Vous avez vécu une histoire particulièrement éprouvante. À quand remonte votre projet de faire une BD sur l’histoire de votre frère Ahmad ?
Pendant des années, j’ai voulu raconter l’histoire de mon frère et des victimes du grand massacre de 1988 en Iran, tout en me demandant comment transmettre aux générations futures le message de ces milliers de jeunes qui ont sacrifié leur vie pour la liberté en Iran. En particulier, à la génération qui a aujourd’hui l’âge qu’avait Ahmad à l’époque.
La dernière fois que j'ai vu Ahmad, c'était deux jours avant mon arrestation par le régime des mollahs en 1981. Il a également été arrêté et emprisonné en 1982. J’ai reçu pour la première fois de ses nouvelles par une lettre en mars 1988 m’apprenant qu’il venait d’être libéré après presque six ans de prison et qu’il cherchait à quitter le pays pour rejoindre la résistance. Cela faisait des mois que j’attendais la moindre information à son sujet et son retour.
À l’automne 88, j’ai décidé d’appeler immédiatement mon père en entendant parler du massacre des prisonniers politiques. Il m’a déclaré avec surprise : "Ahmad n’est pas avec toi ? Il vient de nous quitter pour aller te voir. S’il n’est pas avec toi, alors où est-il ? " Le pressentiment de mon père s’est malheureusement confirmé.
Pour faire la lumière sur le massacre de 1988, j’ai participé à plusieurs projets de recherche sur les prisons du régime de Khomeiny. Les livres Massacre des prisonniers politiques et Des héros enchaînés sont le résultat de cinq années de travail pendant lesquelles j’ai réussi à recueillir les témoignages d’anciens compagnons de cellule de mon frère, et donc des informations sur ses conditions d’incarcération.
Est-ce une façon d’exorciser ce terrible souvenir ?
J’écris pour faire avancer la cause que je défends. Engagée dans la Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988, je me bats aujourd’hui pour faire traduire en justice les auteurs de ce "crime contre l’humanité" restés impunis. Mon frère Ahmad Raouf Basharidoust incarne la génération de la révolution qui a été écrasée par les mollahs. Une génération qui a dit "non" à Khomeiny et à ses bourreaux, en dépit de leurs conditions de détention dégradantes. Une génération avec un rêve de liberté et de démocratie en l’Iran. Ils étaient les meilleurs de la société iranienne.
Il faut savoir que plus de 120 000 jeunes ont été exécutés par le régime des mollahs, et parmi eux, 30 000 en l’espace de quelques mois en 1988. La majorité d’entre eux étaient membres ou sympathisants actifs de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), mouvement d’opposition démocratique aux mollahs.
Votre ouvrage a été préfacé par Ingrid Betancourt, ce qui est assez symbolique ; Amnesty International vous a apporté son soutien. Est-ce le signe que l’histoire du massacre de 1988 commence à être reconnue par la communauté internationale ?
Ingrid Betancourt est une femme courageuse, pour qui j'ai beaucoup de respect et d’admiration. Je l'ai rencontrée lors d'une conférence à Paris et lui ai donné la maquette du la bande-dessinée, en lui demandant de soutenir mon projet. Deux semaines plus tard, j'ai reçu de sa part une préface très émouvante ; j’en ai eu les larmes aux yeux.
Au cours de ces trente dernières années, des milliers de pages de documents ont été rassemblées et publiées sur ce crime contre l'humanité. Parmi ces documents, l’enquête d’Amnesty International publiée en 2018, l’enquête de Geoffrey Robertson, avocat renommé des droits de l’homme et ancien juge des Nations unies, 2 livres d’enquête de Tahar Boumedra, ancien chef du Bureau des droits de l’homme de l’ONU en Irak, le livre Crime contre l’humanité publié par l’OMPI. Ce dernier livre contient les noms de plus de 5000 moudjahidines du peuple exécutés, des détails sur 35 commissions de la mort ainsi que l’emplacement de fosses communes dans 36 villes.
