Pouvez-vous nous faire un résumé de l’évolution économique du Cameroun de l’indépendance à nos jours ?
Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la situation économique du Cameroun. Ce d’autant plus que les problèmes actuels de notre pays sont éminemment économiques. Effectivement, après les indépendances, on a constaté un certain développement du Cameroun, ce qu’on a appelé les 30 glorieuses. L’Etat était au centre d’une ambition industrielle non dissimulée. C’est grâce, en partie, aux ressources issues de la vente du cacao et du café ; naturellement du pétrole. Après ces années glorieuses, on a connu une sorte d’émergence du tissu industriel. Avec la crise du milieu des années 80, on a constaté un relâchement qui fait que, aujourd’hui, le Cameroun est retombé dans une économie pré-industrialisée.
Pourquoi, à votre avis ?
La raison est simple : Vous ne pouvez pas faire la croissance sans industrialisation ; en comptant sur le seul impôt. Or la croissance se fait par la production, qui résulte elle-même de la capacité de transformation de vos matières premières. Le Cameroun n’a malheureusement fait aucun effort dans ce domaine. Le modèle de développement qu’utilise notre pays est inapproprié, pour ne pas dire inadapté, du point de vue de l’économiste pure. Il vise des programmes d’induction, c’est-à-dire la construction des ponts, des écoles, des hôpitaux, l’ouverture des routes etc. Ces programmes peuvent paraître pertinents pour un néophyte, mais pour les puristes, cela ne peut pas engendrer un modèle économique dynamique et durable. Que feriez-vous d’une route, s’il n’y a pas de raison profonde d’aller chercher un produit ? Voilà la question profonde à laquelle le gouvernement camerounais doit répondre aujourd’hui.
Est-ce les privatisations n’ont pas un peu compromis l’avenir économique du Cameroun ?
Je dirais même que ce sont les privatisations qui ont plongé le Cameroun dans le chaos actuel. Nous avons adopté, nous sommes rentrés quarante ans en arrière. On nous avait promis que, en privatisant, on améliorerait la qualité du service et on rendrait les entreprises plus compétitives en créant plus de la valeur. Ça pose un problème de méthode, de vision et surtout d’ambition politique.
La privatisation n’aurait pas due être une passerelle pour faire plaisir aux bailleurs de fonds. Il s’agissait d’une affaire de convictions. On ne peut pas s’expliquer que des entreprises aient beaucoup plus fait étant nationalisées que maintenant qu’elles sont privatisées. De fait, ces entreprises ont connu des difficultés parce qu’elles étaient mal managées. On aurait donc du, si on était un pays sérieux, prendre une batterie de mesures pour les redresser et expérimenter ces formules pendant que les entreprises étaient encore publiques. Mais du jour au lendemain, par un jeu malin, certains camerounais ont profité de leur position de responsables des affaires publiques, pour aller chercher des écrans occidentaux à travers lesquels ils ont racheté ces entreprises.
Qu’est-ce qui aurait du être fait ?
Une privatisation ne peut se justifier que s’il y a transfert de technologie. On appelle cela en économie, la théorie du second best. C'est-à-dire que, si vous voulez céder Camair-co, le repreneur doit s’engager à installer, au Cameroun, un centre de maintenance des avions, qui crée plus de valeur et peut justifier le fait qu’on ait donné un secteur presque en monopole à un opérateur comme celui-là. Toutes les privatisations ont consacré une chose : Les monopoles structurants ont été cédés à de privés qui eux-mêmes travaillent en monopole. On aurait pu envisager une privatisation par lot. Mais vous constatez qu’on donne tout à une seule entreprise. Résultat, Aes n’a aucun intérêt à développer le Cameroun. Ce qu’ils vont faire, c’est prendre le maximum de ressources pour renvoyer chez-eux.
Aujourd’hui, les ménages et les industries continues à souffrir du déficit énergétique parce que l’appareil a fait son temps. On ne peut pas faire de rénovations d’abord parce que les américains, ce n’est pas leur soucis majeur. C’est l’Etat qui avalise les prêts que ces entreprises contractent. Au lieu de concéder le rail camerounais à monsieur Bolloré, tout simplement parce qu’il fallait que ce soit lui qui bénéficie du transport du matériel du pipeline, on aurait pu restructurer l’entreprise en y mettant les camerounais les plus valeureux. L’Etat aurait pu y gagner en créant de la valeur et d’avantages d’emplois. Les privatisations ont té un échec parce que la politique du Fmi, qui consiste à faire de l’ajustement structurelle ne peut rien faire. Tous les blocages de la croissance y demeurent actifs. Du coup, vous ne pouvez rien faire. Sauf à vouloir faire du vaudou en pleine journée.
Mais pourquoi avoir choisi la privatisation plutôt que la réhabilitation ?
C’est un problème de compétence et de patriotisme. Je dois vous dire que parmi les commissions qui ont été créées au ministère des finances, lorsque les réformes ont commencées, il y avait la commission technique de réhabilitation. Elle n’a pas beaucoup fait parler d’elle. Pourtant elle aurait du définir des canons de réhabilitation d’une entreprise en difficulté. C’est très important de le savoir, le rôle d’un manager s’apprécie beaucoup plus lorsque son entreprise est en difficulté. Le redressement d’une entreprise passe par quatre étapes essentielles. Il faut apprécier l’endettement ; décider de la recapitalisation ou non de l’entreprise ; se redéployer pour attirer encore plus de client, parce que le seul vrai bailleur de fonds, pour une entreprise sérieuse, c’est le client ; communiquer pour imposer son label. Rien de tout cela n’a été fait.
