Photo: Max Dominique AYISSI
Parlez nous de votre arrivée au Cameroun.
J’étais un des premiers représentants de la Société internationale Linguistique au Cameroun. D’autres étaient venus avant moi, mais j‘étais le premier à m’installer à Yaoundé, avec un bureau, en 1972.
Vous aviez déjà séjourné au Cameroun avant cette installation, pour le compte de la Sil.
En effet, je suis venu pour la première fois avec mes parents, c’était en 1946, j’avais deux ans. Nous étions tout près de la ville d’Ebolowa, au Sud du Cameroun. Ce qui fait que, à l’âge de cinq ans, je parlais autant et même mieux la langue Bulu que l’anglais. Malheureusement, j’ai dû partir aux Etats Unis pour un an et j’ai perdu la maîtrise du Bulu.
Comment se passe votre fondation de la première communauté Sil du Cameroun ?
J’ai été formé pour enseigner à l’école primaire et j’ai voulu travailler à l’étranger. C’est ainsi que je suis allé au Gabon, avec le « peace corps », pour enseigner dans un collège. Je souhaitais venir au Cameroun, mais il n’y avait pas de place dans ce programme au Cameroun. Je suis reparti aux Usa, enseigner, mais j’avais vraiment envi de retourner en Afrique. J’ai donc suivi une formation de la Sil à l’Université de Washington, un stage d’orientation au Mexique et des études à l’Université de Besançon, en France avant d’aller au Nigéria, pour finalement venir au Cameroun. Je peux donc dire que mon arrivée au Cameroun était le fruit de plusieurs expériences.
Votre histoire, dans l’implantation de la Sil au Cameroun, est plaine d’anecdotes, comme cette causerie, en langue Bulu, dans le secrétariat d’un ministre.
Oui ! Il était question de faire venir un petit avion, pour faciliter notre travail. Puisque nous travaillions dans des zones reculées et très enclavées voir impossible d’accès. Nous sommes donc allés voir le ministre des Transports, pour demander l’autorisation. Et, pendant que nous l’attendions, les secrétaires bavardaient en langue Bulu. Je me suis rendu compte que c’était un sujet confidentiel, puisque je comprenais bien cette langue, qui était celle de mon enfance. Alors je me suis demandé si je devais ou non continuer de les écouter, sans rien dire. Je leur ai dit : « ma’a buni ki ne wa yem ne ma kobo nkobo bulu ! » Ce qui veut dire en français : « je ne suis pas sûr que vous savez que je parle la langue Bulu ! » Les secrétaires ont commencé à rire, ce qui a détendu l’atmosphère. C’était comme dans une famille. Quand le ministre est arrivé, elles m’ont présenté comme « le type qui parle Bulu » et l’autorisation nous a rapidement été accordée.
Vous retenez également une scène à l’aéroport de Douala, alors que vous y étiez attendre votre tante.
C’est une histoire vraiment étonnante, même pour moi. C’était en 1980, j’étais à Douala, bien malgré moi. Parce que je devais être à Yaoundé pour suivre une conférence linguistique. Mais nous avons reçu une lettre de ma tante qui était missionnaire au Zaïre (actuelle RDC) depuis très longtemps et qui devait passer par le Cameroun avant de prendre sa retraite. Elle avait acheté son billet d’avion pour Douala et je devais venir la prendre à l’aéroport. J’étais obligé d’y aller parce qu’il n’y avait aucun moyen de la contacter. Quand je l’ai vu descendre de l’avion je me suis dit : « au moins elle est là ! ». Je l’ai attendu très longtemps et je me tenais à côté de la porte de sécurité, faute de ne pouvoir entrer. Je suis allé voir si tous les bagages étaient arrivés, ça m’a pris un peu de temps et quand je suis revenu, elle était en train de sauter et de battre les mains d’une façon un peu drôle. Même l’agent de Police qui était de service l’a remarqué. Il m’a demandé si je voulais aller l’accueillir dans la zone, l’ai accepté. Quand je suis entré, elle m’a dit qu’elle avait vu un de nos collègues de la Sil en difficulté. J’ai vu, à côté d’elle, le président de la Sil, Ken Grevessen.
