BeyrouthHotel.mp3 (2.88 Mo)
Elle chante. Au début du film, l’amour. A la fin, sa douloureuse nostalgie. Qui ne connaît pas Beyrouth ne comprendra pas le lien insécable qui unit l’un à l’autre. Comme dans la chanson de Yara Jayi. Quel est donc ce paradis à jamais perdu dont le souvenir imprègne la psyché libanaise? Entre les deux justement, un Français au bar d’un hôtel: partout ailleurs dans le monde, rien de particulier, un non événement. Anonyme chez lui, il endosse au Liban les bénéfices identitaires de l’inconnu. Il ouvre une porte sur le monde, devient l’échappatoire fantasmée à la routine. Le concept du "voyage en dehors du Liban" s’inscrit dans la traduction culturelle du pays. Les phrases sont rituelles: "tu es français?", "d’où tu viens?": Mathieu, fils de la "douce mère". Comment ne pas céder sur son désir? Mais lequel? Un dialogue séducteur s’engage, digne du chat et de la souris: le jeu croisé des questions et des réponses sur le mode ludique fait partie des préliminaires.
On sort. Contraste avec l’intériorité enfouie des sentiments. Ou reflet projectif de ces derniers: refoulée socialement, la violence affective fait retour. En voiture, le Libanais se métamorphose. Il puise -et s’épuise- dans l’énergie des chevaux qui enragent sous le capot. La surpuissance de l’engin motorisé comble la vacuité humaine. Course agressive de vitesse. Celle à laquelle il faut vivre car tout peut s’arrêter demain. Hystérisation de la pulsion sexuelle libanaise de vie: aller plus vite que la vie elle-même. Au petit matin, Zoha paresse dans son lit alors que sa mère fait irruption dans sa chambre pour la soumettre à l’éclat de la lumière. On prend le premier café sur le balcon, sobhiyé oblige. Le Libanais s’efforce paradoxalement de dilater au maximum le temps présent à l’image d’un chat paresseux qui s’étire longuement au soleil. Jusqu’à s’en écarteler.
Le Français, l’étranger, le mystère… le désir. Au premier plan, une histoire d’amour. En toile de fond, un sombre scénario d’espionnage qui mêle l’assassinat de Rafic Hariri, la concurrence des services libanais de sécurité et les interférences du "grand frère syrien". Mélange politique des genres et palimpseste psychologique des personnages: sont-ils vraiment ceux et celles qu’ils prétendent être? Au Liban, seules les affaires compliquées aboutissent. Les simples non. Trop suspectes, elles réclament une régression infinie de spéculations afin de pouvoir laisser s’infiltrer une cohorte de personnages, autrement inutiles. L’un d’entre eux affirme détenir des secrets qu’il veut vendre à l’ambassade de France contre un visa salvateur. Un autre veut vérifier ce que le premier sait véritablement. Un troisième s’intéresse du coup à l’intrigante obsession du second. Et un quatrième ne veut sans doute pas être largué par les trois premiers. Folle et tragique farandole du pouvoir fondée sur la détention illusoire de l’information: de la Banlieue sud de Beyrouth à la vallée de la Bekaa, tout se sait au Liban. Sauf ce qui ne veut ni ne doit se savoir. Le Libanais est capable de fermer les yeux sur le pire et se faire le témoin accusateur de l’accessoire. Dans ce tissu social aux maillages extrêmement serrés, chacun est le big brother de l’autre. Cousin ou voisin, aucune différence: enchâssement successif des filatures dans le film. Contrairement au héros, il importe peu de changer d’hôtel pour garantir l’anonymat de ses frasques sexuelles: Riviera ou Palm Beach, Manara ou Raouché, les deux, vison optimiste, ont vue sur mer.
