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Atteinte des OMD : Le Bénin entre profession de foi et timides progrès


Par Alain Tossounon Rédigé le 28/08/2010 (dernière modification le 23/08/2010)

Dans le village lacustre d'Ahomey-Gblon, commune de Sô-Ava, il n’y a pas d'eau potable. Pour s'en procurer, les femmes doivent chaque jour pagayer des heures durant jusqu'à la cité de Ganvié. Une odyssée qui prend l'allure d'un chemin de croix. Pourtant, avec les progrès accomplis ces dernières années, les autorités assurent que le Bénin est en passe de gagner le pari de l’atteinte des OMD dans le sous-secteur de l’eau (Cible 10). Seulement, les disparités entre les chiffres au niveau national et les réalités de certaines localités, cachent les efforts au point de laisser penser le contraire. A cinq ans de l’échéance, s’il y a des raisons d’espérer pour ce sous-secteur, des inquiétudes surgissent quant à la capacité du pays à consommer les crédits et la tendance à la baisse des ressources mobilisées.


Un point d'eau (c) Le Municipal
Un point d'eau (c) Le Municipal
Dans la fraîcheur aigre de l'aube naissante, entretenue par de petites gouttes de rosée, un groupe de femmes sortent de leur case. Habitantes d'Ahomey-Gblon, un village lacustre de la commune de Sô-Ava à 35 km au nord est de Cotonou, elles se sont levées à 6h comme chaque matin pour la même corvée : aller acheter le précieux liquide bleu à Ganvié, à 7 km de là pour ensuite le revendre. Et ce, après plus de 5 heures de canotage ferme en aller-retour, sur le lac Nokoué. Parce que, ici à Ahomey-Gblon, l'eau potable est une denrée rare.
Couvertes d'habits vétustes et disposant avec soins, bidons, calebasses, seaux et bassines en plastique dans quatre pirogues en bois apprêtées depuis la veille, chacune d'elle s'installe dans une barque.

Aussitôt le départ annoncé, Albertine entonne une chanson pendant que les barques glissent sur l'eau et que là-bas, à l'horizon, le soleil commence à chasser les dernières ombres de la nuit. A hauteur de Sô-Ava Centre, les barques deviennent plus nombreuses.
Sous le coup du vent, les pirogues balancent mais leur témérité ne les fait guère prendre frayeur.
Pagayer sous l’effet du vent est une chose pénible. Mais, "quand allons-nous finir avec toutes ces difficultés !?", s’interroge l’une des braves femmes. Puis, se tournant vers moi posé juste à côté d'elle dans la pirogue, elle m’interpelle : "Au lieu de chercher à nous questionner, tu ferais mieux d'informer ceux-là qui t'ont envoyé pour leur dire ce que nous endurons !". Dominique Faizoun, chargé de mission du maire de Sô-Ava, nous confiera un peu plus tard: "D'ici quelques semaines, ce sera le comble car c'est la période où les jacinthes remplissent la surface de l'eau au point que les femmes n'arrivent même plus à aller chercher de l'eau".

Pourtant, le village d'Ahomey-Gblon disposait depuis 1990, d'un double château d'eau d'une capacité de 30 m3. Il fonctionnait grâce à l'énergie électrique fournie par des panneaux solaires et permettait d'approvisionner un réseau de 5 bornes-fontaines. Mais depuis 1998, ce système est devenu non fonctionnel suite à une défaillance technique. L'équipement n'est toujours pas renouvelé ou réparé "par manque de moyens financiers", nous confie Dominique Faizoun. Malgré la présence d'une source d'eau potable à Sô-Ava Centre, plus proche d'Ahomey-Gblon, les femmes de ce village préfèrent, pour des raisons économiques, aller jusqu'à Ganvié. Tandis qu'à Sô-Ava Centre la mesure d'eau (1 000 l) s'achète à 400 FCFA, elle ne coûte que 35 FCFA à Ganvié. Les femmes la revendent ensuite à 125 FCFA à Ahomey-Gblon. Le profit réalisé leur permet de subvenir quelque peu à leurs besoins.