Celui qui était attendu pour la conférence à laquelle vous regrettiez de ne pouvoir assister ?
Oui ! Et même qu’il devait signer une convention avec le gouvernement Camerounais. Je le connaissais bien et je lui ai demandé : « Mais Ken, que faites-vous ici ? On vous attend à Yaoundé ! » Il venait d’Indonésie et il m’a confié qu’on lui avait dit qu’il pouvait obtenir le visa à l’aéroport. Mais les services de sécurité exigeaient qu’il présente une lettre d’invitation. Comme j’avais quelques papiers, avec entête de la Sil, je lui ai rapidement fait une lettre d’invitation. Mais les choses n’étaient pas aussi simples. Il fallait également une invitation du gouvernement Camerounais. Je suis allé voir le chef de la sécurité de l’aéroport, pour lui expliquer que la chose serait très mal vue, s’il le remettait dans l’aéroport, à destination de l’Indonésie, comme il voulait le faire. Ils nous ont donc donné 24h, pour présenter l’invitation du Gouvernement. Mais en attendant, Ken Grevessen est resté à l’aéroport. Le lendemain, c’était aussi miraculeux, nous avons réussi à avoir, avec l’aide de l’université et du ministère, deux lettres d’invitation des instances gouvernementales, que nous avons acheminées par avions, à la grande surprise des agents de sécurité.
Pour vous la Sil au Cameroun, c’est donc quarante ans de providence divine.
C’est aussi la volonté de Dieu de développer toutes les langues. Chacun doit pouvoir adorer Dieu dans sa langue. La langue c’est l’identité d’un peuple. Parler dans une autre langue c’est copier une autre culture et c’est toujours une mauvaise copie. Dieu n’a créé aucun peuple pour être la copie de l’autre. Tout ce qu’un peuple peut faire, toutes les histoires qu’il peut raconter, ce n’est que dans sa langue qu’il peut vraiment le faire. D’où l’importance du développement des langues de tous les peuples de la terre, pour que chacun puisse se retrouver au milieu des autres avec son authenticité.
J’étais un des premiers représentants de la Société internationale Linguistique au Cameroun. D’autres étaient venus avant moi, mais j‘étais le premier à m’installer à Yaoundé, avec un bureau, en 1972.
Vous aviez déjà séjourné au Cameroun avant cette installation, pour le compte de la Sil.
En effet, je suis venu pour la première fois avec mes parents, c’était en 1946, j’avais deux ans. Nous étions tout près de la ville d’Ebolowa, au Sud du Cameroun. Ce qui fait que, à l’âge de cinq ans, je parlais autant et même mieux la langue Bulu que l’anglais. Malheureusement, j’ai dû partir aux Etats Unis pour un an et j’ai perdu la maîtrise du Bulu.
Comment se passe votre fondation de la première communauté Sil du Cameroun ?
J’ai été formé pour enseigner à l’école primaire et j’ai voulu travailler à l’étranger. C’est ainsi que je suis allé au Gabon, avec le « peace corps », pour enseigner dans un collège. Je souhaitais venir au Cameroun, mais il n’y avait pas de place dans ce programme au Cameroun. Je suis reparti aux Usa, enseigner, mais j’avais vraiment envi de retourner en Afrique. J’ai donc suivi une formation de la Sil à l’Université de Washington, un stage d’orientation au Mexique et des études à l’Université de Besançon, en France avant d’aller au Nigéria, pour finalement venir au Cameroun. Je peux donc dire que mon arrivée au Cameroun était le fruit de plusieurs expériences.
