Je l'appelais "Monsieur Cocteau"
Chronique culturelle 120516.mp3 (193.51 Ko)
Le Studio Hébertot, dans le XVIIe arrondissement de Paris, présente jusqu'au 29 mai 2016 ce texte de Carole Weisweiller. Adapté par Bérengère Dautun, du roman éponyme de l'auteur, préfacé par Jean Marais et paru en 1996, aux Éditions du Rocher.
Le roman a été augmenté et réédité chez Michel de Maule, en 2013. Y sont retracées les dernières années de la vie de Jean Cocteau, décédé à Milly-la-Forêt, le 11 octobre 1963. Carole est la fille de Francine Weisweiller, amie et mécène de l'écrivain. Celle-ci a produit le dernier des films de Cocteau en 1963, "Le testament d'Orphée". Elle avait fait sa connaissance en 1950 par l’intermédiaire de sa cousine Nicole Stéphane née Nicole de Rothschild, sur le plateau du tournage du film de Jean-Pierre Melville "Les enfants terribles", adaptation du roman de Cocteau. "Je l'appelais Monsieur Cocteau" est mis en scène par Pascal Vitiello. Guillaume Bienvenu y est Jean Cocteau, et Bérengère Dautun qui a passé 33 ans à la Comédie-Française interprète Carole Weisweiller.
A la Villa Santo Sospir de Saint-Jean-Cap-Ferrat, de nos jours, elle rappelle ce qu'elle y a vécu sous forme d'un dialogue qu'elle aurait pu avoir avec Cocteau qu'elle a connu quand elle avait huit ans et pour qui elle éprouvait une grande admiration. Par ses souvenirs d'enfant puis d'adolescente, elle nous la fait partager et fait mieux connaître le personnage, généreux et plein de fantaisie, ainsi que l'homme de lettres, également peintre, dessinateur, réalisateur et dramaturge.
Elle lui disait toujours Monsieur, alors qu'elle appelait Picasso par son prénom Pablo. Pendant plus de dix ans, à partir de 1950 jusqu'à sa brouille avec Francine Weisweiller, Jean Cocteau passera tous ses étés à la Villa Santo Sospir avec son fils adoptif Édouard Dermite, Doudou, l'interprète de Paul dans "Les enfants terribles". Le reste du temps, Cocteau fréquentait assidument l'hôtel particulier des Weisweiller, 4, place des États-Unis, dans le quartier de Chaillot. Au début, pour éviter l'oisiveté à la villa Santo Sospir, il demanda à l'hôtesse s’il pouvait dessiner au fusain une tête d’Apollon au-dessus d’une cheminée du salon.
Matisse avait l'habitude de dire "Quand on décore un mur, on décore les autres". C'est ainsi que commença la grande fresque qui ornera presque tous les murs, mais aussi les sols et les plafonds. Sur des thèmes allant de la mythologie grecque aux évocations de la Côte d’Azur, pêcheurs de Villefranche aussi bien que l’oursin ou la fougasse niçoise. Cocteau dira "Il ne fallait pas habiller les murs, il fallait dessiner sur leur peau, c’est pourquoi j’ai traité les fresques linéairement avec le peu de couleurs qui rehaussent les tatouages. Santo Sospir est une Villa tatouée". Le poète rehaussait ses dessins au fusain avec des couleurs, un ouvrier italien lui préparait les poudres colorées délayées dans du lait cru, la tempera.
Ces murs étaient nus car la maison achetée en 1946 n'était occupée que l'été. Carole nous révèle que c'était une promesse que son père Alec Weisweiller avait faite à sa femme, s'ils échappaient à l'Holocauste, ils achèteraient une maison sur la Côte d'Azur que Francine née à Cannes, aimait particulièrement. La villa Santo Sospir est depuis le 5 mai 1995 inscrite à l'inventaire supplémentaire au titre des Monuments historiques français. Carole souhaite faire don de la villa au Conservatoire du littoral, évitant ainsi des droits de succession excessifs. Il est possible de visiter la maison sur réservation.