En mission à la mairie de Sô-Ava, Laure Pierron, de l'Association française des volontaires du progrès (Afvp), renchérit: "Ne pouvant faire par jour qu'un seul voyage à Ganvié, certaines revendeuses d'eau potable font des surcharges à tel point que le moindre vent fait basculer la pirogue et leur fait perdre toute leur marchandise". Et à Jean Claude Tchéhouénou, le chef d'arrondissement de Sô-Ava, de lâcher: "Les souffrances de ces femmes ne sont hélas pas près de finir". A Ahomey-Gblon, l’accès à l’eau potable va continuer en l’absence de projet communal ou gouvernemental pour résorber le marasme actuel.

Tout comme Ahomey-Gblon, plusieurs villages de cette commune connue sous le nom de «Venise d’’Afrique» pour sa fonction touristique avec son caractère lacustre avec ses cases sur pilotis qui mobilise chaque année, une centaine de touristes, l’accès à l’eau potable relève d’un chemin de croix. Car, ailleurs comme à Ahogbèya, un village de la commune de Klouékanmey, avec ses 13 085 habitants, boire de l’eau potable relève d’un luxe. Et le sol hydrogéologiquement difficile de la localité, ne la préservera pas de l’angoisse de la soif. Sans puits modernes, sans adduction d’eau villageoise, le seul recours pour les populations de cette localité, sont les rares puits traditionnels et l’eau du fleuve Couffo, source naturelle.
"En dehors de l’eau de puits et de celle du fleuve, nous n’avons pas d'autre alternative", explique Josephine Edah, revendeuse dans le village. Selon Jeannot Azigui, chef du service technique de la mairie, Ahogbèya est l’arrondissement le plus concerné par la non disponibilité de l’eau potable. Dans cet arrondissement, le taux de couverture en eau potable est de 0%.

Des chiffres contrastants avec le niveau national

Les statistiques au niveau national contrastent avec la réalité sur le terrain. A l’occasion de la dernière revue du secteur, le sous-secteur Approvisionnement en Eau Potable (AEP) affichait au titre de l’année 2009, la réalisation de 2 313 Equivalents Points d’Eau (EPE), soit 1 811 nouveaux réalisés et 73 réhabilités sur Budget-Programme par Objectif (BPO) et 429 nouveaux et 269 réhabilités par les autres acteurs intervenant dans le sous-secteur. Ainsi, au niveau national, la Direction générale de l’eau avance que le taux de desserte est passé à 55,1% à fin décembre 2009. Il doit être de 67,3% à l’horizon 2015 pour atteindre les OMD. Ce qui rend optimiste le Directeur général de l’eau, Samari Bani pour qui, le Bénin sera au rendez-vous des OMD à l’horizon 2015. Seulement, il ne manque pas d’exprimer ses inquiétudes quant à la tendance à la baisse des ressources destinées à la réalisation des points d’eau. Une tendance baissière réelle puisque dans le document de la revue du secteur qui fait le bilan annuel du secteur, les acteurs n’ont pas caché leur angoisse de constater que ces deux dernières années, les ressources mobilisées sont en diminution : 14,27 milliards de francs CFA en 2010 et 16,69 milliards de francs CFA en 2009 contre 20,95 milliards de francs CFA en 2008. A cela, si l’on ajoute les retards considérables enregistrés dans les paiements passant par le circuit du trésor public, la notification des crédits délégués aux services départementaux, et dans le transfert des ressources, il faut bien craindre que les progrès timides enregistrés ne soient compromis les prochaines années.
Mais au-delà de ces chiffres qui rassurent les autorités quant à l’atteinte des OMD dans le sous-secteur, de nombreuses localités telles que Sô-Ava, Ouinhi attendent de sortir de l’angoisse de la soif.
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