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Postes d’eau autonomes (PEA) privés au Bénin : Ces robinets de la mort lente


Par Alain Tossounon Rédigé le 04/05/2010 (dernière modification le 04/05/2010)

La situation de faible taux de desserte en eau potable dans les départements de l’Ouémé et du Plateau et dans les milieux péri-urbains, a engendré ces dernières années, la prolifération des Postes d’eau autonomes (PEA) privés. Prouvée insalubre, l’eau des PEA constitue une menace pour la santé des populations condamnées à y avoir recours. Si leur suppression n’est pas envisagée par les autorités centrales, la seule alternative reste le traitement de l’eau vendue aux communautés. Mais, combien de temps attendront-elles encore ?


La source de vie est devenue source de mort. Et cette mort, on peut l’acheter à 5 FCFA la bassine dans les localités où le commerce de l’eau, a connu un véritable essor. Au petit matin, alors que les enfants s’apprêtent à retrouver le chemin de l’école, Maman Pauline, originaire du village Agbalilamè dans l’arrondissement d’Agblangandan dans la commune de Sèmè-Podji, attrape sa bassine comme chaque matin à la quête du liquide bleu. A quelques pas de son habitation, elle emprunte la rue située derrière l’église catholique. Sur le chemin, on aperçoit, un grand réservoir de couleur bleu soutenu par 4 piliers raccordés à un puits et muni d’un tuyau qui fait jaillir l’eau.

Sur les lieux, Maman Pauline n’est pas seule, elle retrouve plusieurs femmes, des jeunes filles et des enfants attroupés autour du dispositif. C’est un château d’eau pour son propriétaire, Richard Owotan-Bankola. Mais pour les acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement, c’est un poste d’eau autonome (PEA) privé. Accueillant ces clientes, il raconte : «si j’ai construit ce château, c’est parce que nous connaissons des problèmes d’eau dans cette zone». Pour le réaliser, le processus n’a pas été long. «C’est en nous inspirant des puits creusés par les populations d’Ifangni (une localité voisine) que cela a été fait». Aujourd’hui, il utilise une pompe pour remonter l’eau à la surface.
Dans son univers, Richard Owotan-Bankola est considéré comme «le messie» pour l’eau qu’il vend. Ces clientes avouent leurs reconnaissances. Car, hier encore elles parcouraient plusieurs kilomètres pour aller à la quête du liquide précieux. «Merci pour le château qui m’aide beaucoup à diminuer ma peine quotidienne», confie dame Sèmanou. «C’est un cadeau du ciel que nous a offert le propriétaire de ce point d’eau», renchérit Mme Agbozo dite maman Jawu. «Depuis que les forages du village ont cessé de fonctionner, c’est lui qui sauve cette localité», témoigne le conseiller du village, Cyprien Chanvoédo.

Réalisé grâce à un prêt dans une banque de la place, le «sauveur» du village ne se fait aucunement du souci pour récupérer son investissement et rembourser la banque. Avec un chiffre d’affaires journalier de 1.000 à 1.500 FCFA en saison pluvieuse et de 1.500 à 2.500 FCFA en saison sèche, la bassine d’eau de 10 litres coûte 5 à 10 FCFA.
Mais ce commerce de l’eau qui peut apparaître comme une pratique insolite n’en est pas une. Car, dans cette commune et cette région du Bénin, cette pratique a pris de l’envol depuis quelques années. Déjà, en 2004, l’ancienne Direction générale de l’hydraulique aujourd’hui Direction Générale de l’eau avait dénombré 400 postes d’eau autonomes dans les départements de l’Ouémé et du Plateau. Deux départements qui totalisent à eux seuls, 94% de tous les PEA existant à travers tout le territoire national. Les communes d’Ifangni, d’Akpro-Missérété, d’Adja-Ouèrè et de Pobè enregistrant le taux record.

Une réponse locale face à la démission de l’État

Photo (c) DR
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Même dans le contexte de l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le Développement (OMD) qui mobilise tous les acteurs pour la réduction de moitié des populations n’ayant pas accès à l’eau potable d’ici 2015 (Cible 10 de l’objectif n°7), les signaux sont au rouge dans le département de l’Ouémé où se situe la commune de Sèmè-Podji. En effet, selon le Livre bleu, une initiative citoyenne conjointe d’un groupe d’organisations non étatiques du secteur de l’eau et de l’assainissement qui a réalisé une évaluation du secteur en 2008, le département de l’Ouémé auquel appartient cette commune, enregistre le taux de desserte le plus faible du Bénin. Il est de 20% alors que la moyenne nationale est de 49,9 % selon l’aide-mémoire de la Revue du Budget Programme par Objectifs de l’année 2008.

Ainsi, près de 80% des populations de ce département n’ont pas accès à l’eau potable. Une disparité que viennent combler les PEA privés qui n’ont jamais été pris en compte par les statistiques de la Direction Générale de l’Eau. «J’ai construit cet ouvrage pour soulager ma famille et pour donner de l’eau aux populations de ma localité», justifie le propriétaire d’un PEA privé à Akpro-Missérété, François Adjokignon Atougbovi. Au total, entre 138000 et 276000 personnes s’approvisionnent dans cette région auprès de ces opérateurs privés et 45 ménages sur 50 utilisent l’eau provenant de leurs PEA.