Regardez le sort qui est réservé des structures comme les grands hôpitaux. Ils n’arrivent pas à se restructurer parce qu’il n’y a pas de canevas pour le faire. On n’a beaucoup plus vu que la Commission Technique de Privatisation pour un jeu de rente et de prébende. Puisque, pour céder une entreprise, les repreneurs, qui savaient très bien que le marché était porteur, amenaient beaucoup de dessous de table et on a cédé des entreprises camerounaises sans qu’il y ait un transfère de technologies, c’est-à-dire une contre partie. Le tout ne se résumer pas à l’enveloppe qui constitue ce qu’on appelle le ticket entrant. L’économie est une gestion équilibrée. Dès qu’il n’y a pas d’équilibre, vous pouvez être sûr que vous le paierez au centuple.
Autre chose, les privatisations ont consacré la fuite des capitaux vers l’étranger, en flux tendu. Je ne vous prendrai que l’exemple de la téléphonie mobile. Les deux opérateurs issus de la libéralisation du secteur ont eu, rien que pour l’année 2008, 85 milliards de bénéfices. Cette somme a été entièrement rapatriée. Vous imaginez ce que c’est qu’une saignée de 85 milliards l’an ? En 2007, leur bénéfice cumulé était de 75 milliards. Ce qui veut dire que le marché est porteur. Pourquoi n’avoir pas initié cette réforme quand les opérateurs camerounais étaient seuls dans le secteur, en mettant effectivement des gens capables de gérer?
Qu’est-ce qui aurait du être fait pour que ces bénéfices soient réinvestis localement ?
Il fallait s’assurer que le régulateur, pour le cas d’espèce, l’ART, a les moyens de remplir convenablement les missions à lui assignées ; qu’il est indépendant des opérateurs. Or, à l’état actuel des choses, ce sont les opérateurs qui assurent la survie de l’ART. Pour réguler un secteur pointu comme les télécommunications, ce n’est pas l’affaire d’un individu. Dans des pays sérieux, le régulateur, c’est un collège de commissaires qui veillent au respect de la légalité.
Est-ce que vous mettez en cause le patriotisme de ceux qui ont mené les privatisations, en les accusant d’avoir bradé les entreprises camerounaises au profit de leurs propres intérêts ?
Je confirme ! On a effectivement bradé les entreprises camerounaises. Mais il est encore temps de rattraper cela.
En quoi faisant ?
En relisant les contrats. Nous ne serons, ni le premier, ni le dernier pays à le faire. Le Sénégal l’a fait. Dès l’arrivée au pouvoir du président Wade. Le Tchad est en train d’en faire autant, notamment dans le domaine pétrolier. Malheureusement le Cameroun se comporte comme un pays aux réformes impossibles. On refuse de reculer lorsqu’on constate que les décidions, qui ont été prises, sont mauvaises.
Pourquoi, à votre avis ?
C’est tout simplement parce que ceux qui sont les vrais repreneurs de ces sociétés, ce sont des camerounais. Le bonheur du Cameroun leur importe peu. Ce qui compte, c’est leur dynastie et sa puissance. Ce genre de phénomène conduit toujours à la « yougoslavisation ». C’est-à-dire que vous balkanisez le Cameroun, ça va conduire à un éclatement. On ne peut pas concevoir une société sans équilibre social.
Les privatisations à mon sens devraient être revisitées. On devrait même renationaliser certaines entreprises, notamment celles de l’eau. A peine la privatisation achevée qu’on ne sait même plus si l’eau qu’on nous sert dans les robinets est potable. Tout simplement parce qu’on est allé chercher des marocains qui démontrent aujourd’hui toute leur incompétence dans l’industrie de l’eau. Alors qu’il y a des camerounais très bien formé mais qui sont marginalisés. Voilà le problème aujourd’hui ! C’est pour cela que nous disons au président de la République qu’il ne faut pas qu’il recule. Il faut qu’il aille jusqu’au bout dans les réformes et qu’il prenne vraiment sur lui de sanctionner tous ceux qui ont strangulé sa politique. Regardez dans le domaine alimentaire. Nous importons tout. Est-ce que c’est sérieux qu’un pays qui a 6 million d’hectares de terre arable ; la quatrième hydraulique mondiale souffre de problèmes agricoles ? Est-ce que c’est normal qu’un pays qui a autant de ressources naturelles soit pauvre, au point de passer par des passerelles du genre Initiative PPTE ? Et du reste, au monde, il n’y a que deux pays, le Cameroun et l’Afrique du Sud, qui peuvent redécoller à tout moment, sans nécessairement avoir besoin de l’aide extérieure. Mais ceux qui dirigent le Cameroun le dirigent comme des mercenaires ; des citoyens de transition. Effectivement, on a constaté que la plupart ont une double nationalité. Il pense donc que, quand ça brulera ici, ils se retireront dans leur vrai pays.
Lorsque le ministre des Finances dit que le Cameroun n’a pas d’argent et que toutes les ressources sont les bienvenues, en parlant du prêt récemment contracté auprès du Fonds Monétaire International, vous le soutenez ?
D’abord ce sont des ritournelles d’esprit pommé. Je dois dire, en ce qui concerne notre ministre des Finances, que le mieux pour lui serait de démissionner. Parce que, au moment où il nous dit que nous n’avons pas d’argent, nous avons des documents qui prouvent qu’il a donné 9 milliards à une banque privée, l’ex Amity Bank, devenue Banque Atlantic. Qu’est-ce qui justifiait ce financement ? Ailleurs, ce type de décision est du ressort du président de la République. Et lorsque de l’argent public a été utilisé pour renflouer les caisses d’une entreprise privée, ça a été en contrepartie d’une prise de participation. Combien l’Etat du Cameroun a-t-il de parts dans le capital de Atlantic group ? Si vous allez bien analyser, et nous sommes sur cette enquête là, monsieur Essimi Menyé a certainement des amis dans le conseil d’administration de Atlantic group, qui est constitué à 60% d’actionnaires étrangers.
