Illustration proposée par l'auteur
"Maintenant il faut apprêter l’argent à donner aux juges qui ont siégé pour gagner ton procès", lance Maître Georges* à son client au sortir de l’audience du tribunal de grande instance de Bukavu, ce matin du mois d’août 2013.
Maître Georges vient, en effet, de terminer ses plaidoiries il y a quelques minutes. Mais malgré que les débats au tribunal se soient passé en sa faveur, il n’est pas aussi sûr qu’il en sera autant lors du jugement. "Nous avons toutes les pièces essentielles pour gagner ce procès mais pour des juges souvent l’argent l’emporte sur les pièces" confie-t-il à son client.
Dans les juridictions du Sud-Kivu, nombreux juges exigent l’argent aux parties en procès pour influencer les choses à leurs avantages. On appelle cette pratique "diligenter son dossier".
Ainsi, la partie qui "diligente" a toutes les chances de remporter le procès. "Un juge m’a dit un jour: Maître, dis à ton client de venir diligenter s’il veut gagner ce procès!" se rappelle Maître Léon Bitakuya, Défenseur Judiciaire au tribunal de grande instance d’Uvira. Son client qui se disputait un lopin de terre avec son voisin a donné 300 dollars américains au juge et a remporté le procès. "Si on ne l’avait pas fait on aurait perdu le procès, c’est évident", confie-t-il.
Toujours à la recherche de l’argent frauduleux, d’autres juges vont loin jusqu’à monnayer le prononcé du jugement. Dans ces cas, si les parties ne payent pas, le jugement est gelé parfois même pendant des années.
"En avril dernier, j’ai introduit un dossier pour solliciter le changement du nom de ma cliente. La loi prévoit que dans des telles affaires le juge se prononce dans les 30 jours. Mais ça fait déjà 5 mois que j’attends en vain le jugement. Le juge exige avant tout de l’argent que ma cliente n’a pas", confie Maître Justin Akenge, défenseur judiciaire au tribunal de grande instance de Bukavu. Il y a un mois, il a écrit au président du tribunal de grande instance de Bukavu pour dénoncer l’acte de ce juge mais "aucune réaction jusque-là".
Une pratique courante
Selon Maitre Marcellin Mambo, avocat au barreau de Bukavu, "nombreuses personnes qui pensaient être en droit ont perdu des procès pour avoir manqué l’argent à donner aux juges ou négliger de le faire".
C’est le cas de madame Sifa, 48 ans, veuve et mère de 8 enfants, "j’avais le certificat d’enregistrement de la maison et toutes les autres pièces nécessaires. Je n’avais pas l’argent que m’exigeaient les juges alors ils ont donné raison aux frères de mon défunt mari qui m’ont fait déguerpir de la maison qu’on se disputait. Grâce à leur argent ils m’ont volé mon droit…", raconte-t-elle larmes aux yeux.
Sur une radio locale, en avril dernier, le premier président de la Cour d’appel de Bukavu a affirmé avoir entendu parler de "ce phénomène" regrettant de "n’avoir jamais vu quelqu’un venir s’en plaindre". Il a appelé les personnes à qui un juge exige de l’argent de venir lui en informer immédiatement pour que "tous les juges fautifs soient sanctionnés selon la loi".
Mais sous anonymat, un juge affirme que cette situation est généralisée dans toutes les instances de la justice congolaise. Pour lui, ceci est la conséquence du mauvais traitement des magistrats par l’État congolais pour qui ils travaillent. "L’État ne nous donne pas les moyens nécessaire pour assurer notre indépendance : Pas d’émolument (salaire) digne à notre statut, pas de moyens de transport ni des allocations familiales, souvent pas de frais de logement... C’est normal que l’on soit tenté par l’argent des justiciables pour combler ce vide", confie-t-il.
Pourtant les articles 45 à 48 de la loi sur le statut des magistrats érigent en faute disciplinaire "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité de ses fonctions" sous entendant aussi le fait d’exiger de l’argent aux parties. Les sanctions pour les magistrats coupables peuvent aller dans ce sens du blâme à la révocation selon la gravité des faits.
"En exigeant ou prenant cet argent, ces magistrats se rendent aussi coupable de la corruption et la concussion, deux infractions graves punies de lourdes peines de prison", martèle Me Pappy Kajabika, responsable de l’Ong Vision sociale, une organisation des droits de l’homme. L’avocat estime que le manque de prise en charge des magistrats ne peut pas justifier ce comportement illégal.
