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Interview de Philippe Guettier, Directeur Général du Partenariat français de l’eau


Par Rédigé le 07/07/2015 (dernière modification le 07/07/2015)

A l’occasion de son passage au Bénin pour l’Assemblée Générale des partenaires du Partenariat mondial de l’eau pour l’Afrique de l’ouest (GWP/AO), nous avons rencontré le Directeur Général du Partenariat français de l’eau, Philippe Guettier. Avec lui, nous avons évoqué deux enjeux. Le premier relatif à la nécessité pour la communauté internationale de l’eau de se mobiliser pour qu’en plus de l’inscription de l’objectif Eau parmi les Objectifs de développement durable (ODD), des indicateurs précis et fiables soient retenus. Par rapport au second enjeu concernant la place de l’eau dans les négociations attendues de la COP 21 de Paris, Philippe Guettier indique qu’à huit mois de ce rendez-vous capital pour l’avenir du climat, l’eau n’est pas vraiment un sujet prioritaire. Une raison pour lui de lancer un appel pour que l’eau soit au cœur des discussions de la COP 21 et dans les projets et mesures d’adaptation aux changements climatiques surtout pour les pays du sud.


Qu’est-ce qui fondent vos inquiétudes sur le fait que l’eau ne soit plus prise en compte comme priorité dans les ODD?

Philippe Guettier, Pdt du Partenariat français de l'eau. Photo (c) A.T.
Philippe Guettier, Pdt du Partenariat français de l'eau. Photo (c) A.T.
J’ai une crainte mais pas forcément sur cette question. On peut penser aujourd’hui, même si les décisions ne sont pas encore prises, elles le seront en septembre 2015, qu’il y aura dans l’agenda post-2015, un objectif spécifique à l’eau. Je pense qu’aujourd’hui que la communauté internationale de l’eau a beaucoup agi et le résultat sera au rendez-vous. La petite crainte qu’on peut avoir, c’est que l’objectif Eau ne soit pas forcément un objectif qui intègre toutes les dimensions de l’eau. C’est la raison pour laquelle il faut continuer à pousser les choses pour que l’objectif Eau intègre l’accès universel à l’eau potable, l’accès universel à l’assainissement, la dépollution des rejets d’eaux usées, la bonne gouvernance, la préservation de la biodiversité aquatique, et toutes les questions d’efficience de tous les usages liés à l’eau à savoir agricole, énergie, la santé, etc. Donc, il faut être vigilant et continuer à travailler pour que l’objectif intègre toutes ces dimensions. Je ne suis pas inquiet, mais le combat à mener c’est qu’il y ait derrière l’objectif Eau post-2015, un système de suivi de la mise en œuvre de cet objectif et de ses cibles. Je pense à un véritable système de suivi avec des indicateurs pertinents, fiables, déjà utilisés et que se sont appropriés les pays du sud.


Comment faire pour que ces indicateurs soient bien élaborés et retenus par la communauté internationale?

Il y a aujourd’hui un travail qui est fait par les agences des Nations Unies pour définir les indicateurs dans tous les secteurs; en particulier pour les agences dédiées à l’eau, des indicateurs dédiés à l’eau. Autour de ces agences des Nations Unies, il y a un certain nombre d’acteurs et de partenaires parmi lesquels, le Partenariat français pour l’eau que je dirige et qui apportent des contributions techniques en regardant les indicateurs qui sont utilisés aujourd’hui. Car, plus les indicateurs sont fiables, plus ils seront maîtrisés et plus grandes seront les chances de les voir retenus. C’est cela l’enjeu. Aujourd’hui, la communauté de l’eau au plan international est insuffisamment représentée dans ce dispositif de définition des indicateurs. C’est la raison pour laquelle, ici à Cotonou, les acteurs de l’eau de l’Afrique de l’ouest ont décidé à travers un appel, d’apporter des contributions sur ces indicateurs, de façon à ce que in fine, la commission des statistiques des Nations unies adopte des indicateurs qui soient tout à fait utilisables, tout à fait fiables pour les pays en développement, en particulier les pays africains.

Après Cotonou, comment maintenir cette mobilisation pour être certain que le travail qui est fait va être pris en compte par la communauté internationale?

Au niveau des acteurs de l’Afrique de l’ouest, ce qui a été retenu dans l’appel, est que le secrétariat du GWP ouest-africain va lui-même mettre en place un système de suivi des différentes actions qui vont être mises en œuvre par les membres de ce réseau africain. Cela est très important. Ce système de suivi permettra de s’assurer que les acteurs africains vont apporter des contributions, s’impliquer dans le dispositif, et surtout qu’ils vont mobiliser leurs gouvernements à s’engager en faveur d’un objectif Eau, de cibles Eau et d’indicateurs Eau fiables et pertinents.

Abordons la question de l’eau et du climat. Pendant longtemps, on a dit que l’eau était absente des négociations internationales concernant le climat. Aujourd’hui, quel est l’état des lieux à la veille de la COP 21 qui se tiendra à Paris?

A huit mois de la COP 21, l’eau n’est pas vraiment un sujet prioritaire. C’est la raison pour laquelle il faut que la communauté internationale de l’eau se mobilise, ainsi que la communauté africaine. D’où l’appel dont j’ai parlé tantôt qui porte aussi sur la COP 21 afin que l’eau trouve sa place à Paris. Et pour qu’il en soit le cas, il faut que cet accord intègre un volet sur l’adaptation aux changements climatiques.

Pendant longtemps, on a focalisé l’attention sur l’atténuation. N’est-il pas temps de penser aux mesures d’adaptation?