Le problème au Cameroun ce n’est pas le manque d’argent ; c’est ce qu’on fait des prêts contractés. Au moment où la deuxième république commence sa marche en avant, nous avions une dette extérieure de 500 milliards. Le président Ahidjo l’a dit. Aujourd’hui, nous serions à 7 000 milliards de francs Cfa, si nous n’avions pas bénéficié d’une remise de dette de près de 3000 milliards, à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE. A quoi ont servi tous ces milliers de milliards ? Si vous allez en Côte d’Ivoire, vous pouvez comprendre qu’un pays se soit endetté. Puisque vous voyez les infrastructures. Mais chez nous, toutes ces dettes qui hypothèquent l’avenir des secondes générations, à quoi ont-elles servi ?
Lorsque monsieur Essimi Menyé va chercher 70 milliards, c’est pour quoi faire ? Pourquoi ne donc pas prendre 1000 milliards, pour ne serait-ce que résorber le déficit énergétique et lancer une grande politique agricole ? C’est une manière d’aider les amis du FMI à reprendre le contrôle sur le Cameroun et ne soyez pas surpris d’entendre bientôt des injonctions du genre : continuez les privatisations !
Le FMI est en difficulté depuis 2006 parce que, pour la première fois de l’histoire, ses plus gros débiteurs (l’Algérie, le Brésil, l’Uruguay, …) ont tout payé par anticipation. Ce qui a constitué une perte sèche de plus de 22 milliards de droits de tirage spéciaux, qui sont les commissions et les intérêts sur ces prêts. C’est de ça que vit le FMI. Or personne ne veut plus aller chercher des prêts au FMI, puisque ceux-ci sont politiquement contraignants. Le FMI cherche donc maintenant une nouvelle approche où on appâte des pigeons qu’on va plumer d’une manière ou d’une autre. C’est pour cela que nous nous sommes élevés contre ce prêt. Le ministre des Finances vient de prouver que ce n’est pas le Cameroun qui l’intéresse, mais les intérêts de ses amis du FMI. Et comme vous le savez, il y a travaillé.
En vérité, il y a une affaire au Cameroun qu’on appelle le G11. Ce groupe est tellement actif que, si le président de la République ne se met pas en ordre de bataille, il le bouffera. Nous avons déjà fait ce que nous avions à faire, pour le lui démontrer de manière pertinente. Si on a pris certaines têtes de proue de ce groupe là : monsieur Atangana Mebara, monsieur Olanguena, monsieur Abah Abah, d’autres demeurent actifs et je n’hésiterais pas à penser que, avec le comportement du ministre des Finances, il en ferait parti.
Que faut-il faire, au delà du prêt, pour que l’économie camerounaise puisse vraiment décoller ?
Il faut que le Cameroun discipline son économie. Qu’il sorte de la logique d’une économie pré-industrialisé, pour aller vers l’industrialisation qui maximise mieux et les intérêts du Cameroun et ceux des partenaires. Comme je vous l’ai dit, le problème du Cameroun n’est pas lié aux finances. Le Cameroun a de l’argent. Mais il circule entre de mauvaises mains. Le problème du Cameroun aujourd’hui, c’est de pouvoir plancher sur un model économique qui peut conduire à un développement durable. Celui qui consiste à financer la production, en y associant le développement du territoire. Dès lors que vous avez une activité productrice de revenus, fatalement vous aurez besoin de la route pour l’évacuer, vous aurez besoin des écoles, des hôpitaux et vous en aurez les moyens. Mais tout le monde au Cameroun se considère, en tout cas au niveau du gouvernement, comme un petit chef d’Etat. C’est pour cela que des gens peuvent continuer à distribuer des rentes à quelques amis et c’est toujours le peuple camerounais qui va rembourser. Et vous voyez donc le désarroi du peuple qui s’impatiente, faute de réponses ses besoins légitimes.
Solution …
Le président de la République doit changer le casting qui précède les remaniements ministériels. Parce que la modernité est à l’intelligence économique. C’est l’économie qui construit la prospérité et, comme j’aime souvent à le dire, « on ne distribue pas la pauvreté, elle s’impose. On ne peut redistribuer que la richesse ». Pour cela, il faut la créer. Regardez le comportement du gouvernement dans son ensemble, ce n’est qu’un comportement de consommateur. Le budget public est constitué de 60% pour le fonctionnement, 25% pour le remboursement de la dette et 15% pour l’investissement. Vous verrez que les 60% du fonctionnement sont parfois épuisés avant le mois de juin. Tandis que les 15% dédiés à l’investissement ne sont pas toujours consommés. Parce que la procédure de passation des marchés est tellement longue que les ordonnateurs ne sont pas sûrs que ce soient leurs copains qui gagneront les marchés. Ils préfèrent donc les geler. Avec un tel système, on ne peut pas développer un pays. Or, lorsque les populations ont des problèmes essentiels comme la famine, et que ces problèmes, d’année en année, ne trouvent pas des réponses satisfaisantes, ça va créer un chaos social. Continuons à ne pas vouloir regarder la vérité en face. Puisqu’il suffit d’avoir 50 Fcfa, pour avoir un maïs chaud. Mais si vous êtes un observateur averti, vous constaterez que les camerounais ne sont plus des êtres costauds, géants. Nous sommes tous devenus des pygmées, au plan morphologique. C’est un problème d’alimentation. On ne s’amuse pas avec l’alimentation d’un peuple, parce que c’est une question de souveraineté.
