TOKYO SPC CHAPO.m4a (209.53 Ko)
Il est 11h00 du matin et Yusuke a un peu de retard au rendez-vous. C'est l'occasion de faire quelques prises de vue de ce fabuleux carrefour que plus de 100.000 Japonais empruntent chaque jour. Des écrans géants plantés en haut d'immenses tours contemplent des salarymen pressés qui zigzaguent entre des touristes et des ados victimes de la mode : vision surréaliste d'une société ultramoderne.
Nous finissons par nous croiser par hasard à côté d'une bouche de métro : nous sommes heureux de nous être retrouvés si facilement dans cette foule. Il nous faut du calme et nous décidons de trouver un café pour pouvoir discuter.
Depuis l'étage du Starbuck nous contemplons le carrefour dans une atmosphère plus sereine.
Yusuke Nagata est le fondateur de "Street Photography Club Tokyo". Il insiste sur le terme de "club" en tant qu'entité pensée pour aider ses membres à exercer et partager leur passion. Il remarque par ailleurs que les autres groupes de ce genre emploient plus volontiers le terme "collectif" et ont tendance à être plus sélectifs, se limitant par conséquent à des microcosmes réservés aux initiés.
Ainsi, l'idée fondatrice de SPC Tokyo est de créer des connexions humaines et du partage sur le thème de la photographie de rue à travers des rencontres, des sorties ou des expositions tout en rejetant les a priori. Une approche rafraîchissante quand on sait à quel point le monde de l'art peut parfois être clos.
Il est difficile de dire exactement combien de personnes regroupe ce club, mais on peut légitimement penser que la quantité est très importante, d'autant qu'il comporte des antennes partout dans le monde, par exemple à New York, Taiwan, Berlin ou encore Londres.
A la manière japonaise Yusuke ne s'étend pas sur sa personne, il fait preuve de retenue et de discrétion : une qualité appréciable mais assez ennuyeuse pour une interview. Insister pour en savoir un peu plus sur lui devra se faire au mépris des règles de bienséance : entrer dans l'intimité de l'autre est une chose qui ne se fait pas ici, ce genre de gaucherie peut mettre votre interlocuteur en difficulté et être perçu comme une forme de grossièreté. Tant pis, il faut y aller...
Yusuke a 32 ans et travaille comme écrivain freelance pour des web magazines depuis 2016. Avant cela il avait un employeur mais son statut de salaryman ne lui convenait pas. Il m'explique qu'il fait parti d'une génération rejetant l'idée du costume cravate et des standards du travail à la japonaise. Cependant, être en conflit avec cette réalité est une chose, mais décider de s'en affranchir en est une autre car la pression sociale au Japon est énorme poursuit t-il. Par ailleurs les japonais sont, selon lui, un peuple timide : ainsi a t-il dû surmonter sa propre timidité pour se lancer en tant que travailleur indépendant. Cette décision a finalement été décisive pour son épanouissement personnel.
Nous finissons par nous croiser par hasard à côté d'une bouche de métro : nous sommes heureux de nous être retrouvés si facilement dans cette foule. Il nous faut du calme et nous décidons de trouver un café pour pouvoir discuter.
Depuis l'étage du Starbuck nous contemplons le carrefour dans une atmosphère plus sereine.
Yusuke Nagata est le fondateur de "Street Photography Club Tokyo". Il insiste sur le terme de "club" en tant qu'entité pensée pour aider ses membres à exercer et partager leur passion. Il remarque par ailleurs que les autres groupes de ce genre emploient plus volontiers le terme "collectif" et ont tendance à être plus sélectifs, se limitant par conséquent à des microcosmes réservés aux initiés.
Ainsi, l'idée fondatrice de SPC Tokyo est de créer des connexions humaines et du partage sur le thème de la photographie de rue à travers des rencontres, des sorties ou des expositions tout en rejetant les a priori. Une approche rafraîchissante quand on sait à quel point le monde de l'art peut parfois être clos.
Il est difficile de dire exactement combien de personnes regroupe ce club, mais on peut légitimement penser que la quantité est très importante, d'autant qu'il comporte des antennes partout dans le monde, par exemple à New York, Taiwan, Berlin ou encore Londres.
A la manière japonaise Yusuke ne s'étend pas sur sa personne, il fait preuve de retenue et de discrétion : une qualité appréciable mais assez ennuyeuse pour une interview. Insister pour en savoir un peu plus sur lui devra se faire au mépris des règles de bienséance : entrer dans l'intimité de l'autre est une chose qui ne se fait pas ici, ce genre de gaucherie peut mettre votre interlocuteur en difficulté et être perçu comme une forme de grossièreté. Tant pis, il faut y aller...