On sort. Contraste avec l’intériorité enfouie des sentiments. Ou reflet projectif de ces derniers: refoulée socialement, la violence affective fait retour. En voiture, le Libanais se métamorphose. Il puise -et s’épuise- dans l’énergie des chevaux qui enragent sous le capot. La surpuissance de l’engin motorisé comble la vacuité humaine. Course agressive de vitesse. Celle à laquelle il faut vivre car tout peut s’arrêter demain. Hystérisation de la pulsion sexuelle libanaise de vie: aller plus vite que la vie elle-même. Au petit matin, Zoha paresse dans son lit alors que sa mère fait irruption dans sa chambre pour la soumettre à l’éclat de la lumière. On prend le premier café sur le balcon, sobhiyé oblige. Le Libanais s’efforce paradoxalement de dilater au maximum le temps présent à l’image d’un chat paresseux qui s’étire longuement au soleil. Jusqu’à s’en écarteler.
Le Français, l’étranger, le mystère… le désir. Au premier plan, une histoire d’amour. En toile de fond, un sombre scénario d’espionnage qui mêle l’assassinat de Rafic Hariri, la concurrence des services libanais de sécurité et les interférences du "grand frère syrien". Mélange politique des genres et palimpseste psychologique des personnages: sont-ils vraiment ceux et celles qu’ils prétendent être? Au Liban, seules les affaires compliquées aboutissent. Les simples non. Trop suspectes, elles réclament une régression infinie de spéculations afin de pouvoir laisser s’infiltrer une cohorte de personnages, autrement inutiles. L’un d’entre eux affirme détenir des secrets qu’il veut vendre à l’ambassade de France contre un visa salvateur. Un autre veut vérifier ce que le premier sait véritablement. Un troisième s’intéresse du coup à l’intrigante obsession du second. Et un quatrième ne veut sans doute pas être largué par les trois premiers. Folle et tragique farandole du pouvoir fondée sur la détention illusoire de l’information: de la Banlieue sud de Beyrouth à la vallée de la Bekaa, tout se sait au Liban. Sauf ce qui ne veut ni ne doit se savoir. Le Libanais est capable de fermer les yeux sur le pire et se faire le témoin accusateur de l’accessoire. Dans ce tissu social aux maillages extrêmement serrés, chacun est le big brother de l’autre. Cousin ou voisin, aucune différence: enchâssement successif des filatures dans le film. Contrairement au héros, il importe peu de changer d’hôtel pour garantir l’anonymat de ses frasques sexuelles: Riviera ou Palm Beach, Manara ou Raouché, les deux, vison optimiste, ont vue sur mer.
Yalla Beyrouth! On t'aime comme ça
Le Français fait des affaires en Syrie. Que diable n’atterrit-il directement à Damas? Il préfère négocier à partir du Liban. On connaît. Dans les affaires, tout va toujours pour le mieux au pays du cèdre, tout est affreusement angoissant sur les bords du Barada. Même au pire temps de l’occupation syrienne, l’énigme d’une mainmise se retournait en son contraire. La preuve aujourd’hui: Damas, le chêne, s’écroule. Fin roseau, le Liban plie et sourit. Qui n’a jamais éprouvé, au retour d’un déplacement à Damas, cet étrange sentiment de soulagement lorsque le taxi franchit les ultimes contreforts montagneux et laisse enfin apparaître, au loin, les rivages méditerranéens de la capitale levantine?
Le désir pourrait-il naître sans se nourrir de cette paranoïa? "Tu quittes quand?", lui demande-t-elle : le libanais ne part pas, il "quitte". Subtile différence des mots qui charrient dans leur sillage un cortège d’émotions liées aux êtres et non aux biens. Le voyage signifie une déchirure. L’étranger prend racine au pays du cèdre sans s’en apercevoir. Sauf au moment de son départ. Arrachement indicible de douleur.