Le manque d’eau potable est vraisemblablement à l’origine de l’émergence de ces PEA que l’on retrouve aussi bien en milieu semi-urbain (relevant de la compétence de la SONEB) qu’en milieu rural (ressort des communes mais encore géré presque entièrement par la DGEau).
Face à ce besoin pressant et inévitable, les bénéficiaires des prestations se préoccupent très peu de la potabilité de l’eau achetée moins chère qu’au robinet de la SONEB. Au contraire, les consommatrices, à l’instar de Mme Agbozo de la commune d’Akpro-Missérété, estiment que l’eau desservie par les PEA privés est potable. Une perception bien fausse, assure l’ingénieur en hydraulique et chef service eau dans l’Ouémé/Plateau, Pierre Codjo qui rapporte les résultats d’une étude réalisée sur 60 PEA et qui a révélé la présence de substances et de composés indésirables pour la boisson.

Un danger pour la santé

En se référant aux résultats de cette étude, on constate que sur les 60 PEA inspectées, 44 comportaient des bactéries dangereuses (Salmonella et Shigella), 52 des bactéries d’origine fécale, 58 des bactéries appelées coliformes. Dans 8 cas, on a retrouvé des composés indésirables tels que les Nitrates, les Nitrites et l’Ammonium. L’identification de ces agents pathogènes dans l’eau vendue par les PEA privés a certainement des conséquences sur la santé des populations. Une thèse que soutient Fabienne Zannou qui, dans son mémoire, énumère les maladies hydriques auxquelles sont exposés les consommateurs de cette eau insalubre. Il s’agit du choléra, de la salmonelle (responsable de la typhoïde), de l’escherichra Coli (bactérie de l’intestin) pour le compte des bactéries survivant dans l’eau, les pseudomonas, les aéromonas, les légionelles pour les bactéries pathogènes qui se développent dans l’eau, des parasites et des virus à l’origine de l’hépatite A et E. Elle souligne surtout le cas particulier de la diarrhée, un concomitant de nombreuses maladies infectieuses (fièvre typhoïde, dysenterie, choléra…).

Le message du docteur Aurel Sènami Adjakidjè, médecin-chef du Centre de Santé de la commune d’Akpro-Missérété, est aussi sans appel. Parce que les communautés consomment de l’eau impropre à la consommation, il n’est pas rare d’enregistrer dans son centre des cas de maladies diarrhéiques. Pour éviter les risques, le chef-service Hygiène et Assainissement de la commune d’Akpro-Missérété, Jonas Irénicashé menace. «Il faut traiter tous les eaux provenant de ces PEA privés parce que leur réalisation ne respecte aucune norme d’hygiène». «Il faut même envisager leur fermeture», soutient-il. Mais son appel est loin d’être entendu pour l’instant. Le Directeur Général de l’eau, Banni Samari prévient que les PEA sont «un fléau» à l’image de la vente illicite d’essence frelatée où l'État a toujours été impuissant dans son combat pour l’éradiquer.

Et les populations, 34 ans après la création des premiers PEA, n’ont toujours pas conscience qu’elles boivent de l’eau souillée à l’origine de plusieurs maladies dont elles sont victimes et qui aggravent leur situation de pauvreté. Un manque d’information pour contrer l’ignorance des règles d’hygiène et de propreté que l’on observe encore dans le contexte actuel où le pays travaille à atteindre l’OMD lié à l’assainissement. Un combat perdu d’avance puisque, l’état des lieux fait par le secrétaire général du ministère en charge de la Santé au cours de la Revue du Budget Programme par Objectifs 2008, a révélé qu’à peine 4% des ménages se lavent réellement les mains à l’eau et au savon, 17% des ménages évacuent correctement leurs déchets et 67% ne disposent pas encore d’ouvrages adéquats d’évacuation des excréta.

Sensibiliser à la potabilisation, le défi à relever

Avec la journée mondiale de l’eau 2010 dont le thème cette année porte sur «de l’eau propre pour un monde sain», l’occasion était bonne pour faire de cette question une préoccupation nationale. Mais, c’est le département des Collines qui a été choisi pour la commémoration. En justifiant ce choix, le directeur général de l’eau, Bani Samari a indiqué que dans ce département, 569 sur 2469 forages ont été fermés pour la mauvaise qualité de leurs eaux. Et même s’il n’ignore pas le cas des PEA privés, il indique qu’il faut sensibiliser les promoteurs pour les convaincre de rendre potable l’eau qu’il vende aux populations. Car, signale-t-il, «il y a des méthodes de traitement». Seulement, fraudait-il qu’ils acceptent de payer le prix du traitement. Ce qui n’est pas gagné d’avance. Aujourd’hui, maîtres d’ouvrages en matière d’approvisionnement en eau potable, les communes sont appelées à la rescousse.

Déjà, la mairie d’Avrankou a pris sa responsabilité en expérimentant après un recensement exhaustif de tous les puits et les PEA privés dans la commune, l’utilisation de pots diffuseurs au niveau des châteaux d’eau pour améliorer la potabilité de l’eau. Une expérience qui a été accueillie favorablement, et qui a l’avantage d’assurer la continuité du service, de réduire le coût d’achat de l’eau comparé à celui de la SONEB. Plus encore, elle ouvre la porte au dialogue avec les promoteurs de PEA privés qui, dans une approche GIRE (gestion intégrée des ressources en eau) à laquelle a adhéré le Bénin depuis 1998, ne doivent pas être exclus. Mais pour le reste des autres communes, la situation est toujours la même. Et lorsque le Directeur Général de l’eau estime que l'eau potable pour tous reste un idéal, les communautés des départements de l’Ouémé et du Plateau où prolifèrent les PEA privés, continuent de boire de l’eau insalubre s’exposant aux maladies hydriques mortelles dans le silence coupable des autorités.
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