C’est désormais à l’ONU de jouer son rôle ! Comme le souligne Amnesty International, "’ONU et la communauté internationale ont gravement manqué à leur devoir envers les familles et les victimes" et i["[elle] doit mener une enquête indépendante sur ces crimes contre l’humanité"]i. Ce cycle de meurtres se poursuivra jusqu'à ce que ces criminels au pouvoir en Iran aient été traduits en justice. Ils ne doivent plus rester impunis.
Comment s’est passée la mise en récit de l’histoire d’Ahmad ? Comment avez-vous travaillé avec la scénariste Summer Harman ?
J’ai d’abord publié l’histoire de mon frère en persan, en 2017 afin de lui rendre hommage. C’était un livre 100 % texte qui a reçu de bons retours des lecteurs, parmi lesquels Mme Harman, artiste designer, scénariste et dessinatrice. Elle dit avoir été grandement touchée par l’histoire de résistance et la personnalité d’Ahmad. En soutien à la Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988, elle m’a proposé de travailler ensemble sur un projet de bande-dessinée.
Ce travail de collaboration a duré plus d’un an et n’a pas toujours été facile. Elle avait besoin d’éléments très précis pour dessiner les planches. Pour les premiers chapitres, qui sont des souvenirs de mon enfance et de l'époque du shah, j'ai essayé de décrire les images mentales que j’ai gardées de cette époque.
Pour la révolution et les années suivantes, nous avons utilisé des archives de journaux, ainsi que la riche bibliothèque de la résistance iranienne. Les témoignages d’anciens compagnons de cellule et des renseignements sur l’incarcération de mon frère nous ont beaucoup aidées.
Pendant des années, j’ai voulu raconter l’histoire de mon frère et des victimes du grand massacre de 1988 en Iran, tout en me demandant comment transmettre aux générations futures le message de ces milliers de jeunes qui ont sacrifié leur vie pour la liberté en Iran. En particulier, à la génération qui a aujourd’hui l’âge qu’avait Ahmad à l’époque.
La dernière fois que j'ai vu Ahmad, c'était deux jours avant mon arrestation par le régime des mollahs en 1981. Il a également été arrêté et emprisonné en 1982. J’ai reçu pour la première fois de ses nouvelles par une lettre en mars 1988 m’apprenant qu’il venait d’être libéré après presque six ans de prison et qu’il cherchait à quitter le pays pour rejoindre la résistance. Cela faisait des mois que j’attendais la moindre information à son sujet et son retour.
À l’automne 88, j’ai décidé d’appeler immédiatement mon père en entendant parler du massacre des prisonniers politiques. Il m’a déclaré avec surprise : "Ahmad n’est pas avec toi ? Il vient de nous quitter pour aller te voir. S’il n’est pas avec toi, alors où est-il ? " Le pressentiment de mon père s’est malheureusement confirmé.
Pour faire la lumière sur le massacre de 1988, j’ai participé à plusieurs projets de recherche sur les prisons du régime de Khomeiny. Les livres Massacre des prisonniers politiques et Des héros enchaînés sont le résultat de cinq années de travail pendant lesquelles j’ai réussi à recueillir les témoignages d’anciens compagnons de cellule de mon frère, et donc des informations sur ses conditions d’incarcération.
Est-ce une façon d’exorciser ce terrible souvenir ?
J’écris pour faire avancer la cause que je défends. Engagée dans la Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988, je me bats aujourd’hui pour faire traduire en justice les auteurs de ce "crime contre l’humanité" restés impunis. Mon frère Ahmad Raouf Basharidoust incarne la génération de la révolution qui a été écrasée par les mollahs. Une génération qui a dit "non" à Khomeiny et à ses bourreaux, en dépit de leurs conditions de détention dégradantes. Une génération avec un rêve de liberté et de démocratie en l’Iran. Ils étaient les meilleurs de la société iranienne.
Il faut savoir que plus de 120 000 jeunes ont été exécutés par le régime des mollahs, et parmi eux, 30 000 en l’espace de quelques mois en 1988. La majorité d’entre eux étaient membres ou sympathisants actifs de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), mouvement d’opposition démocratique aux mollahs.