Leurs corps dénudés s’enlacent. L’étreinte est sensuelle: elle se déploie lentement comme on déchiffre lignes après lignes les excitants trésors d’un hiéroglyphe. Mur, porte, fauteuil, le sujet sexuel prend sa revanche sur l’objet. Aucun volume ne résiste aux lois de la fatale attraction. Les adolescents libanais vivent souvent leurs premiers émois dans leur automobile. Surexploitation et appropriation intensive de l’aire publique manipulée aux fins de rencontre. Magnifique illustration d’un quasi retournement en son contraire: auparavant craint, l’espace public aide désormais au franchissement des interdits et au contournement des contraintes. Face aux seins gonflés de désir de Zoha, Mathieu sombre dans les délices d’une silicone lourdement chargée de symboles maternels, destinée à replonger le hardi conquérant hexagonal dans une régression infantile ouatée. Sans nouvelle de lui, elle consulte une voyante sur l’éventualité de son retour. Histoire et spiritualité s’entremêlent au quotidien, se soutiennent mutuellement et tendent à ralentir, parfois à figer, des dynamiques culturelles extérieures souvent tenues pour un danger commun.
La tension croît. La mort se rapproche. Chacun est devenu une menace pour l’autre. Tout le monde soupçonne tout le monde et chacun est un coupable en puissance. Il faut donc un bouc émissaire. Ce sera Abbas, l’un des caractères accusé d’être à la solde des Israéliens. Psychose collective de l’ennemi qui trahit le mélange ambivalent de la haine et de l’amour pour ce voisin sémitique à l’insolente réussite. Plus d’un jeune Libanais le pense mais ne le dit pas: pouvoir choisir de faire la fête le samedi soir à Beyrouth et le dimanche à Tel-Aviv. Mathieu trahit-il Abbas par amour pour Zoha ? Equation insuffisamment enchevêtrée: "Si tu as tout compris du Liban, c’est que l’on te l’a mal expliqué", dit l’un des protagonistes. Phrase apocryphe d’un officier onusien. Yalla Beyrouth, ne change rien, on t’aime comme ça !
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Le désir pourrait-il naître sans se nourrir de cette paranoïa? "Tu quittes quand?", lui demande-t-elle : le libanais ne part pas, il "quitte". Subtile différence des mots qui charrient dans leur sillage un cortège d’émotions liées aux êtres et non aux biens. Le voyage signifie une déchirure. L’étranger prend racine au pays du cèdre sans s’en apercevoir. Sauf au moment de son départ. Arrachement indicible de douleur.
Leurs corps dénudés s’enlacent. L’étreinte est sensuelle: elle se déploie lentement comme on déchiffre lignes après lignes les excitants trésors d’un hiéroglyphe. Mur, porte, fauteuil, le sujet sexuel prend sa revanche sur l’objet. Aucun volume ne résiste aux lois de la fatale attraction. Les adolescents libanais vivent souvent leurs premiers émois dans leur automobile. Surexploitation et appropriation intensive de l’aire publique manipulée aux fins de rencontre. Magnifique illustration d’un quasi retournement en son contraire: auparavant craint, l’espace public aide désormais au franchissement des interdits et au contournement des contraintes. Face aux seins gonflés de désir de Zoha, Mathieu sombre dans les délices d’une silicone lourdement chargée de symboles maternels, destinée à replonger le hardi conquérant hexagonal dans une régression infantile ouatée. Sans nouvelle de lui, elle consulte une voyante sur l’éventualité de son retour. Histoire et spiritualité s’entremêlent au quotidien, se soutiennent mutuellement et tendent à ralentir, parfois à figer, des dynamiques culturelles extérieures souvent tenues pour un danger commun.
La tension croît. La mort se rapproche. Chacun est devenu une menace pour l’autre. Tout le monde soupçonne tout le monde et chacun est un coupable en puissance. Il faut donc un bouc émissaire. Ce sera Abbas, l’un des caractères accusé d’être à la solde des Israéliens. Psychose collective de l’ennemi qui trahit le mélange ambivalent de la haine et de l’amour pour ce voisin sémitique à l’insolente réussite. Plus d’un jeune Libanais le pense mais ne le dit pas: pouvoir choisir de faire la fête le samedi soir à Beyrouth et le dimanche à Tel-Aviv. Mathieu trahit-il Abbas par amour pour Zoha ? Equation insuffisamment enchevêtrée: "Si tu as tout compris du Liban, c’est que l’on te l’a mal expliqué", dit l’un des protagonistes. Phrase apocryphe d’un officier onusien. Yalla Beyrouth, ne change rien, on t’aime comme ça !
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