Yusuke a 32 ans et travaille comme écrivain freelance pour des web magazines depuis 2016. Avant cela il avait un employeur mais son statut de salaryman ne lui convenait pas. Il m'explique qu'il fait parti d'une génération rejetant l'idée du costume cravate et des standards du travail à la japonaise. Cependant, être en conflit avec cette réalité est une chose, mais décider de s'en affranchir en est une autre car la pression sociale au Japon est énorme poursuit t-il. Par ailleurs les japonais sont, selon lui, un peuple timide : ainsi a t-il dû surmonter sa propre timidité pour se lancer en tant que travailleur indépendant. Cette décision a finalement été décisive pour son épanouissement personnel.
Yusuke a commencé la photo de rue à l'âge de 20 ans sans même le savoir. A l'époque il photographiait les gens un peu à la manière de Bill Cunningham (célèbre pour ses clichés de look de rue). Son but était de garder une trace : le témoignage d'un moment qu'il pourrait se remémorer plus tard. Ce n'est que 5 ans plus tard, lors d'un voyage à New York et grâce à quelques rencontres qu'il découvre réellement la signification de la photographie de rue. Il comprend alors qu'il est possible de donner une profondeur supplémentaire à ses photos et décide d'arrêter de photographier de belles personnes sans trop réfléchir. Il commence à soigner ses compositions en prenant en compte l'espace qui l’entoure, les architectures, la lumière et l’attitude du sujet photographié. Mais il découvre surtout que ce travail artistique permet aussi de faire passer un message à travers une image. C'est un déclic pour lui car, comme il me l'explique, l'art de la photographie de rue est jeune et beaucoup de thèmes peuvent encore être abordés.
La vie nocturne est un sujet qu'il affectionne. Il s'inspire en cela d'Haruto Hoshi, un photographe japonais au parcours chaotique qui excelle dans l'art de capter la nuit et ses dérives. D'après Yusuke l'aisance d'Haruto à s’approprier cette atmosphère est due à ses 2 années passées derrière les barreaux. Il est par conséquent respecté par ce milieu et il sait "naturellement" comment s'y confronter.
Yusuke essaye également de souligner les contrastes, notamment les oppositions entre le rationnel et l'irrationnel. D'après lui les japonais vivent dans un environnement social très réglementé et codifié. Que ce soit au travail ou pour aller faire les courses leur comportement doit toujours être exemplaire. Il y a peu de place laissée à l'expression des sentiments et l'individu endosse le rôle que la société lui impose. Le résultat est une cohésion sociale quasiment parfaite et un grand respect des règles. Tout est, en quelque sorte, pensé en détails et rationalisé, offrant de ce fait une étonnante efficacité dans de nombreux domaines (transports, école, travail, loisirs...) mais cela laisse parfois une impression terne et sans saveur.
Ce comportement de la société en général trouve parfois son opposé et c'est ce que Yusuke cherche à montrer à travers ses photos. Comme il le souligne, "nous sommes des êtres humains : la droiture affichée pour faire bonne mesure doit forcément laisser place tôt ou tard à une part de folie, sinon nous serions des robots." Il recherche donc cette folie dans les rues et lorsqu'il la trouve le contraste est toujours saisissant : cette folie est d'autant plus prononcée que le carcan social est pesant. Alors l'être humain se laisse parfois aller à des dérives et Yusuke essaye d'être là pour le photographier.
La vie nocturne est un sujet qu'il affectionne. Il s'inspire en cela d'Haruto Hoshi, un photographe japonais au parcours chaotique qui excelle dans l'art de capter la nuit et ses dérives. D'après Yusuke l'aisance d'Haruto à s’approprier cette atmosphère est due à ses 2 années passées derrière les barreaux. Il est par conséquent respecté par ce milieu et il sait "naturellement" comment s'y confronter.
Yusuke essaye également de souligner les contrastes, notamment les oppositions entre le rationnel et l'irrationnel. D'après lui les japonais vivent dans un environnement social très réglementé et codifié. Que ce soit au travail ou pour aller faire les courses leur comportement doit toujours être exemplaire. Il y a peu de place laissée à l'expression des sentiments et l'individu endosse le rôle que la société lui impose. Le résultat est une cohésion sociale quasiment parfaite et un grand respect des règles. Tout est, en quelque sorte, pensé en détails et rationalisé, offrant de ce fait une étonnante efficacité dans de nombreux domaines (transports, école, travail, loisirs...) mais cela laisse parfois une impression terne et sans saveur.
Ce comportement de la société en général trouve parfois son opposé et c'est ce que Yusuke cherche à montrer à travers ses photos. Comme il le souligne, "nous sommes des êtres humains : la droiture affichée pour faire bonne mesure doit forcément laisser place tôt ou tard à une part de folie, sinon nous serions des robots." Il recherche donc cette folie dans les rues et lorsqu'il la trouve le contraste est toujours saisissant : cette folie est d'autant plus prononcée que le carcan social est pesant. Alors l'être humain se laisse parfois aller à des dérives et Yusuke essaye d'être là pour le photographier.
