à l’université c’était pareil, Je me suis jamais mis à l’écart, je suis toujours allé vers les autres. Peut-être qu’au départ ils ont été réticents à m’accepter, mais au fur et à mesure qu’on collabore, ils voient en moi une personne comme eux, avec des qualités, parfois meilleures aux leurs. C’est comme cela que je me suis fait un chemin dans la vie sociale et dans la vie professionnelle. Partout où je passe j’essaie d’être un bon exemple. J’essaie de laisser une bonne image de moi.
MM: Votre réussite personnelle est sans conteste, vous avez tissé des liens avec nombre d’albinos que vous avez rencontrés notamment au sein de votre association, mais comment pensez-vous que vous faites vraiment la différence auprès de ces personnes atteintes d’albinisme avec qui vous travaillez ou que vous côtoyez, le plus souvent?
Dr. BT: faire la différence c’est par le comportement. J’ai toujours traité ces personnes avec respect. Je leur ai toujours rappelé leur valeur. Dans mes relations, je n’ai que du respect pour la personne en face de moi. Si je peux servir cette personne, je le fais sans arrières pensées. Je me sens d’ailleurs aujourd’hui plus apte à servir les autres que de me servir. J’essaie toujours de rendre service aux autres sans rien attendre en retour.
MM: Dr. Traoré nous nous acheminons vers la fin de notre entretien, avez-vous quelque chose à ajouter, un message à faire passer?
Dr. BT: J’ai un message à l’endroit de la population malienne. Je pense qu’ils ont compris que l’albinisme n’est pas l’effet d’un sorcier, d’une fatalité, une malédiction mais une création divine. Allah fait de celui qu’il veut un blanc et de celui qu’il veut un noir. Dans ma famille à moi nous sommes six (frères et sœurs) et il y a deux albinos. Cela n’a aucun impact sur nos relations. Nous faisons tout ensemble, nous mangeons dans le même plat. Il en est de même avec tous les autres.
C’est donc le message que je voudrais lancer à toute la population malienne, c’est de nous accepter davantage, de nous ouvrir les portes et de croire en nos capacités. Aujourd’hui, l’albinisme ne doit pas être un obstacle pour un fils du Mali d’émerger dans la vie professionnelle.
Un autre message à l’endroit de mes frères et sœurs albinos, prenons conscience que notre handicap n’est pas un obstacle pour avancer dans la vie. C’est vrai que nous sommes généralement issus des familles pauvres mais nous devons garder à l’esprit que nous devons nous battre, nous devons lutter avec les armes que nous avons. Étudions, travaillons et essayons d’occuper des postes pour aller jusque dans les endroits les plus reculés pour nous occuper de nos sœurs et frères albinos qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et d’avoir une vie meilleure, comme nous aujourd’hui.