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Des plaideurs inattendus à la Comédie-Française .


Par Rédigé le 02/11/2022 (dernière modification le 31/10/2022)

Il ne s’agit nullement de l’unique comédie de Racine mais plus simplement du célèbre théâtre parisien assigné pour "violation de ses droits d’auteur" par Georges Forestier, un des grands spécialistes de Molière.


L’annonce en a été faite le 25 octobre dernier et on imagine que cette affaire risque d’avoir un certain retentissement dans le milieu du spectacle. Il faut d’abord revenir quelques mois en arrière, en janvier dernier, quand la Comédie-Française pour célébrer les 400 ans de la naissance de Molière, présentait la première version de Tartuffe, trois actes qui avaient été donnés le 12 mai 1664 devant Louis XIV, puis rapidement interdits par le roi, qui les trouvait par trop subversifs. Cette reprise était mise en scène par le Belge Ivo Van Hove, avec Christophe Montenez (Tartuffe), Denis Podalydès (Orgon), Marina Hands (Elmire), Dominique Blanc (Dorine), Julien Frison (Damis), Loïc Corbery (Cléante) et Claude Matheu (Madame Pernelle) dans les rôles principaux. "Tartuffe ou l’hypocrite" a obtenu un vif succès. Il a été joué du 15 janvier au 24 avril, 40 reprises à guichets fermés et a commencé une tournée européenne, pour la nouvelle saison 22-23, les représentations affichent déjà complet. La pièce a également été donnée dans les cinémas Pathé, qui la retransmettaient dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie-Française. Tout cela sans que Georges Forestier ne touche de droits d’auteur. La version de 1664 a disparu et seule subsiste la version en cinq actes de 1669 considérée comme moins subversive, avec plus de personnages, "Le Tartuffe ou l’Imposteur". C’est Georges Forestier qui a publié en 2021 "Tartuffe ou l’Hypocrite", reconstitution de la version originelle aux éditions Portaparole. Ce qui lui fait dire "J’ai créé un objet nouveau qui n’existait pas jusqu’ici». Pour les avocats de la Comédie-Française; il a seulement «restitué en tant qu’universitaire, le texte originel de Molière" et par conséquent, il "n’est pas l’auteur de ‘Tartuffe ou L’Hypocrite". Ce que pour sa part, Georges Forestier réfute "J’ai créé cette pièce avec Molière, puisque c’est essentiellement du texte de Molière qu’il s’agit". Son avocat Jean-Paul Carminati soutient cet argument, pour lui cette version est une œuvre originale "Tous les juristes le diront: à partir du moment où l’on arrange, où l’on remonte une œuvre du domaine public, c’est une œuvre originale. Pour le livre, il y a bien un contrat d’édition qui en atteste". Me Carminati ajoute qu’il a tenté une conciliation avant de saisir la justice, en interpellant notamment le ministère de la Culture, mais en vain.
Quant à la Comédie-Française, elle se base sur un message électronique adressé au directeur de la production du théâtre dans lequel Georges Forestier disait mettre le texte de la pièce "gracieusement" à disposition de l'illustre maison. Pour Me Carminati, "cet argument ne peut pas tenir", en effet, il n’existe aucun contrat mentionnant cette mise à disposition à titre gratuit.

Georges Forestier professeur émérite à la Sorbonne, qui a consacré une biographie de référence à Molière en 2018 et a dirigé l’édition complète de ses œuvres dans la collection de la Pléiade en 2010, revient sur son travail "Je suis donc parti de la version en cinq actes, dans laquelle j'ai coupé l'acte II et l'acte V". Il a aussi supprimé deux personnages, Valère et Mariane. “J’ai réécrit des vers parce que quand vous enlevez des personnages, évidemment il y a des vers qui restent en plan et il faut les transférer vers d'autres personnages. Les quatre vers de conclusion, je les ai inventés en m’inspirant de Molière".

Me Jean-Paul Carminati va encore plus loin “Il n’y a absolument aucune formalisation juridique, aucun contrat qui autorise la Comédie-Française à représenter le Tartuffe de Georges Forestier” et il n'hésite pas à ajouter “On serait en droit d'interdire purement et simplement les représentations, mais on souhaite tout de même que la pièce de Georges Forestier soit diffusée” et d'ironiser “Ce serait un peu fort de café d'interdire le Tartuffe. Ce serait une tartufferie suprême. Donc on tolère cette situation, mais on a saisi le tribunal pour la régulariser et faire reconnaître à Georges Forestier sa qualité d'adaptateur du Tartuffe originel en trois actes, à partir de celui en cinq actes.”
On peut quand même s'étonner qu'un auteur de multiples publications comme Georges Forestier et une institution comme la Comédie-Française n'aient pas pensé plus tôt à ces considérations pécuniaires...
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