Armé de son Leica M6 il sort de chez lui en regardant des vidéos d'André Wagner (photographe de rue correspondant au Times) sur son téléphone pour se donner de l'inspiration. La plupart du temps il arpente les rues de Shinjuku depuis la fin de la matinée jusqu'à la tombée de la nuit. Des heures et des heures de marche pour trouver la milliseconde de lumière qui imprimera sa pellicule : c'est "l'instant décisif" qu'Henri Cartier Bresson avait si bien défini.
Yusuke admet que cette passion est physique, fatigante et parfois dangereuse. Son ami Katsu s'est déjà fait frapper pour avoir pris des gens en photo, mais ça ne l’arrêtera pas car il pense que le jeu en vaut la chandelle. Le plus difficile n'est pas de prendre des coups, mais plutôt d'arriver à trouver ce qu'il appelle la photo "universelle", celle qui réunit les regards et les émotions. Il poursuit : "une autre difficulté est la démocratisation assez récente de la photographie. Aujourd'hui tout le monde prend des photos et il semble que l’œil ne soit plus exercé au beau. Sous ces tonnes d'images déversées par les réseaux sociaux il est difficile de faire valoir ses qualités artistiques. Il n'y a pas si longtemps nous utilisions des pellicules et cela coûtait cher, les gens faisait un minimum d'effort pour chercher à mettre en valeur un sujet ou composer quelque chose d'agréable à regarder. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, on se retrouve avec des successions de photos qui n'ont pas d’intérêt hormis peut être celui de témoigner d'une époque égocentrique où la plupart des gens sont des stars du selfie.
Après 6 mois de travail Yusuke Nagata vient de sortir un très beau recueil de photos intitulé "Tokyo night stories" dans lequel il a photographié la jeunesse de Shinjuku la nuit. Au delà d'être un témoignage social par une approche artistique, ce recueil est aussi un plaidoyer pour inciter les jeunes Japonais à sortir plus de chez eux. Il déplore en voir de moins en moins et il pense que les jeunes ne sortent plus car les rencontres, tout comme les loisirs, deviennent de plus en plus virtuels. Pourtant la fête, les rencontres et le partage sont le sel de la vie me dit-il.
Il termine en me montrant une photo de 2 beaux lycéens adossés à un mur blanc sur lequel est écrit en noir "drinking beer is wasting your time but not drinking beer is wasting your life" (boire de la bière c'est perdre son temps mais ne pas boire de bière c'est gâcher sa vie). Sans avoir besoin de nous le dire nous décidons de quitter le Starbuck et d'aller boire une bière à Shinjuku dans l'espoir d'y photographier la vie.
Yusuke admet que cette passion est physique, fatigante et parfois dangereuse. Son ami Katsu s'est déjà fait frapper pour avoir pris des gens en photo, mais ça ne l’arrêtera pas car il pense que le jeu en vaut la chandelle. Le plus difficile n'est pas de prendre des coups, mais plutôt d'arriver à trouver ce qu'il appelle la photo "universelle", celle qui réunit les regards et les émotions. Il poursuit : "une autre difficulté est la démocratisation assez récente de la photographie. Aujourd'hui tout le monde prend des photos et il semble que l’œil ne soit plus exercé au beau. Sous ces tonnes d'images déversées par les réseaux sociaux il est difficile de faire valoir ses qualités artistiques. Il n'y a pas si longtemps nous utilisions des pellicules et cela coûtait cher, les gens faisait un minimum d'effort pour chercher à mettre en valeur un sujet ou composer quelque chose d'agréable à regarder. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, on se retrouve avec des successions de photos qui n'ont pas d’intérêt hormis peut être celui de témoigner d'une époque égocentrique où la plupart des gens sont des stars du selfie.
Après 6 mois de travail Yusuke Nagata vient de sortir un très beau recueil de photos intitulé "Tokyo night stories" dans lequel il a photographié la jeunesse de Shinjuku la nuit. Au delà d'être un témoignage social par une approche artistique, ce recueil est aussi un plaidoyer pour inciter les jeunes Japonais à sortir plus de chez eux. Il déplore en voir de moins en moins et il pense que les jeunes ne sortent plus car les rencontres, tout comme les loisirs, deviennent de plus en plus virtuels. Pourtant la fête, les rencontres et le partage sont le sel de la vie me dit-il.
Il termine en me montrant une photo de 2 beaux lycéens adossés à un mur blanc sur lequel est écrit en noir "drinking beer is wasting your time but not drinking beer is wasting your life" (boire de la bière c'est perdre son temps mais ne pas boire de bière c'est gâcher sa vie). Sans avoir besoin de nous le dire nous décidons de quitter le Starbuck et d'aller boire une bière à Shinjuku dans l'espoir d'y photographier la vie.