Les chemins utilisés pour développer le Cameroun sont non pertinents. Et lorsque les chemins sont non pertinents, vous faites semblant de travailler. Voilà pourquoi, dans la plus part des pays développés, où on atteint le seuil des impossibilités, comme c’est le cas chez-nous aujourd’hui, on a procédé à une mutation de l’économie. Quand vous mutez votre économie, vous mutez tout le reste ; mutation sociale, politique et même culturelle. Malheureusement, comme je vous l’ai dit, le Cameroun est un pays aux réformes impossibles. Parce que ceux qui doivent faire les réformes refusent. C’est pourquoi l’inertie est devenue un mode de gestion.
Croyez-vous que monsieur Biya ne le sache pas ?
Ce n’est pas mon problème qu’il le sache ou pas. Sur le registre des visées, qui ont été les siennes. Il a voulu du bonheur pour le Cameroun. Mais son problème aujourd’hui c’est de changer la formule de désignation de ses responsables. S’il ne le fait pas, ce sera à lui de répondre lorsque les camerounais vont gronder et ils gronderont. Ne croyez pas qu’un peuple puisse rester atone tout le temps. Non ! ne dit-on pas que « vendre affamé n’a point d’oreille ». Février 2008 n’était qu’un avertissement. Amnesty international a récemment écrit au gouvernement, pour dire qu’elle s’inquiétait pour la fin d’année 2009 et comme on ne prend au sérieux que ce qui vient de l’extérieur, voilà une ONG internationale qui pense qu’il est temps de sonner le tocsin. Mais nous, nous disons, depuis au moins quatre ans, que la tactique consiste d’abord à bien nourrir son peuple. Ne croyez pas que la paix ne soit que l’absence de bruits d’armes. Est-ce qu’un camerounais qui n’envoie pas son enfant à l’école, comme il veut, vit en paix ? Est-ce qu’un camerounais, qui ne mange pas à sa faim, vit en paix ? Je ne crois pas !
Certains parlent d’une tactique qui consisterait à affamer le peuple pour qu’il se révolte. Êtes-vous de cet avis ?
Tout à fait ! C’est une approche tactique du groupe dit G11. C’est eux qui ont bloqué tous les programmes du président de la République. Il y avait une première visée : le présenter comme un roi fainéant, incapable de satisfaire son peuple et amené celui-ci à imploser. Mais la chance du Cameroun et de son président actuel, c’est que les camerounais ont tellement pris acte de ce qui s’est passé pendant la période du maquis que, malgré les difficultés, ils restent toujours du côté des institutions. Mais ça ne peut pas durer éternellement.
On parle de plus en plus d’assises nationales, pour plancher sur la question. Etes-vous d’avis ?
Je n’aime pas les retours en arrière et, dans ma tribu d’origine, on dit que, « lorsque vous vous promenez dans le bois et que vous revenez deux fois au pied du même arbre, c’est que vous vous êtes perdus. » Il faut que l’Assemblée Nationale fasse son travail. Malheureusement la levée de l’immunité pèse sur un bon nombre de débutés. Ce qui revient à dire que notre parlement est rempli de fripouilles. C’est un scandale ! Si donc l’Assemblée Nationale n’est plus à la hauteur, où est-ce qu’on va débattre ? Il ne reste donc qu’une seule chose : tirer les conséquences, réduire le mandat de ces gens et repartir aux élections anticipées. Avec une Assemblée Nationale new look et donc un nouveau gouvernement, on pourra enfin empoigner certains problèmes qui se posent et dont les camerounais attendent des réponses.
Vous croyez vraiment au renouvellement de la société politique camerounaise ?
Bien sûr ! Le problème c’est que, au niveau des partis politiques, tout est dans le chaos, y compris au RDPC. Personne n’a la solution pour relancer la machine. Je suis moi-même du RDPC où nous demandons, depuis 5 ans, l’organisation d’un congrès ordinaire, pour plancher sur des questions urgentes. Un Comité Central qui est illégal depuis 10 ans ; un bureau politique où beaucoup de membres sont soit décidés, soit emprisonnés. Bref la machine est déjà grippée.
La visite du chef de l’Etat en France peut-elle servir à la dégripper ?
Vous savez, je n’ai pas la mémoire du colonisé. Ce n’est pas la France ou un quelconque autre pays étranger qui va développer le Cameroun. J’espère que les discutions vont porter sur des questions essentielles. Je voudrais pour le Cameroun des partenaires qui acceptent de nous accompagner dans notre développement avec des avantages égaux. Nous ne voulons plus de gens qui viennent nous exploités comme une plantation. La France est le numéro un au monde en matière de recherches scientifiques et techniques. Si nous voulons mettre sur pied une vraie politique agricole, nous en aurons besoin. Mais ce n’est pas à elle de nous dire qui sera le prochain président. Le Cameroun est un pays sérieux.
Vous vous souvenez que Cheick Anta Diop, avant de mourir, est venu chez nous pour dire aux camerounais que : « Tant que vous ne comprenez pas que c’est ici, au Cameroun, que toutes les civilisations africaines se sont croisées, l’Afrique aura du mal à décoller. Et le jour où vous comprendrez qu’est-ce que ça veut dire être camerounais et que vous le mettrez en pratique, l’Afrique va décoller. » Un mois plus tard, il mourrait. Quand on sait qu’il est quand même l’un des plus grands savants que ce continent ait connu, il faut croire qu’il est venu nous léguer un héritage. C’est pourquoi nous essayons de donner un ton nouveau.
Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la situation économique du Cameroun. Ce d’autant plus que les problèmes actuels de notre pays sont éminemment économiques. Effectivement, après les indépendances, on a constaté un certain développement du Cameroun, ce qu’on a appelé les 30 glorieuses. L’Etat était au centre d’une ambition industrielle non dissimulée. C’est grâce, en partie, aux ressources issues de la vente du cacao et du café ; naturellement du pétrole. Après ces années glorieuses, on a connu une sorte d’émergence du tissu industriel. Avec la crise du milieu des années 80, on a constaté un relâchement qui fait que, aujourd’hui, le Cameroun est retombé dans une économie pré-industrialisée.
Pourquoi, à votre avis ?
La raison est simple : Vous ne pouvez pas faire la croissance sans industrialisation ; en comptant sur le seul impôt. Or la croissance se fait par la production, qui résulte elle-même de la capacité de transformation de vos matières premières. Le Cameroun n’a malheureusement fait aucun effort dans ce domaine. Le modèle de développement qu’utilise notre pays est inapproprié, pour ne pas dire inadapté, du point de vue de l’économiste pure. Il vise des programmes d’induction, c’est-à-dire la construction des ponts, des écoles, des hôpitaux, l’ouverture des routes etc. Ces programmes peuvent paraître pertinents pour un néophyte, mais pour les puristes, cela ne peut pas engendrer un modèle économique dynamique et durable. Que feriez-vous d’une route, s’il n’y a pas de raison profonde d’aller chercher un produit ? Voilà la question profonde à laquelle le gouvernement camerounais doit répondre aujourd’hui.
Est-ce les privatisations n’ont pas un peu compromis l’avenir économique du Cameroun ?
Je dirais même que ce sont les privatisations qui ont plongé le Cameroun dans le chaos actuel. Nous avons adopté, nous sommes rentrés quarante ans en arrière. On nous avait promis que, en privatisant, on améliorerait la qualité du service et on rendrait les entreprises plus compétitives en créant plus de la valeur. Ça pose un problème de méthode, de vision et surtout d’ambition politique.
La privatisation n’aurait pas due être une passerelle pour faire plaisir aux bailleurs de fonds. Il s’agissait d’une affaire de convictions. On ne peut pas s’expliquer que des entreprises aient beaucoup plus fait étant nationalisées que maintenant qu’elles sont privatisées. De fait, ces entreprises ont connu des difficultés parce qu’elles étaient mal managées. On aurait donc du, si on était un pays sérieux, prendre une batterie de mesures pour les redresser et expérimenter ces formules pendant que les entreprises étaient encore publiques. Mais du jour au lendemain, par un jeu malin, certains camerounais ont profité de leur position de responsables des affaires publiques, pour aller chercher des écrans occidentaux à travers lesquels ils ont racheté ces entreprises.
Qu’est-ce qui aurait du être fait ?
Une privatisation ne peut se justifier que s’il y a transfert de technologie. On appelle cela en économie, la théorie du second best. C'est-à-dire que, si vous voulez céder Camair-co, le repreneur doit s’engager à installer, au Cameroun, un centre de maintenance des avions, qui crée plus de valeur et peut justifier le fait qu’on ait donné un secteur presque en monopole à un opérateur comme celui-là. Toutes les privatisations ont consacré une chose : Les monopoles structurants ont été cédés à de privés qui eux-mêmes travaillent en monopole. On aurait pu envisager une privatisation par lot. Mais vous constatez qu’on donne tout à une seule entreprise. Résultat, Aes n’a aucun intérêt à développer le Cameroun. Ce qu’ils vont faire, c’est prendre le maximum de ressources pour renvoyer chez-eux.
Aujourd’hui, les ménages et les industries continues à souffrir du déficit énergétique parce que l’appareil a fait son temps. On ne peut pas faire de rénovations d’abord parce que les américains, ce n’est pas leur soucis majeur. C’est l’Etat qui avalise les prêts que ces entreprises contractent. Au lieu de concéder le rail camerounais à monsieur Bolloré, tout simplement parce qu’il fallait que ce soit lui qui bénéficie du transport du matériel du pipeline, on aurait pu restructurer l’entreprise en y mettant les camerounais les plus valeureux. L’Etat aurait pu y gagner en créant de la valeur et d’avantages d’emplois. Les privatisations ont té un échec parce que la politique du Fmi, qui consiste à faire de l’ajustement structurelle ne peut rien faire. Tous les blocages de la croissance y demeurent actifs. Du coup, vous ne pouvez rien faire. Sauf à vouloir faire du vaudou en pleine journée.
Mais pourquoi avoir choisi la privatisation plutôt que la réhabilitation ?
C’est un problème de compétence et de patriotisme. Je dois vous dire que parmi les commissions qui ont été créées au ministère des finances, lorsque les réformes ont commencées, il y avait la commission technique de réhabilitation. Elle n’a pas beaucoup fait parler d’elle. Pourtant elle aurait du définir des canons de réhabilitation d’une entreprise en difficulté. C’est très important de le savoir, le rôle d’un manager s’apprécie beaucoup plus lorsque son entreprise est en difficulté. Le redressement d’une entreprise passe par quatre étapes essentielles. Il faut apprécier l’endettement ; décider de la recapitalisation ou non de l’entreprise ; se redéployer pour attirer encore plus de client, parce que le seul vrai bailleur de fonds, pour une entreprise sérieuse, c’est le client ; communiquer pour imposer son label. Rien de tout cela n’a été fait.
