Interview de Myriam Greff
Kintsugi.mp3 (3.85 Mo)
Quel a été ton parcours?
Après mon bac, j’ai fait une prépa littéraire et un an d’histoire, mais il me manquait quelque chose. Au lycée, j’aimais autant les sciences que les lettres, mais je crois que surtout, j’avais envie de faire quelque chose avec mes mains. Enfant, puis adolescente, j’ai connu ma mère faisant du modelage et mon grand-père de la sculpture sur bois, cela a dû jouer… J’ai donc décidé de faire un master de restauration du patrimoine à l’École de Condé, à Paris.
Et ce choix plus précisément de la céramique, pourquoi?
Cela faisait la synthèse de tout ce qui m’intéressait: les couleurs, la lumière, la matière, la forme, le volume. La céramique, c’est une œuvre globale autour de laquelle on peut tourner, en 3D.
Quand et comment as-tu découvert le Kintsugi?
J’en avais vaguement entendu parler pendant mes études, qui comportaient un volet sur l’histoire de la restauration à travers les siècles et les continents, mais honnêtement, pas plus que cela. C’est surtout lors d’une rencontre de collectionneurs à La Borne (NDLR: haut lieu de la céramique et de la poterie en Berry) que plusieurs personnes m’ont demandé si je pratiquais le kintsugi. Cela m’a donné envie de me (re)pencher dessus… C’était en 2014. A part les amateurs de céramique japonaise, personne ne s’y intéressait vraiment, à l’époque.
Qu’est-ce qui t’a plu dans cet art?
Sa philosophie. Le fait de rendre désirable quelque chose qui ne l’est plus, de transformer en objet de désir un objet de rebus. J’ai bien aimé aussi son côté développement durable et écolo. Contrairement à la retouche illusionniste qui utilise plein de produits toxiques, tous les produits utilisés dans le kintsugi sont eco-friendly, ce qui permet même aux objets restaurés de retrouver un usage alimentaire, si les gens le souhaitent. Et puis poser de l’or plutôt que du polyuréthane, c’est quand même plus sympa! (Rires)
Quelles démarches as-tu effectuées pour te former?
J’ai fait quelques stages en laque classique, mais surtout, je me suis beaucoup documentée. Je me suis appuyée sur les compétences techniques que j’avais pu acquérir au cours de ma formation, et surtout, surtout, j’ai fait un nombre incalculable d’expérimentations et d’essais! En fonction de la température, de l’hygrométrie, des dilutions… Il y a tellement de paramètres à prendre en compte si l’on veut que cela fonctionne! Ma pratique actuelle se nourrit de 10 ans de restauration et de 4 ans de recherche.
Alors, justement, quelles sont les grandes étapes d’une restauration?
Il y a d’abord la phase de nettoyage et de stabilisation si besoin (par exemple si l’objet a déjà été réparé à la colle, il faut l’enlever, si des écailles sont en cours, il faut faire en sorte de les stopper…). Ensuite, c’est la phase "puzzle": il faut recoller les morceaux avec un mélange de laque et de colle de farine de riz, en les maintenant dans la bonne position, puis, une fois que c’est sec, combler les fissures avec un mélange de laque et de tonoko (poudre d’argile sèche), voire reconstituer et recombler des parties s’il manque des pièces ou que les failles sont trop grandes. Plusieurs couches de laque sont ensuite nécessaires, jusqu’à la dernière, la laque rouge, à base d’oxyde de fer, qui est celle sur laquelle seront déposées les feuilles ou la poudre d’or. Pour l’anecdote, je fais venir cette poudre directement du Japon, d’une entreprise spécialisée très artisanale, à laquelle je passe commande par fax, car ils n’ont pas internet!
Comment travailles-tu aujourd’hui? Tu es à ton compte?
Oui. J’ai créé l’Atelier Kintsugi en 2015, à Montluçon, dans l’Allier, puisque c’est là où je me suis installée entretemps.
Quelles sont les pièces que tu répares le plus? A qui appartiennent-elles? Plutôt des institutions/des particuliers? Qui est ton public?
Je répare surtout des pièces anciennes. Plutôt pour des particuliers, qui rentrent sous trois grandes catégories: des gens intéressés par l’aspect recycling ou upcycling des objets, des gens intéressés plutôt par la philosophie du kintsugi ou des fans du Japon. C’est surtout via internet qu’on me sollicite.
Sur quels projets es-tu en cours actuellement? Quelles sont tes perspectives pour l’avenir? Qu’aimerais-tu faire?
Je voudrais pouvoir utiliser le kintsugi pour en faire autre chose. Utiliser cette technique, qui est une technique de restauration, dans une démarche de création. Travailler d’autres types d’objets, plus contemporains, utiliser d’autres couleurs, d’autres matériaux. Là, par exemple, je viens de travailler un buste de femme, que j’ai peint avec une bombe de graffeur, dans un bleu hyper vif. J’ai aussi découpé un violon pour le remonter à l’envers et le transformer en vase, après avoir bouché ses ouïes à l’or. Ce sont deux des pièces que je vais présenter au Concours Arte Laguna de Venise. C’est un projet qui me tient à cœur en ce moment. Et courant décembre 2018, je vais avoir l’occasion d’exposer mon travail au Musée des Arts Déco, à Paris, dans le cadre d’une manifestation en lien avec le Japon. Voilà pour les perspectives à courte échéance.
