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Interview de Jean-François Donzier, secrétaire général du Riob


Par Rédigé le 17/07/2015 (dernière modification le 16/07/2015)

La collecte des données est un préalable important pour une bonne gestion des ressources en eau. C’est ce que le directeur général de l’Office international de l’eau (OIE) et secrétaire général mondial du Réseau international des organismes de bassins (Riob), Jean-François Donzier, soutient dans cet entretien qu’il nous a accordé au cours de son passage à Cotonou. Se fondant sur l’expérience du Riob, il défend que la gestion par bassin constitue une panacée pour une meilleure gouvernance des ressources en eau.


Aujourd’hui que peut-on retenir comme acquis du travail que fait l’Office international de l’eau?

Jean-François Donzier. Photo (c) A.T.
Jean-François Donzier. Photo (c) A.T.
Il y a plusieurs points. Le premier, c’est le travail que nous faisons au niveau international avec pour particularité d’être uniquement le conseil des gouvernements ou des autorités locales pour conduire des réformes visant à mieux gérer l’eau. Cela passe par la mise en place de structures de bassins, que ce soit au niveau des bassins nationaux ou des bassins transfrontaliers, en particulier en Afrique. Donc, nous travaillons pratiquement avec tous les grands fleuves transfrontaliers africains de façon à leur faciliter la vie et à les aider dans la mise en place de leurs outils pour leur permettre de faire face aux enjeux majeurs auxquels ils sont confrontés.
Nous travaillons sur deux autres sujets à savoir la production de données sur l’eau et la mise en place de système d’information sur l’eau, également au niveau local ou au niveau national, voire transfrontalier, puisque l’échange de données entre pays riverains de grands fleuves est très important. C’est véritablement un enjeu majeur aujourd’hui parce qu’on ne sait pas gérer si on ne sait pas mesurer. Donc, on essaie de pousser les gouvernements à mettre en place ce nouveau système lorsqu’ils n’en ont pas déjà de préétabli cohérent. Bien entendu, nous avons tous les outils, que ce soient les outils traditionnels ou les outils plus modernes avec les images de satellites ou l’utilisation des grises qui peuvent utiliser pour produire des données de qualité. Le troisième point très important sur lequel nous travaillons, c’est la formation professionnelle des administrations et des organismes de bassins. Mais aussi formation professionnelles des employés des services des eaux, que ce soient les services d’irrigation collective ou les services de l’eau potable et de l’assainissement des villes et des campagnes. Nous savons que beaucoup d’investissements réalisés ne marchent pas, ou marchent très mal, et surtout se dégradent dès leur construction parce qu’il n’y a pas sur place d’équipes formées pour assurer toutes les tâches d’exploitation et de maintenance de sorte à ce que le bon fonctionnement soit assuré 24H/24. Donc, il y a un gros effort à faire surtout à l’endroit des employés du bas de niveau, c’est-à-dire des ouvriers, et des employés de bureau pour les tâches administratives. Mais j’insiste sur les ouvriers parce que ce sont eux qui ont les mains dans l’eau et pas les ingénieurs.

Peut-on dire que l’office international est une structure de plaidoyer?

Oui, c’est une structure de plaidoyer, car nous avons nos idées et notamment nous travaillons beaucoup avec les agences des Nations Unies, en particulier l’UNESCO, la Commission des Nations Unies pour l’Europe, le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’OCDE sur les évolutions et principes qui doivent être mis en avant au niveau international. Nous sommes aussi un opérateur, un fournisseur de services, à la fois des services de conseil aux gouvernements pour conduire des réformes, mise en place de systèmes d’informations sur l’eau de façon très concrète avec les mesures, le transfert de données, le traitement de données pour qu’elles soient utilisables et puis cet aspect formation professionnelle qui va à la fois de la formation directe à la demande d’un grand nombre d’organismes chez eux, mais aussi de l’aide à la création dans les pays qui le souhaitent de centres de formation spécialisés pour de personnels techniques qui ne sont pas à l’aise dans les grandes écoles et dans les grandes universités.