Regardez le sort qui est réservé des structures comme les grands hôpitaux. Ils n’arrivent pas à se restructurer parce qu’il n’y a pas de canevas pour le faire. On n’a beaucoup plus vu que la Commission Technique de Privatisation pour un jeu de rente et de prébende. Puisque, pour céder une entreprise, les repreneurs, qui savaient très bien que le marché était porteur, amenaient beaucoup de dessous de table et on a cédé des entreprises camerounaises sans qu’il y ait un transfère de technologies, c’est-à-dire une contre partie. Le tout ne se résumer pas à l’enveloppe qui constitue ce qu’on appelle le ticket entrant. L’économie est une gestion équilibrée. Dès qu’il n’y a pas d’équilibre, vous pouvez être sûr que vous le paierez au centuple.
Autre chose, les privatisations ont consacré la fuite des capitaux vers l’étranger, en flux tendu. Je ne vous prendrai que l’exemple de la téléphonie mobile. Les deux opérateurs issus de la libéralisation du secteur ont eu, rien que pour l’année 2008, 85 milliards de bénéfices. Cette somme a été entièrement rapatriée. Vous imaginez ce que c’est qu’une saignée de 85 milliards l’an ? En 2007, leur bénéfice cumulé était de 75 milliards. Ce qui veut dire que le marché est porteur. Pourquoi n’avoir pas initié cette réforme quand les opérateurs camerounais étaient seuls dans le secteur, en mettant effectivement des gens capables de gérer?
Qu’est-ce qui aurait du être fait pour que ces bénéfices soient réinvestis localement ?
Il fallait s’assurer que le régulateur, pour le cas d’espèce, l’ART, a les moyens de remplir convenablement les missions à lui assignées ; qu’il est indépendant des opérateurs. Or, à l’état actuel des choses, ce sont les opérateurs qui assurent la survie de l’ART. Pour réguler un secteur pointu comme les télécommunications, ce n’est pas l’affaire d’un individu. Dans des pays sérieux, le régulateur, c’est un collège de commissaires qui veillent au respect de la légalité.
Est-ce que vous mettez en cause le patriotisme de ceux qui ont mené les privatisations, en les accusant d’avoir bradé les entreprises camerounaises au profit de leurs propres intérêts ?
Je confirme ! On a effectivement bradé les entreprises camerounaises. Mais il est encore temps de rattraper cela.
En quoi faisant ?
En relisant les contrats. Nous ne serons, ni le premier, ni le dernier pays à le faire. Le Sénégal l’a fait. Dès l’arrivée au pouvoir du président Wade. Le Tchad est en train d’en faire autant, notamment dans le domaine pétrolier. Malheureusement le Cameroun se comporte comme un pays aux réformes impossibles. On refuse de reculer lorsqu’on constate que les décidions, qui ont été prises, sont mauvaises.
Pourquoi, à votre avis ?
C’est tout simplement parce que ceux qui sont les vrais repreneurs de ces sociétés, ce sont des camerounais. Le bonheur du Cameroun leur importe peu. Ce qui compte, c’est leur dynastie et sa puissance. Ce genre de phénomène conduit toujours à la « yougoslavisation ». C’est-à-dire que vous balkanisez le Cameroun, ça va conduire à un éclatement. On ne peut pas concevoir une société sans équilibre social.
Les privatisations à mon sens devraient être revisitées. On devrait même renationaliser certaines entreprises, notamment celles de l’eau. A peine la privatisation achevée qu’on ne sait même plus si l’eau qu’on nous sert dans les robinets est potable. Tout simplement parce qu’on est allé chercher des marocains qui démontrent aujourd’hui toute leur incompétence dans l’industrie de l’eau. Alors qu’il y a des camerounais très bien formé mais qui sont marginalisés. Voilà le problème aujourd’hui ! C’est pour cela que nous disons au président de la République qu’il ne faut pas qu’il recule. Il faut qu’il aille jusqu’au bout dans les réformes et qu’il prenne vraiment sur lui de sanctionner tous ceux qui ont strangulé sa politique. Regardez dans le domaine alimentaire. Nous importons tout. Est-ce que c’est sérieux qu’un pays qui a 6 million d’hectares de terre arable ; la quatrième hydraulique mondiale souffre de problèmes agricoles ? Est-ce que c’est normal qu’un pays qui a autant de ressources naturelles soit pauvre, au point de passer par des passerelles du genre Initiative PPTE ? Et du reste, au monde, il n’y a que deux pays, le Cameroun et l’Afrique du Sud, qui peuvent redécoller à tout moment, sans nécessairement avoir besoin de l’aide extérieure. Mais ceux qui dirigent le Cameroun le dirigent comme des mercenaires ; des citoyens de transition. Effectivement, on a constaté que la plupart ont une double nationalité. Il pense donc que, quand ça brulera ici, ils se retireront dans leur vrai pays.
Lorsque le ministre des Finances dit que le Cameroun n’a pas d’argent et que toutes les ressources sont les bienvenues, en parlant du prêt récemment contracté auprès du Fonds Monétaire International, vous le soutenez ?
D’abord ce sont des ritournelles d’esprit pommé. Je dois dire, en ce qui concerne notre ministre des Finances, que le mieux pour lui serait de démissionner. Parce que, au moment où il nous dit que nous n’avons pas d’argent, nous avons des documents qui prouvent qu’il a donné 9 milliards à une banque privée, l’ex Amity Bank, devenue Banque Atlantic. Qu’est-ce qui justifiait ce financement ? Ailleurs, ce type de décision est du ressort du président de la République. Et lorsque de l’argent public a été utilisé pour renflouer les caisses d’une entreprise privée, ça a été en contrepartie d’une prise de participation. Combien l’Etat du Cameroun a-t-il de parts dans le capital de Atlantic group ? Si vous allez bien analyser, et nous sommes sur cette enquête là, monsieur Essimi Menyé a certainement des amis dans le conseil d’administration de Atlantic group, qui est constitué à 60% d’actionnaires étrangers.