Le roman a été augmenté et réédité chez Michel de Maule, en 2013. Y sont retracées les dernières années de la vie de Jean Cocteau, décédé à Milly-la-Forêt, le 11 octobre 1963. Carole est la fille de Francine Weisweiller, amie et mécène de l'écrivain. Celle-ci a produit le dernier des films de Cocteau en 1963, "Le testament d'Orphée". Elle avait fait sa connaissance en 1950 par l’intermédiaire de sa cousine Nicole Stéphane née Nicole de Rothschild, sur le plateau du tournage du film de Jean-Pierre Melville "Les enfants terribles", adaptation du roman de Cocteau. "Je l'appelais Monsieur Cocteau" est mis en scène par Pascal Vitiello. Guillaume Bienvenu y est Jean Cocteau, et Bérengère Dautun qui a passé 33 ans à la Comédie-Française interprète Carole Weisweiller.
A la Villa Santo Sospir de Saint-Jean-Cap-Ferrat, de nos jours, elle rappelle ce qu'elle y a vécu sous forme d'un dialogue qu'elle aurait pu avoir avec Cocteau qu'elle a connu quand elle avait huit ans et pour qui elle éprouvait une grande admiration. Par ses souvenirs d'enfant puis d'adolescente, elle nous la fait partager et fait mieux connaître le personnage, généreux et plein de fantaisie, ainsi que l'homme de lettres, également peintre, dessinateur, réalisateur et dramaturge.
Elle lui disait toujours Monsieur, alors qu'elle appelait Picasso par son prénom Pablo. Pendant plus de dix ans, à partir de 1950 jusqu'à sa brouille avec Francine Weisweiller, Jean Cocteau passera tous ses étés à la Villa Santo Sospir avec son fils adoptif Édouard Dermite, Doudou, l'interprète de Paul dans "Les enfants terribles". Le reste du temps, Cocteau fréquentait assidument l'hôtel particulier des Weisweiller, 4, place des États-Unis, dans le quartier de Chaillot. Au début, pour éviter l'oisiveté à la villa Santo Sospir, il demanda à l'hôtesse s’il pouvait dessiner au fusain une tête d’Apollon au-dessus d’une cheminée du salon.
Matisse avait l'habitude de dire "Quand on décore un mur, on décore les autres". C'est ainsi que commença la grande fresque qui ornera presque tous les murs, mais aussi les sols et les plafonds. Sur des thèmes allant de la mythologie grecque aux évocations de la Côte d’Azur, pêcheurs de Villefranche aussi bien que l’oursin ou la fougasse niçoise. Cocteau dira "Il ne fallait pas habiller les murs, il fallait dessiner sur leur peau, c’est pourquoi j’ai traité les fresques linéairement avec le peu de couleurs qui rehaussent les tatouages. Santo Sospir est une Villa tatouée". Le poète rehaussait ses dessins au fusain avec des couleurs, un ouvrier italien lui préparait les poudres colorées délayées dans du lait cru, la tempera.
Ces murs étaient nus car la maison achetée en 1946 n'était occupée que l'été. Carole nous révèle que c'était une promesse que son père Alec Weisweiller avait faite à sa femme, s'ils échappaient à l'Holocauste, ils achèteraient une maison sur la Côte d'Azur que Francine née à Cannes, aimait particulièrement. La villa Santo Sospir est depuis le 5 mai 1995 inscrite à l'inventaire supplémentaire au titre des Monuments historiques français. Carole souhaite faire don de la villa au Conservatoire du littoral, évitant ainsi des droits de succession excessifs. Il est possible de visiter la maison sur réservation.
Le rideau de scène de "Parade" au Châtelet
Le 18 mai 1917, en matinée, avait lieu au théâtre du Châtelet à Paris, la première représentation du ballet en un acte "Parade", sur une musique d'Érik Satie, un livret de Jean Cocteau et une chorégraphie de Léonide Massine alors âgé de 21 ans; décors, costumes et rideau de scène de Pablo Picasso. Léonide Massine, Maria Chabelska et Nicolas Zwerev en étaient les principaux danseurs.
Dans la salle se trouvaient beaucoup de gens du monde et aussi entre autres, la princesse Edmond de Polignac, née Winnaretta Singer, héritière des machines à coudre mais surtout mécène musical, Misia Sert, Valentine Hugo, Coco Chanel, Léon Bakst et Paul Morand. Ce dernier commentait par la suite "Salle comble, hier soir au Châtelet, pour Parade". Décors de toile, genre spectacle forain, de Picasso, une musique gracieuse de Satie, tantôt Rimski, tantôt bastringue. Les "Managers", constructions cubistes, ont surpris. La petite fille américaine et les faiseurs de tours avaient de charmants costumes. Massine? Bien aussi, en jongleur chinois. Ce qui ne l'empêche pas de préciser "Mais l’idée centrale de Cocteau de se dégager des poncifs de la danse pour grouper une série de gestes de la vie, et ses thèmes modernes (mise en marche d’un auto, photographie etc.), stylisés dans du mouvement, n’a pas paru tout à fait au point. Beaucoup d’applaudissements, quelques sifflets".