Suite aux magouilles opérées par des juges des cours et tribunaux du Sud Kivu, nombreux habitants préfèrent régler leurs différends à l’amiable. C’est le cas de Fabrice, petit commerçant, qui s’est fait escroqué 1000 dollars américains en mai dernier. "J’ai retrouvé l’escroc, sa famille a proposé de me dédommager avec une vache (500$) en contrepartie de l’argent escroqué et j’ai accepté", atteste-t-il.
Fabrice qui avait les moyens de saisir la justice ne l’a pas fait. "Je n’ai pas confiance en la justice elle est généralement corrompue. C’est pourquoi je n’y suis pas allé. En plus avec elle je n’obtiendrais même pas le peu que j’ai eu à l’amiable."
Contrairement à Fabrice, certains habitants préfèrent se rendre justice en utilisant des moyens violents en torturant ou tuant les présumés bandits ou en détruisant des biens qui leur appartiennent. Au Sud Kivu, cette pratique est couramment appelée la "justice populaire".
Une affaire des riches
Pour nombreux, la corruption dans la justice consacre l’impunité dans tous les secteurs de la vie.
Pour Solange Lwashiga, secrétaire exécutive du Caucus des femmes du Sud Kivu, une Ong de défense des droits de l’homme, "suite à la corruption, la justice est devenu une affaire des riches en RDC et au Sud Kivu en particulier…".
"On voit ainsi que chaque fois qu’un pauvre est opposé à un riche en justice, le pauvre a toutes les chances de perdre le procès. Il en va de conclure qu’ici la justice aussi s’achète", conclut Jean Morro Tubibu, responsable du Groupe Jérémie, ong de droit de l’homme.
Pour que cesse cette pratique devenue courante dans les cours et tribunaux du Sud Kivu, Maître Pappy Kajabika estime qu’"il faut sanctionner les magistrats impliqués dans la corruption en appliquant la loi pénale".
Pour lui, la suspension ou la révocation des magistrats impliqués ne suffisent pas. "Il faut aussi des condamnations publiques des magistrats corrompus, qu’ils purgent aussi effectivement le maximum des peines de prison prévues par la loi. Cela servira d’exemple et dissuadera les autres magistrats à poursuivre avec cette pratique qui souille l’image de la justice de la RDC", conclut-il.
*Georges, prénom d’emprunt, la source ayant requis l’anonymat
Maître Georges vient, en effet, de terminer ses plaidoiries il y a quelques minutes. Mais malgré que les débats au tribunal se soient passé en sa faveur, il n’est pas aussi sûr qu’il en sera autant lors du jugement. "Nous avons toutes les pièces essentielles pour gagner ce procès mais pour des juges souvent l’argent l’emporte sur les pièces" confie-t-il à son client.
Dans les juridictions du Sud-Kivu, nombreux juges exigent l’argent aux parties en procès pour influencer les choses à leurs avantages. On appelle cette pratique "diligenter son dossier".
Ainsi, la partie qui "diligente" a toutes les chances de remporter le procès. "Un juge m’a dit un jour: Maître, dis à ton client de venir diligenter s’il veut gagner ce procès!" se rappelle Maître Léon Bitakuya, Défenseur Judiciaire au tribunal de grande instance d’Uvira. Son client qui se disputait un lopin de terre avec son voisin a donné 300 dollars américains au juge et a remporté le procès. "Si on ne l’avait pas fait on aurait perdu le procès, c’est évident", confie-t-il.
Toujours à la recherche de l’argent frauduleux, d’autres juges vont loin jusqu’à monnayer le prononcé du jugement. Dans ces cas, si les parties ne payent pas, le jugement est gelé parfois même pendant des années.
"En avril dernier, j’ai introduit un dossier pour solliciter le changement du nom de ma cliente. La loi prévoit que dans des telles affaires le juge se prononce dans les 30 jours. Mais ça fait déjà 5 mois que j’attends en vain le jugement. Le juge exige avant tout de l’argent que ma cliente n’a pas", confie Maître Justin Akenge, défenseur judiciaire au tribunal de grande instance de Bukavu. Il y a un mois, il a écrit au président du tribunal de grande instance de Bukavu pour dénoncer l’acte de ce juge mais "aucune réaction jusque-là".
Une pratique courante
Selon Maitre Marcellin Mambo, avocat au barreau de Bukavu, "nombreuses personnes qui pensaient être en droit ont perdu des procès pour avoir manqué l’argent à donner aux juges ou négliger de le faire".