Le problème au Cameroun ce n’est pas le manque d’argent ; c’est ce qu’on fait des prêts contractés. Au moment où la deuxième république commence sa marche en avant, nous avions une dette extérieure de 500 milliards. Le président Ahidjo l’a dit. Aujourd’hui, nous serions à 7 000 milliards de francs Cfa, si nous n’avions pas bénéficié d’une remise de dette de près de 3000 milliards, à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE. A quoi ont servi tous ces milliers de milliards ? Si vous allez en Côte d’Ivoire, vous pouvez comprendre qu’un pays se soit endetté. Puisque vous voyez les infrastructures. Mais chez nous, toutes ces dettes qui hypothèquent l’avenir des secondes générations, à quoi ont-elles servi ?
Lorsque monsieur Essimi Menyé va chercher 70 milliards, c’est pour quoi faire ? Pourquoi ne donc pas prendre 1000 milliards, pour ne serait-ce que résorber le déficit énergétique et lancer une grande politique agricole ? C’est une manière d’aider les amis du FMI à reprendre le contrôle sur le Cameroun et ne soyez pas surpris d’entendre bientôt des injonctions du genre : continuez les privatisations !
Le FMI est en difficulté depuis 2006 parce que, pour la première fois de l’histoire, ses plus gros débiteurs (l’Algérie, le Brésil, l’Uruguay, …) ont tout payé par anticipation. Ce qui a constitué une perte sèche de plus de 22 milliards de droits de tirage spéciaux, qui sont les commissions et les intérêts sur ces prêts. C’est de ça que vit le FMI. Or personne ne veut plus aller chercher des prêts au FMI, puisque ceux-ci sont politiquement contraignants. Le FMI cherche donc maintenant une nouvelle approche où on appâte des pigeons qu’on va plumer d’une manière ou d’une autre. C’est pour cela que nous nous sommes élevés contre ce prêt. Le ministre des Finances vient de prouver que ce n’est pas le Cameroun qui l’intéresse, mais les intérêts de ses amis du FMI. Et comme vous le savez, il y a travaillé.
En vérité, il y a une affaire au Cameroun qu’on appelle le G11. Ce groupe est tellement actif que, si le président de la République ne se met pas en ordre de bataille, il le bouffera. Nous avons déjà fait ce que nous avions à faire, pour le lui démontrer de manière pertinente. Si on a pris certaines têtes de proue de ce groupe là : monsieur Atangana Mebara, monsieur Olanguena, monsieur Abah Abah, d’autres demeurent actifs et je n’hésiterais pas à penser que, avec le comportement du ministre des Finances, il en ferait parti.
Que faut-il faire, au delà du prêt, pour que l’économie camerounaise puisse vraiment décoller ?
Il faut que le Cameroun discipline son économie. Qu’il sorte de la logique d’une économie pré-industrialisé, pour aller vers l’industrialisation qui maximise mieux et les intérêts du Cameroun et ceux des partenaires. Comme je vous l’ai dit, le problème du Cameroun n’est pas lié aux finances. Le Cameroun a de l’argent. Mais il circule entre de mauvaises mains. Le problème du Cameroun aujourd’hui, c’est de pouvoir plancher sur un model économique qui peut conduire à un développement durable. Celui qui consiste à financer la production, en y associant le développement du territoire. Dès lors que vous avez une activité productrice de revenus, fatalement vous aurez besoin de la route pour l’évacuer, vous aurez besoin des écoles, des hôpitaux et vous en aurez les moyens. Mais tout le monde au Cameroun se considère, en tout cas au niveau du gouvernement, comme un petit chef d’Etat. C’est pour cela que des gens peuvent continuer à distribuer des rentes à quelques amis et c’est toujours le peuple camerounais qui va rembourser. Et vous voyez donc le désarroi du peuple qui s’impatiente, faute de réponses ses besoins légitimes.
Solution …
Le président de la République doit changer le casting qui précède les remaniements ministériels. Parce que la modernité est à l’intelligence économique. C’est l’économie qui construit la prospérité et, comme j’aime souvent à le dire, « on ne distribue pas la pauvreté, elle s’impose. On ne peut redistribuer que la richesse ». Pour cela, il faut la créer. Regardez le comportement du gouvernement dans son ensemble, ce n’est qu’un comportement de consommateur. Le budget public est constitué de 60% pour le fonctionnement, 25% pour le remboursement de la dette et 15% pour l’investissement. Vous verrez que les 60% du fonctionnement sont parfois épuisés avant le mois de juin. Tandis que les 15% dédiés à l’investissement ne sont pas toujours consommés. Parce que la procédure de passation des marchés est tellement longue que les ordonnateurs ne sont pas sûrs que ce soient leurs copains qui gagneront les marchés. Ils préfèrent donc les geler. Avec un tel système, on ne peut pas développer un pays. Or, lorsque les populations ont des problèmes essentiels comme la famine, et que ces problèmes, d’année en année, ne trouvent pas des réponses satisfaisantes, ça va créer un chaos social. Continuons à ne pas vouloir regarder la vérité en face. Puisqu’il suffit d’avoir 50 Fcfa, pour avoir un maïs chaud. Mais si vous êtes un observateur averti, vous constaterez que les camerounais ne sont plus des êtres costauds, géants. Nous sommes tous devenus des pygmées, au plan morphologique. C’est un problème d’alimentation. On ne s’amuse pas avec l’alimentation d’un peuple, parce que c’est une question de souveraineté.