Dans les pays africains, il est remarqué qu’il n’y a pas un système efficace de collecte de données. Quels conseils donnez-vous pour arriver à la production de ces données qui permettent de suivre la gestion des ressources en eau?

Les données sont indispensables pour concevoir les politiques. Elles permettent d’établir les états des lieux et de pouvoir évaluer l’efficacité des politiques qui sont conduites. Le problème, c’est que la production des données et leur traitement supposent des dépenses importantes. C’est à la fois des dépenses en investissements, mais ce n’est pas à la limite les plus lourdes, et surtout des dépenses de fonctionnement courant. Tous les pays sont confrontés à cette question de coût de la production des données et de la comparaison entre l’investissement dans un système d’informations et le besoin de donner l’eau potable pour permettre aux agriculteurs d’irriguer. Les deux coûtant la même chose, les gouvernements, s’ils ne peuvent pas se payer les deux en même temps, choisissent évidemment le service direct aux populations. Cela équivaut naturellement à une façon de reculer pour mieux sauter parce que tôt ou tard, ils auront besoin des données. Le souci, c’est qu’ils vont faire des erreurs dans la conception des ouvrages et dans leur mode de mise en place de leurs politiques s’ils n’ont pas un bon diagnostic de ce qui se passe de vrai sur le terrain et dans les différents services des eaux. Aujourd’hui, on sait comment faire et ce n’est absolument pas un problème technique. Nous avons tous les systèmes et nous savons comment faire. Dans chaque cas particulier, l’Office international de l’eau peut conseiller les gouvernements sur la mise en place des choses les plus appropriées. Une des difficultés qu’on rencontre en Afrique, c’est que les gouvernements ne vont pas très loin dans le financement de ce système avec leurs moyens propres et sont complètement dépendants des bailleurs internationaux. Le drame, c’est que les bailleurs payent pour des projets, en général, de trois ou quatre ans et puis après arrêtent. Conséquence, tout ce qui a été fait s’arrête. Non seulement que ces projets s’arrêtent, mais se dégradent pendant qu’on attend peut-être le prochain financement. Il y a des appareils sur le terrain qui ne sont pas entretenus, voire qui ne sont pas surveillés, très vite les gens vont en prendre des morceaux ou les détraquer. Donc, trois ans et trois ans et rien ne progresse. Surtout que dans certaines zones les choses sont compliquées parce que l’autorité n’est pas forcément assurée. Dans les zones qui sont réellement calmes et sous contrôle, on sait bien faire le travail et il faut qu’on arrive à changer ce problème du financement du système d’informations.

Pourquoi pensez-vous que la gestion de l’eau doit se faire par bassin?

C’est très bête car l’eau coule de haut en bas. En général, elle coule des collines montagnes vers la mer. Des frontières ou des limites administratives existent depuis des millénaires, mais cela n’empêche pas l’eau de couler. L’eau ne connaît pas les frontières, qu’elles soient nationales ou administratives ou internes à chaque pays. Si on veut une gestion cohérente de la ressource, et aujourd’hui c’est indispensable avec les effets du changement climatique, il faut, à l’échelle où l’eau est naturellement disponible, s’organiser. Évidemment, cela change un certain nombre d’habitudes, mais cela paye. Surtout que la gestion par bassin n’est plus une trouvaille. On a beaucoup d’exemples: depuis 50 ans, le système marche en France; en Espagne, elle marche depuis plus longtemps encore, 70 ans environ. Dans beaucoup d’autres pays, c’est 20, 25 ou presque 30 ans d’expérience. Donc, aujourd’hui on sait que c’est gagnant.

Qu’est-ce qu’on gagne concrètement en choisissant de faire la gestion de l’eau par bassin?