Justement pendant longtemps et aujourd’hui, le vrai sujet qui est en négociation est celui de l’atténuation. C’est-à-dire, comment faire pour que les pays émetteurs de gaz à effet de serre s’engagent à réduire leur émission pour rester sous le niveau de réchauffement global qui est de 2°C. Cela fait 20 ans que cela dure. Certes, c’est important si on veut vraiment éviter un réchauffement global trop important. Mais de notre point de vue, le virage qui devrait celui de la COP 21, c’est de voir la question de l’adaptation qui concerne les pays en développement en premier chef, prise en compte au même titre que l’atténuation. Et à partir de là, on trouve l’eau. Car aujourd’hui 80% des projets en matière d’adaptation des changements climatiques sont des projets qui concerne l’eau. C’est la lutte contre les inondations, la lutte contre les sécheresses avec toutes les dispositions amenées pour éviter la pollution des ressources en eau due à de plus faible débit, etc.

Comment arriver à influencer les propositions, dans la mesure où les Nations Unies sont une machine lourde?

C’est vraiment une machine très lourde les Nations Unies. Mais il s’agit en premier d’inciter, mobilier et pousser les gouvernements puisque les négociations sur le climat se font entre les représentants des gouvernements des pays. Donc, c’est eux qu’il faut faire comprendre que l’eau est un élément majeur dans l’adaptation aux changements climatiques. Donc, évidemment dans l’accord de Paris, il doit avoir l’eau. Et s’il y a l’eau, et bien, il faut qu’il y ait le financement qui aille avec. Alors, les fonds climat, en particulier le fonds d’adaptation, doivent dans leurs priorités intégrer l’eau.

Comment faire pour que ces négociations soient entendues afin que l’eau apparaisse comme un sujet de discussion?

C’est très difficile. Les communautés de l’eau doivent agir à l’endroit de leurs gouvernements. C’est le sens de l’appel qui a été lancé ici à Cotonou. Mais, ils doivent faire plus en mobilisant d’autres plate-forme, d’autres réseaux qui ne sont pas liés à l’eau. Car, la communauté internationale de l’eau n’arrivera pas toute seule à faire bouger les lignes. Elle doit intervenir par contre auprès des parlementaires qui ont un poids fort auprès des élus locaux et régionaux, auprès des réseaux de jeunes qui, eux, peuvent apporter des éléments nouveaux dans le débat, surtout en termes de communication; auprès des femmes, d’autres secteurs où l’eau est indispensable comme l’énergie, l’agriculture, la sécurité alimentaire, la santé. Il faut que la communauté internationale de l’eau s’ouvre vers d’autres communautés, d’autres secteurs de façon à faire masse vers les gouvernements pour que ceux-ci comprennent que l’intégration de l’eau est fondamentale.

Comment se prépare le Partenariat français pour l’eau pour participer activement à la grande conférence que représente la COP 21 qui aura lieu à Paris?

Le Partenariat français pour l’eau a pris un certain nombre d’initiatives avec tout un ensemble de partenaires internationaux. Déjà l’amont de la COP, il s’agit de mener deux actions. La première vise à valoriser les bonnes pratiques dans le domaine de l’eau. En fait, les réponses aujourd’hui au dérèglement climatique, l’adaptation dans le domaine de l’eau aux changements climatiques, on sait la faire. Il y a des actions qui sont menées, les bonnes pratiques sont connues. Mais, d’une part, elles sont très peu connues et, d’autre part, elles ne sont pas assez développées. Cela veut dire qu’elles mériteraient d’être développées de façon beaucoup plus large par tous les acteurs: les États, les villes, les agriculteurs, les industriels, etc. Don, il faut promouvoir les bonnes pratiques. Il ne s’agit pas pour répondre au dérèglement climatique de faire d’innovations. Certes, il en faut, notamment technologique, mais il faut d’une façon plus large mettre en œuvre ce qu’on sait faire. C’est donc là la première action sur laquelle le Partenariat français travaille. On a publié un document à ce sujet. Maintenant, et c’est ce qui fait l’objet de ma visite ici à Cotonou, il s’agit d’avoir un fichier de bonnes pratiques international pour démontrer aux États qui négocient que les bonnes pratiques dans le domaine de l’eau existent, et qu’il importe qu’elles soient promues. La deuxième action que nous menons conjointement avec d’autres, c’est de définir des critères pour les bailleurs de fonds internationaux. Il s’agit de leur dire qu’est-ce que c’est qu’un bon projet dans le domaine de l’eau vis-à-vis du climat. La remarque aujourd’hui, c’est que personne ne sait ce que c’est qu’un bon projet. Donc, il faut affiner cette notion de bon projet pour le climat Eau. On travaille sur ces deux aspects. L’autre point sur lequel on travaille, et qui est plus en termes de communication, c’est comment être visible lors de la COP. La COP à Paris va se dérouler sur deux sites. Le site des négociations sera un tout peu en dehors de Paris, dans une ville qui s’appelle le Bourgers. Le deuxième site est dans Paris et sera dédié à la sensibilisation du grand public avec une valorisation de bonnes pratiques. Donc, l’idée du Partenariat français pour l’eau avec d’autres acteurs, c’est d’organiser une journée Eau pendant la COP en faisant le maximum de buzz possible avec tout un tas d’événements très intentionnels ou très festifs: un concert, un festival du film en vue d’attirer l’attention et des négociateurs, et des décideurs et du grand public, sur la question de l’eau. Il s’agira de leur dire qu’il n’est pas possible que l’eau ne soit pas dans la COP, c’est un élément fondamental. Donc, il faut qu’elle soit dans la COP.









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