Après mon bac, j’ai fait une prépa littéraire et un an d’histoire, mais il me manquait quelque chose. Au lycée, j’aimais autant les sciences que les lettres, mais je crois que surtout, j’avais envie de faire quelque chose avec mes mains. Enfant, puis adolescente, j’ai connu ma mère faisant du modelage et mon grand-père de la sculpture sur bois, cela a dû jouer… J’ai donc décidé de faire un master de restauration du patrimoine à l’École de Condé, à Paris.
Et ce choix plus précisément de la céramique, pourquoi?
Cela faisait la synthèse de tout ce qui m’intéressait: les couleurs, la lumière, la matière, la forme, le volume. La céramique, c’est une œuvre globale autour de laquelle on peut tourner, en 3D.
Quand et comment as-tu découvert le Kintsugi?
J’en avais vaguement entendu parler pendant mes études, qui comportaient un volet sur l’histoire de la restauration à travers les siècles et les continents, mais honnêtement, pas plus que cela. C’est surtout lors d’une rencontre de collectionneurs à La Borne (NDLR: haut lieu de la céramique et de la poterie en Berry) que plusieurs personnes m’ont demandé si je pratiquais le kintsugi. Cela m’a donné envie de me (re)pencher dessus… C’était en 2014. A part les amateurs de céramique japonaise, personne ne s’y intéressait vraiment, à l’époque.
Qu’est-ce qui t’a plu dans cet art?
Sa philosophie. Le fait de rendre désirable quelque chose qui ne l’est plus, de transformer en objet de désir un objet de rebus. J’ai bien aimé aussi son côté développement durable et écolo. Contrairement à la retouche illusionniste qui utilise plein de produits toxiques, tous les produits utilisés dans le kintsugi sont eco-friendly, ce qui permet même aux objets restaurés de retrouver un usage alimentaire, si les gens le souhaitent. Et puis poser de l’or plutôt que du polyuréthane, c’est quand même plus sympa! (Rires)
Quelles démarches as-tu effectuées pour te former?
J’ai fait quelques stages en laque classique, mais surtout, je me suis beaucoup documentée. Je me suis appuyée sur les compétences techniques que j’avais pu acquérir au cours de ma formation, et surtout, surtout, j’ai fait un nombre incalculable d’expérimentations et d’essais! En fonction de la température, de l’hygrométrie, des dilutions… Il y a tellement de paramètres à prendre en compte si l’on veut que cela fonctionne! Ma pratique actuelle se nourrit de 10 ans de restauration et de 4 ans de recherche.
Alors, justement, quelles sont les grandes étapes d’une restauration?
Il y a d’abord la phase de nettoyage et de stabilisation si besoin (par exemple si l’objet a déjà été réparé à la colle, il faut l’enlever, si des écailles sont en cours, il faut faire en sorte de les stopper…). Ensuite, c’est la phase "puzzle": il faut recoller les morceaux avec un mélange de laque et de colle de farine de riz, en les maintenant dans la bonne position, puis, une fois que c’est sec, combler les fissures avec un mélange de laque et de tonoko (poudre d’argile sèche), voire reconstituer et recombler des parties s’il manque des pièces ou que les failles sont trop grandes. Plusieurs couches de laque sont ensuite nécessaires, jusqu’à la dernière, la laque rouge, à base d’oxyde de fer, qui est celle sur laquelle seront déposées les feuilles ou la poudre d’or. Pour l’anecdote, je fais venir cette poudre directement du Japon, d’une entreprise spécialisée très artisanale, à laquelle je passe commande par fax, car ils n’ont pas internet!
Comment travailles-tu aujourd’hui? Tu es à ton compte?
Oui. J’ai créé l’Atelier Kintsugi en 2015, à Montluçon, dans l’Allier, puisque c’est là où je me suis installée entretemps.
Quelles sont les pièces que tu répares le plus? A qui appartiennent-elles? Plutôt des institutions/des particuliers? Qui est ton public?
Je répare surtout des pièces anciennes. Plutôt pour des particuliers, qui rentrent sous trois grandes catégories: des gens intéressés par l’aspect recycling ou upcycling des objets, des gens intéressés plutôt par la philosophie du kintsugi ou des fans du Japon. C’est surtout via internet qu’on me sollicite.
Sur quels projets es-tu en cours actuellement? Quelles sont tes perspectives pour l’avenir? Qu’aimerais-tu faire?
Je voudrais pouvoir utiliser le kintsugi pour en faire autre chose. Utiliser cette technique, qui est une technique de restauration, dans une démarche de création. Travailler d’autres types d’objets, plus contemporains, utiliser d’autres couleurs, d’autres matériaux. Là, par exemple, je viens de travailler un buste de femme, que j’ai peint avec une bombe de graffeur, dans un bleu hyper vif. J’ai aussi découpé un violon pour le remonter à l’envers et le transformer en vase, après avoir bouché ses ouïes à l’or. Ce sont deux des pièces que je vais présenter au Concours Arte Laguna de Venise. C’est un projet qui me tient à cœur en ce moment. Et courant décembre 2018, je vais avoir l’occasion d’exposer mon travail au Musée des Arts Déco, à Paris, dans le cadre d’une manifestation en lien avec le Japon. Voilà pour les perspectives à courte échéance.