Il faut bien reconnaître que ce premier ballet cubiste ne fut pas accueilli avec un enthousiasme délirant. Les uns lui reprochant sa légèreté alors que le pays était en guerre, ses costumes, sa musique, principalement les bruits de machine à écrire. D'autres étaient plutôt de l'avis de Guillaume Apollinaire qui écrivait dans le programme que ce ballet représentait "pour la première fois ce mariage entre la peinture et la danse, la plasticité et le mime qui est le signe de l’avènement d’un art plus complet". On retiendra certainement cette remarque d'un spectateur que l'on cite toujours “Si j’avais su que c’était aussi bête, j’aurais amené les enfants”… Un autre rapporte "On se bat à l’orchestre, on s’injurie. On s'insulte même puisqu'on entendit crier: sales boches". Il nous paraît bien offensif actuellement; il s'inspire d'un sujet populaire, la parade, une sorte de court spectacle qui était joué à la porte des cirques pour attirer les clients.
Pour les Ballets Russes c'était là leur unique saison de danse à Paris pendant les années de guerre, si l'on excepte un gala de charité, à l'initiative de la reine Alexandra de Grande-Bretagne le 29 décembre 1915, à l’Opéra, au bénéfice des Croix-Rouge anglaise, française et belge. C'est à Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet, que l'on doit cette excellente idée de présenter, du 7 au 15 mai 2016, le rideau de scène à l'endroit où il se trouvait à l'origine. Ce chef-d’œuvre des collections du Centre Georges Pompidou, peinture à la colle de peau sur toile mesurant 10,50m sur 16,40m, soit 170 m2, pour être vu de partout, et pesant 45kg, est d'une grande fragilité. On ne l'a guère présenté, depuis son exposition audit Centre en 1986 et en 2012, au Centre Georges Pompidou de Metz, à l’occasion d’une vaste exposition sur l’année 1917.
Pour la description de ce rideau célèbre entre tous, nous nous en tiendrons à celle que donne Richard Buckle, biographe reconnu de Diaghilev "D’un côté, encadrés de draperies pourpres, de feuillages, de fragments d’architecture en ruine et d’une vue lointaine du Vésuve, sept personnages fantastiques se tiennent groupés autour d’une table: un toréro, un arlequin, un prêtre, un nègre enturbanné, un matelot, deux filles. Leur fait face une sylphide cavalière, juchée debout sur un Pégase blanc aux ailes déployées, tendant la main à un singe monté sur une échelle peinte en bleu, blanc, rouge, comme une enseigne de coiffeur… Les forains s’apprêtent sans nul doute à faire un pique-nique, car sur la scène même Picasso a peint une grosse étoile bleue semée d’étoiles blanches, présageant les costumes des acrobates qu’on va découvrir, une fois le rideau levé, ainsi qu’un chien lové sur lui-même à côté d’un tambour muet".
Les heureux visiteurs du Châtelet ont aussi droit, dans le grand foyer du théâtre, à la diffusion filmée du ballet "Parade". Il est interprété en 2007 par les jeunes danseurs d’Europa Danse, institution créée par Jean-Albert Cartier qui fut aussi le premier directeur du Théâtre musical de Paris, nom que prit le Châtelet de 1980 à 1989 quand il dépendait de la Ville de Paris.
Certains pourront ce demander pourquoi célébrer ce rideau de scène 99 ans après sa création et n'avoir pas attendu son centième anniversaire. On peut être tenté d'imaginer que l'on a aussi pensé à Érik Satie, né Éric Alfred Leslie Satie, le 17 mai 1866 à Honfleur et dont on célèbre cette année le 150e anniversaire de la naissance.