Des choses qu’on gagne, il y a d’abord tout ce que l’on ne peut pas faire tout seul. Les pays d’aval ont besoin des pays d’amont pour lutter contre les sècheresses en créant des réservoirs, des barrages; lutter contre la pollution. Les pays d’amont ont aussi besoin des pays d’aval pour la navigation et, éventuellement, pour le partage de la production hydraulique, comme la pêche. Il faut que les poissons puissent remonter les cours des rivières. Donc, tout le monde se tient. C’est comme une sorte de solidarité qui existe et si on casse cette solidarité, on ne peut plus assurer une bonne gestion de l’eau.
Aujourd’hui avec l’augmentation des phénomènes extrêmes liés aux changements climatiques, il y a plus d’inondations, plus de sécheresses. Alors, indiscutablement tous les pays qui n’ont pas encore adopté ce type d’organisation pour leur gestion de l’eau s’y mettent le plus vite possible. Et on a aussi tous les outils et moyens pour les aider à faire vite dans la mise en œuvre des réformes.

Qu’est-ce qui bloque véritablement l’adoption de la gestion par bassin dans les pays africains?

Investir dans la gestion par bassin rapporte forcément. Alors pourquoi on n’y va plus vite? La vraie réponse est d’abord politique parce qu’elle perturbe, bouleverse les habitudes. Dans beaucoup de cas, le principal frein à cette mise en place de cette nouvelle politique, c’est l’administration qui, elle-même, est organisée de façon différente. Quand on lui dit qu’il faut changer la façon dont ça marche, elle dit qu’elle gère bien et qu’il n’y a pas de raison pour qu’elle fasse autrement. Dans tous les pays du monde, une réforme institutionnelle est toujours longue. Il faut le temps d’y réfléchir, le temps de voter une loi nationale, mettre en place les textes d’application et créer les structures. Conséquence, il n’y a pas de réforme qui dure moins de 5 à 10 ans. Dans tous les pays du monde, même avec une volonté politique très forte d’aboutir, il faut 5 à 10 ans pour que les institutions nouvelles soient réellement opérationnelles sur le terrain. Par contre, aujourd’hui on a suffisamment d’exemples, et pas seulement les pays du Nord. Je vous citais tout à l’heure la France et l’Espagne. Aussi, on ne va pas proposer à un pays africain qui n’a pas encore développé ces pratiques de tout de suite adopter un système comme celui qu’il y a en Europe. Ce serait complètement absurde.

La gestion par bassin concerne plusieurs utilisateurs. Quelles sont les bonnes pratiques qui permettent de réussir à mettre tous ces utilisateurs autour d’une table pour fixer les modalités de gestion?

Le meilleur moyen qu’on connaît aujourd’hui, c’est la création d’un comité de bassin. L’idée est de mettre ensemble des représentants, bien représentatifs, des différentes catégories professionnelles. Ces représentants ont pour responsabilité de parler au nom de ceux qu’ils représentent, mais ils doivent pouvoir aussi prendre des décisions en leur nom et de retourner les leur faire appliquer une fois à la maison. Pour faire avancer la discussion et éviter qu’elle se termine en plusieurs, où les utilisateurs s’accusent mutuellement de pollution, ou de gaspillage, etc., il faut la mise en place de système d’informations. Ainsi, à partir de celui-ci, différents scenarii pour solutionner les dysfonctionnements pourraient être mis en discussion. Tout cela permet aux différents acteurs d’avoir une vision commune. Le Niger, le Sénégal, etc., sont arrivés à cette étape. A partir de cette vision, on débite le temps par programme, et il faut que ce soit réaliste. La dernière question à se poser, c’est de savoir celui qui paye. C’est toujours compliqué de le savoir. Ce qui est pourtant sûr, c’est que si personne ne paye, il ne se passera rien parce que l’argent ne tombe pas du ciel. Il y a toujours quelqu’un, un groupe, des groupes ou tout le monde qui doit contribuer à payer. Mais très souvent l’argent doit venir du pays ou de la région. Et pour y arriver, il n’y a pas trente-six solutions, il faut payer les taxes. Il peut s’agir des taxes locales, des taxes nationales ou des taxes de bassin qu’on appelle généralement des redevances sur les prélèvements et les rejets. En gros, c’est la règle du pollueur, préleveur payeur. Il peut s’agir aussi des transferts parce que l’électricité qui est un secteur rentable peut au moins payer partiellement pour l’eau ; les mines peuvent également très bien payer pour l’eau, surtout avec tous les dégâts qu’elles occasionnent. De même, le transport fluvial peut payer pour l’eau. Pour faire fonctionner tout cela, il faut être courageux et discuter entre acteurs. C’est d’ailleurs l’objectif du comité de bassin. Chez nous en France, cela fait 50 ans que ça marche. Cela marche également au Maroc, au Mexique, au Brésil, en Roumanie, en Bulgarie et dans certains pays asiatiques. Donc, ce n’est pas de la science-fiction tout ce que nous disons là. On peut y arriver en ne faisant pas payer beaucoup.