C’est le cas de madame Sifa, 48 ans, veuve et mère de 8 enfants, "j’avais le certificat d’enregistrement de la maison et toutes les autres pièces nécessaires. Je n’avais pas l’argent que m’exigeaient les juges alors ils ont donné raison aux frères de mon défunt mari qui m’ont fait déguerpir de la maison qu’on se disputait. Grâce à leur argent ils m’ont volé mon droit…", raconte-t-elle larmes aux yeux.
Sur une radio locale, en avril dernier, le premier président de la Cour d’appel de Bukavu a affirmé avoir entendu parler de "ce phénomène" regrettant de "n’avoir jamais vu quelqu’un venir s’en plaindre". Il a appelé les personnes à qui un juge exige de l’argent de venir lui en informer immédiatement pour que "tous les juges fautifs soient sanctionnés selon la loi".
Mais sous anonymat, un juge affirme que cette situation est généralisée dans toutes les instances de la justice congolaise. Pour lui, ceci est la conséquence du mauvais traitement des magistrats par l’État congolais pour qui ils travaillent. "L’État ne nous donne pas les moyens nécessaire pour assurer notre indépendance : Pas d’émolument (salaire) digne à notre statut, pas de moyens de transport ni des allocations familiales, souvent pas de frais de logement... C’est normal que l’on soit tenté par l’argent des justiciables pour combler ce vide", confie-t-il.
Pourtant les articles 45 à 48 de la loi sur le statut des magistrats érigent en faute disciplinaire "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité de ses fonctions" sous entendant aussi le fait d’exiger de l’argent aux parties. Les sanctions pour les magistrats coupables peuvent aller dans ce sens du blâme à la révocation selon la gravité des faits.
"En exigeant ou prenant cet argent, ces magistrats se rendent aussi coupable de la corruption et la concussion, deux infractions graves punies de lourdes peines de prison", martèle Me Pappy Kajabika, responsable de l’Ong Vision sociale, une organisation des droits de l’homme. L’avocat estime que le manque de prise en charge des magistrats ne peut pas justifier ce comportement illégal.
Suite aux magouilles opérées par des juges des cours et tribunaux du Sud Kivu, nombreux habitants préfèrent régler leurs différends à l’amiable. C’est le cas de Fabrice, petit commerçant, qui s’est fait escroqué 1000 dollars américains en mai dernier. "J’ai retrouvé l’escroc, sa famille a proposé de me dédommager avec une vache (500$) en contrepartie de l’argent escroqué et j’ai accepté", atteste-t-il.
Fabrice qui avait les moyens de saisir la justice ne l’a pas fait. "Je n’ai pas confiance en la justice elle est généralement corrompue. C’est pourquoi je n’y suis pas allé. En plus avec elle je n’obtiendrais même pas le peu que j’ai eu à l’amiable."
Contrairement à Fabrice, certains habitants préfèrent se rendre justice en utilisant des moyens violents en torturant ou tuant les présumés bandits ou en détruisant des biens qui leur appartiennent. Au Sud Kivu, cette pratique est couramment appelée la "justice populaire".
Une affaire des riches
Pour nombreux, la corruption dans la justice consacre l’impunité dans tous les secteurs de la vie.
Pour Solange Lwashiga, secrétaire exécutive du Caucus des femmes du Sud Kivu, une Ong de défense des droits de l’homme, "suite à la corruption, la justice est devenu une affaire des riches en RDC et au Sud Kivu en particulier…".
"On voit ainsi que chaque fois qu’un pauvre est opposé à un riche en justice, le pauvre a toutes les chances de perdre le procès. Il en va de conclure qu’ici la justice aussi s’achète", conclut Jean Morro Tubibu, responsable du Groupe Jérémie, ong de droit de l’homme.
Pour que cesse cette pratique devenue courante dans les cours et tribunaux du Sud Kivu, Maître Pappy Kajabika estime qu’"il faut sanctionner les magistrats impliqués dans la corruption en appliquant la loi pénale".
Pour lui, la suspension ou la révocation des magistrats impliqués ne suffisent pas. "Il faut aussi des condamnations publiques des magistrats corrompus, qu’ils purgent aussi effectivement le maximum des peines de prison prévues par la loi. Cela servira d’exemple et dissuadera les autres magistrats à poursuivre avec cette pratique qui souille l’image de la justice de la RDC", conclut-il.
*Georges, prénom d’emprunt, la source ayant requis l’anonymat