Votre ouvrage a été préfacé par Ingrid Betancourt, ce qui est assez symbolique ; Amnesty International vous a apporté son soutien. Est-ce le signe que l’histoire du massacre de 1988 commence à être reconnue par la communauté internationale ?
Ingrid Betancourt est une femme courageuse, pour qui j'ai beaucoup de respect et d’admiration. Je l'ai rencontrée lors d'une conférence à Paris et lui ai donné la maquette du la bande-dessinée, en lui demandant de soutenir mon projet. Deux semaines plus tard, j'ai reçu de sa part une préface très émouvante ; j’en ai eu les larmes aux yeux.
Au cours de ces trente dernières années, des milliers de pages de documents ont été rassemblées et publiées sur ce crime contre l'humanité. Parmi ces documents, l’enquête d’Amnesty International publiée en 2018, l’enquête de Geoffrey Robertson, avocat renommé des droits de l’homme et ancien juge des Nations unies, 2 livres d’enquête de Tahar Boumedra, ancien chef du Bureau des droits de l’homme de l’ONU en Irak, le livre Crime contre l’humanité publié par l’OMPI. Ce dernier livre contient les noms de plus de 5000 moudjahidines du peuple exécutés, des détails sur 35 commissions de la mort ainsi que l’emplacement de fosses communes dans 36 villes.
C’est désormais à l’ONU de jouer son rôle ! Comme le souligne Amnesty International, "’ONU et la communauté internationale ont gravement manqué à leur devoir envers les familles et les victimes" et i["[elle] doit mener une enquête indépendante sur ces crimes contre l’humanité"]i. Ce cycle de meurtres se poursuivra jusqu'à ce que ces criminels au pouvoir en Iran aient été traduits en justice. Ils ne doivent plus rester impunis.
Comment s’est passée la mise en récit de l’histoire d’Ahmad ? Comment avez-vous travaillé avec la scénariste Summer Harman ?
J’ai d’abord publié l’histoire de mon frère en persan, en 2017 afin de lui rendre hommage. C’était un livre 100 % texte qui a reçu de bons retours des lecteurs, parmi lesquels Mme Harman, artiste designer, scénariste et dessinatrice. Elle dit avoir été grandement touchée par l’histoire de résistance et la personnalité d’Ahmad. En soutien à la Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988, elle m’a proposé de travailler ensemble sur un projet de bande-dessinée.
Ce travail de collaboration a duré plus d’un an et n’a pas toujours été facile. Elle avait besoin d’éléments très précis pour dessiner les planches. Pour les premiers chapitres, qui sont des souvenirs de mon enfance et de l'époque du shah, j'ai essayé de décrire les images mentales que j’ai gardées de cette époque.
Pour la révolution et les années suivantes, nous avons utilisé des archives de journaux, ainsi que la riche bibliothèque de la résistance iranienne. Les témoignages d’anciens compagnons de cellule et des renseignements sur l’incarcération de mon frère nous ont beaucoup aidées.
Selon vous, le mouvement de révolte qui s’est manifesté en 2019 s’inscrit dans la continuité de la lutte de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien ?
Oui, exactement. La lutte pour la liberté continue en Iran. En 1988, Khomeiny, ce criminel impitoyable, a cherché à éliminer la résistance pour préserver son pouvoir. En vain ! La résistance iranienne a survécu à tous les problèmes et obstacles. Le mouvement pour la justice et pour la liberté prend de l’ampleur en Iran et ne lâchera pas les mollahs.
La question de l'Iran est aussi une question géopolitique : on parle ici d'un pays-clé au Moyen-Orient. Tout changement en Iran impacte le sort de toute la région. Or, les Occidentaux ne souhaitent pas voir de changement en Iran. Ils ferment les yeux sur les crimes des mollahs afin que leurs affaires et leurs intérêts ne soient pas mis en danger.