Est-ce qu’il y a de ces modèles qui marchent en Afrique?

Oui, il y a un exemple. En tout cas dans le cas des bassins frontaliers, il y a l’exemple du Sénégal. C’est au niveau du fleuve Sénégal. Mais la vraie question, c’est pourquoi les autres pays ne font pas pareille. Il y a les quatre pays, puisque la Guinée a rejoint l’organisation, il faut se rappeler qu’il y a une trentaine d’années, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal étaient prêts à se faire une vraie guerre. La situation était très tendue. Heureusement qu’ils ont eu le génie de créer l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et de surtout, faire la différence entre l’OMVS et les autres organisations, dire que les ouvrages qui seront construites seront des ouvrages communs et qu’ils n’appartiendront pas aux pays où ils sont construits mais à l’organisation. Donc, c’est l’OMVS qui est propriétaire des barrages, des systèmes de navigation fluviale et des principaux systèmes de transport d’énergie électrique et d’eau brute pour l’irrigation. Ceci donne une puissance considérable à l’organisme qui ne se pose pas la question de savoir comment il va faire pour payer ses employés à la fin du mois, parce que la propriété patrimoniale des ouvrages appartenant à l’organisme le fait marcher un système économique. Il touche des redevances sur l’électricité qu’il produit ; la navigation paye également. Donc, tous ces systèmes rapportent de l’argent qui évitent à l’organisme d’avoir à se poser des questions et d’aller mendier auprès des États qui ne sont pas eux-mêmes toujours très solvables. C’est donc un système que je trouve très intéressant, voire génial. J’ai même tendance à recommander des systèmes de type OMVS. On ne peut pas se plaindre que les organismes de bassins ne fonctionnent pas si on ne leur donne pas les moyens de fonctionner. On a aussi d’autres systèmes qui marchent aujourd’hui. J’ai en tête le Maroc qui tout en étant un pays en développement est un pays dynamique. Aujourd’hui, pour tout ce qui est rénovation des services urbains, non seulement ils ont fait appel à des entreprises privés avec des vrais contrats bien négociés, mais aussi ils ont mis en place des systèmes de tarifs progressifs qui font que les habitants des quartiers défavorisés ont l’eau potable à un coût qu’ils peuvent payer. Bien évidemment les hôtels de luxe, les grandes entreprises manufacturières payent beaucoup plus cher que le citoyen moyen. C’est parfaitement faisable. Ce n’est pas des solutions de pays riches.
Par exemple, en France toutes les habitations ont l’eau potable de robinet et quand je dis l’eau potable, c’est-à-dire qu’elle est aux normes européennes. Les agences de bassin prélèvent plus de 15% ou plus de 25% du tarif. Ce qui est quand même important. Dans le même temps, un m3 qui équivaut à une tonne d’eau, coûte la moitie d’un paquet de cigarette ou deux litres d’essence. C’est cent fois moins cher au volume reconstitué. C’est le prix d’une bouteille de Coca dans la buvette du quartier. Pour arriver à ce niveau, il nous a fallu du temps. Mais en s’y mettant et en nous montrant persévérant dans l’effort et dans l’organisation, nous y sommes arrivés.









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