Dans la salle se trouvaient beaucoup de gens du monde et aussi entre autres, la princesse Edmond de Polignac, née Winnaretta Singer, héritière des machines à coudre mais surtout mécène musical, Misia Sert, Valentine Hugo, Coco Chanel, Léon Bakst et Paul Morand. Ce dernier commentait par la suite "Salle comble, hier soir au Châtelet, pour Parade". Décors de toile, genre spectacle forain, de Picasso, une musique gracieuse de Satie, tantôt Rimski, tantôt bastringue. Les "Managers", constructions cubistes, ont surpris. La petite fille américaine et les faiseurs de tours avaient de charmants costumes. Massine? Bien aussi, en jongleur chinois. Ce qui ne l'empêche pas de préciser "Mais l’idée centrale de Cocteau de se dégager des poncifs de la danse pour grouper une série de gestes de la vie, et ses thèmes modernes (mise en marche d’un auto, photographie etc.), stylisés dans du mouvement, n’a pas paru tout à fait au point. Beaucoup d’applaudissements, quelques sifflets".
Il faut bien reconnaître que ce premier ballet cubiste ne fut pas accueilli avec un enthousiasme délirant. Les uns lui reprochant sa légèreté alors que le pays était en guerre, ses costumes, sa musique, principalement les bruits de machine à écrire. D'autres étaient plutôt de l'avis de Guillaume Apollinaire qui écrivait dans le programme que ce ballet représentait "pour la première fois ce mariage entre la peinture et la danse, la plasticité et le mime qui est le signe de l’avènement d’un art plus complet". On retiendra certainement cette remarque d'un spectateur que l'on cite toujours “Si j’avais su que c’était aussi bête, j’aurais amené les enfants”… Un autre rapporte "On se bat à l’orchestre, on s’injurie. On s'insulte même puisqu'on entendit crier: sales boches". Il nous paraît bien offensif actuellement; il s'inspire d'un sujet populaire, la parade, une sorte de court spectacle qui était joué à la porte des cirques pour attirer les clients.
Pour les Ballets Russes c'était là leur unique saison de danse à Paris pendant les années de guerre, si l'on excepte un gala de charité, à l'initiative de la reine Alexandra de Grande-Bretagne le 29 décembre 1915, à l’Opéra, au bénéfice des Croix-Rouge anglaise, française et belge. C'est à Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet, que l'on doit cette excellente idée de présenter, du 7 au 15 mai 2016, le rideau de scène à l'endroit où il se trouvait à l'origine. Ce chef-d’œuvre des collections du Centre Georges Pompidou, peinture à la colle de peau sur toile mesurant 10,50m sur 16,40m, soit 170 m2, pour être vu de partout, et pesant 45kg, est d'une grande fragilité. On ne l'a guère présenté, depuis son exposition audit Centre en 1986 et en 2012, au Centre Georges Pompidou de Metz, à l’occasion d’une vaste exposition sur l’année 1917.
Pour la description de ce rideau célèbre entre tous, nous nous en tiendrons à celle que donne Richard Buckle, biographe reconnu de Diaghilev "D’un côté, encadrés de draperies pourpres, de feuillages, de fragments d’architecture en ruine et d’une vue lointaine du Vésuve, sept personnages fantastiques se tiennent groupés autour d’une table: un toréro, un arlequin, un prêtre, un nègre enturbanné, un matelot, deux filles. Leur fait face une sylphide cavalière, juchée debout sur un Pégase blanc aux ailes déployées, tendant la main à un singe monté sur une échelle peinte en bleu, blanc, rouge, comme une enseigne de coiffeur… Les forains s’apprêtent sans nul doute à faire un pique-nique, car sur la scène même Picasso a peint une grosse étoile bleue semée d’étoiles blanches, présageant les costumes des acrobates qu’on va découvrir, une fois le rideau levé, ainsi qu’un chien lové sur lui-même à côté d’un tambour muet".
Les heureux visiteurs du Châtelet ont aussi droit, dans le grand foyer du théâtre, à la diffusion filmée du ballet "Parade". Il est interprété en 2007 par les jeunes danseurs d’Europa Danse, institution créée par Jean-Albert Cartier qui fut aussi le premier directeur du Théâtre musical de Paris, nom que prit le Châtelet de 1980 à 1989 quand il dépendait de la Ville de Paris.
Certains pourront ce demander pourquoi célébrer ce rideau de scène 99 ans après sa création et n'avoir pas attendu son centième anniversaire. On peut être tenté d'imaginer que l'on a aussi pensé à Érik Satie, né Éric Alfred Leslie Satie, le 17 mai 1866 à Honfleur et dont on célèbre cette année le 150e anniversaire de la naissance.