Les chemins utilisés pour développer le Cameroun sont non pertinents. Et lorsque les chemins sont non pertinents, vous faites semblant de travailler. Voilà pourquoi, dans la plus part des pays développés, où on atteint le seuil des impossibilités, comme c’est le cas chez-nous aujourd’hui, on a procédé à une mutation de l’économie. Quand vous mutez votre économie, vous mutez tout le reste ; mutation sociale, politique et même culturelle. Malheureusement, comme je vous l’ai dit, le Cameroun est un pays aux réformes impossibles. Parce que ceux qui doivent faire les réformes refusent. C’est pourquoi l’inertie est devenue un mode de gestion.
Croyez-vous que monsieur Biya ne le sache pas ?
Ce n’est pas mon problème qu’il le sache ou pas. Sur le registre des visées, qui ont été les siennes. Il a voulu du bonheur pour le Cameroun. Mais son problème aujourd’hui c’est de changer la formule de désignation de ses responsables. S’il ne le fait pas, ce sera à lui de répondre lorsque les camerounais vont gronder et ils gronderont. Ne croyez pas qu’un peuple puisse rester atone tout le temps. Non ! ne dit-on pas que « vendre affamé n’a point d’oreille ». Février 2008 n’était qu’un avertissement. Amnesty international a récemment écrit au gouvernement, pour dire qu’elle s’inquiétait pour la fin d’année 2009 et comme on ne prend au sérieux que ce qui vient de l’extérieur, voilà une ONG internationale qui pense qu’il est temps de sonner le tocsin. Mais nous, nous disons, depuis au moins quatre ans, que la tactique consiste d’abord à bien nourrir son peuple. Ne croyez pas que la paix ne soit que l’absence de bruits d’armes. Est-ce qu’un camerounais qui n’envoie pas son enfant à l’école, comme il veut, vit en paix ? Est-ce qu’un camerounais, qui ne mange pas à sa faim, vit en paix ? Je ne crois pas !
Certains parlent d’une tactique qui consisterait à affamer le peuple pour qu’il se révolte. Êtes-vous de cet avis ?
Tout à fait ! C’est une approche tactique du groupe dit G11. C’est eux qui ont bloqué tous les programmes du président de la République. Il y avait une première visée : le présenter comme un roi fainéant, incapable de satisfaire son peuple et amené celui-ci à imploser. Mais la chance du Cameroun et de son président actuel, c’est que les camerounais ont tellement pris acte de ce qui s’est passé pendant la période du maquis que, malgré les difficultés, ils restent toujours du côté des institutions. Mais ça ne peut pas durer éternellement.
On parle de plus en plus d’assises nationales, pour plancher sur la question. Etes-vous d’avis ?
Je n’aime pas les retours en arrière et, dans ma tribu d’origine, on dit que, « lorsque vous vous promenez dans le bois et que vous revenez deux fois au pied du même arbre, c’est que vous vous êtes perdus. » Il faut que l’Assemblée Nationale fasse son travail. Malheureusement la levée de l’immunité pèse sur un bon nombre de débutés. Ce qui revient à dire que notre parlement est rempli de fripouilles. C’est un scandale ! Si donc l’Assemblée Nationale n’est plus à la hauteur, où est-ce qu’on va débattre ? Il ne reste donc qu’une seule chose : tirer les conséquences, réduire le mandat de ces gens et repartir aux élections anticipées. Avec une Assemblée Nationale new look et donc un nouveau gouvernement, on pourra enfin empoigner certains problèmes qui se posent et dont les camerounais attendent des réponses.
Vous croyez vraiment au renouvellement de la société politique camerounaise ?
Bien sûr ! Le problème c’est que, au niveau des partis politiques, tout est dans le chaos, y compris au RDPC. Personne n’a la solution pour relancer la machine. Je suis moi-même du RDPC où nous demandons, depuis 5 ans, l’organisation d’un congrès ordinaire, pour plancher sur des questions urgentes. Un Comité Central qui est illégal depuis 10 ans ; un bureau politique où beaucoup de membres sont soit décidés, soit emprisonnés. Bref la machine est déjà grippée.
La visite du chef de l’Etat en France peut-elle servir à la dégripper ?
Vous savez, je n’ai pas la mémoire du colonisé. Ce n’est pas la France ou un quelconque autre pays étranger qui va développer le Cameroun. J’espère que les discutions vont porter sur des questions essentielles. Je voudrais pour le Cameroun des partenaires qui acceptent de nous accompagner dans notre développement avec des avantages égaux. Nous ne voulons plus de gens qui viennent nous exploités comme une plantation. La France est le numéro un au monde en matière de recherches scientifiques et techniques. Si nous voulons mettre sur pied une vraie politique agricole, nous en aurons besoin. Mais ce n’est pas à elle de nous dire qui sera le prochain président. Le Cameroun est un pays sérieux.
Vous vous souvenez que Cheick Anta Diop, avant de mourir, est venu chez nous pour dire aux camerounais que : « Tant que vous ne comprenez pas que c’est ici, au Cameroun, que toutes les civilisations africaines se sont croisées, l’Afrique aura du mal à décoller. Et le jour où vous comprendrez qu’est-ce que ça veut dire être camerounais et que vous le mettrez en pratique, l’Afrique va décoller. » Un mois plus tard, il mourrait. Quand on sait qu’il est quand même l’un des plus grands savants que ce continent ait connu, il faut croire qu’il est venu nous léguer un héritage. C’est pourquoi nous essayons de donner un ton nouveau.