Mais l’Iran de 2020 est une allumette enflammée dans une grange de paille. Ce régime ne tardera pas à s’effondrer et ce, du propre aveu des médias nationaux. D’une part, l’augmentation des victimes de l'épidémie du coronavirus dont mon grand frère Mahmoud est victime contredit totalement les chiffres communiqués par le régime. D’autre part, l’accentuation de la répression contre les manifestants, dont l’exécution du champion de lutte Navid Afkari, âgé de 27 ans et père de 2 enfants, constitue un facteur d’insatisfaction croissant de la population qui fragilise un peu plus chaque jour les gouvernants.
Que pensez-vous qu’il se passerait si le régime s’effondrait ?
Si le régime des mollahs tombe, il existe d’ores et déjà une alternative crédible : le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). Il possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons.
Tout le monde s’est ému de la cruauté et de la violence de Daech. Mais il ne faut pas oublier que cette sauvagerie et cet intégrisme religieux existent depuis des années ici, en Iran ! Les mains coupées, les supplices de masse… Tout ça fait partie de l’histoire de mon pays et des sanctions appliquées à toutes les personnes suspectées d’être des ennemis du régime.
Je voudrais terminer sur un poème que mon frère a écrit en prison, que j’ai pu retrouver grâce à l’un de ses camarades de cellule :
Submergé par le malheur, l'Iran n’est pas réduit au silence.
Dans notre longue nuit, partout coule le sang des innocents.
Grâce à notre combat pourtant, demain le soleil se lèvera.
Il faut prêter serment au nom du sang des innocents.
Il faut agir. Il faut agir.
Pour en savoir plus sur l'ouvrage Un Petit Prince au pays des mollahs, cliquer ici.
Pour suivre Massoumeh Raouf sur Linkedin, c'est par ici.
Oui, exactement. La lutte pour la liberté continue en Iran. En 1988, Khomeiny, ce criminel impitoyable, a cherché à éliminer la résistance pour préserver son pouvoir. En vain ! La résistance iranienne a survécu à tous les problèmes et obstacles. Le mouvement pour la justice et pour la liberté prend de l’ampleur en Iran et ne lâchera pas les mollahs.
La question de l'Iran est aussi une question géopolitique : on parle ici d'un pays-clé au Moyen-Orient. Tout changement en Iran impacte le sort de toute la région. Or, les Occidentaux ne souhaitent pas voir de changement en Iran. Ils ferment les yeux sur les crimes des mollahs afin que leurs affaires et leurs intérêts ne soient pas mis en danger.
Mais l’Iran de 2020 est une allumette enflammée dans une grange de paille. Ce régime ne tardera pas à s’effondrer et ce, du propre aveu des médias nationaux. D’une part, l’augmentation des victimes de l'épidémie du coronavirus dont mon grand frère Mahmoud est victime contredit totalement les chiffres communiqués par le régime. D’autre part, l’accentuation de la répression contre les manifestants, dont l’exécution du champion de lutte Navid Afkari, âgé de 27 ans et père de 2 enfants, constitue un facteur d’insatisfaction croissant de la population qui fragilise un peu plus chaque jour les gouvernants.
Que pensez-vous qu’il se passerait si le régime s’effondrait ?
Si le régime des mollahs tombe, il existe d’ores et déjà une alternative crédible : le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). Il possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons.
Tout le monde s’est ému de la cruauté et de la violence de Daech. Mais il ne faut pas oublier que cette sauvagerie et cet intégrisme religieux existent depuis des années ici, en Iran ! Les mains coupées, les supplices de masse… Tout ça fait partie de l’histoire de mon pays et des sanctions appliquées à toutes les personnes suspectées d’être des ennemis du régime.
Je voudrais terminer sur un poème que mon frère a écrit en prison, que j’ai pu retrouver grâce à l’un de ses camarades de cellule :
Submergé par le malheur, l'Iran n’est pas réduit au silence.
Dans notre longue nuit, partout coule le sang des innocents.
Grâce à notre combat pourtant, demain le soleil se lèvera.
Il faut prêter serment au nom du sang des innocents.
Il faut agir. Il faut agir.
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Un Petit Prince au pays des mollahs.mp3 (434.74 Ko)