Votre histoire, dans l’implantation de la Sil au Cameroun, est plaine d’anecdotes, comme cette causerie, en langue Bulu, dans le secrétariat d’un ministre.
Oui ! Il était question de faire venir un petit avion, pour faciliter notre travail. Puisque nous travaillions dans des zones reculées et très enclavées voir impossible d’accès. Nous sommes donc allés voir le ministre des Transports, pour demander l’autorisation. Et, pendant que nous l’attendions, les secrétaires bavardaient en langue Bulu. Je me suis rendu compte que c’était un sujet confidentiel, puisque je comprenais bien cette langue, qui était celle de mon enfance. Alors je me suis demandé si je devais ou non continuer de les écouter, sans rien dire. Je leur ai dit : « ma’a buni ki ne wa yem ne ma kobo nkobo bulu ! » Ce qui veut dire en français : « je ne suis pas sûr que vous savez que je parle la langue Bulu ! » Les secrétaires ont commencé à rire, ce qui a détendu l’atmosphère. C’était comme dans une famille. Quand le ministre est arrivé, elles m’ont présenté comme « le type qui parle Bulu » et l’autorisation nous a rapidement été accordée.
Vous retenez également une scène à l’aéroport de Douala, alors que vous y étiez attendre votre tante.
C’est une histoire vraiment étonnante, même pour moi. C’était en 1980, j’étais à Douala, bien malgré moi. Parce que je devais être à Yaoundé pour suivre une conférence linguistique. Mais nous avons reçu une lettre de ma tante qui était missionnaire au Zaïre (actuelle RDC) depuis très longtemps et qui devait passer par le Cameroun avant de prendre sa retraite. Elle avait acheté son billet d’avion pour Douala et je devais venir la prendre à l’aéroport. J’étais obligé d’y aller parce qu’il n’y avait aucun moyen de la contacter. Quand je l’ai vu descendre de l’avion je me suis dit : « au moins elle est là ! ». Je l’ai attendu très longtemps et je me tenais à côté de la porte de sécurité, faute de ne pouvoir entrer. Je suis allé voir si tous les bagages étaient arrivés, ça m’a pris un peu de temps et quand je suis revenu, elle était en train de sauter et de battre les mains d’une façon un peu drôle. Même l’agent de Police qui était de service l’a remarqué. Il m’a demandé si je voulais aller l’accueillir dans la zone, l’ai accepté. Quand je suis entré, elle m’a dit qu’elle avait vu un de nos collègues de la Sil en difficulté. J’ai vu, à côté d’elle, le président de la Sil, Ken Grevessen.
Celui qui était attendu pour la conférence à laquelle vous regrettiez de ne pouvoir assister ?
Oui ! Et même qu’il devait signer une convention avec le gouvernement Camerounais. Je le connaissais bien et je lui ai demandé : « Mais Ken, que faites-vous ici ? On vous attend à Yaoundé ! » Il venait d’Indonésie et il m’a confié qu’on lui avait dit qu’il pouvait obtenir le visa à l’aéroport. Mais les services de sécurité exigeaient qu’il présente une lettre d’invitation. Comme j’avais quelques papiers, avec entête de la Sil, je lui ai rapidement fait une lettre d’invitation. Mais les choses n’étaient pas aussi simples. Il fallait également une invitation du gouvernement Camerounais. Je suis allé voir le chef de la sécurité de l’aéroport, pour lui expliquer que la chose serait très mal vue, s’il le remettait dans l’aéroport, à destination de l’Indonésie, comme il voulait le faire. Ils nous ont donc donné 24h, pour présenter l’invitation du Gouvernement. Mais en attendant, Ken Grevessen est resté à l’aéroport. Le lendemain, c’était aussi miraculeux, nous avons réussi à avoir, avec l’aide de l’université et du ministère, deux lettres d’invitation des instances gouvernementales, que nous avons acheminées par avions, à la grande surprise des agents de sécurité.
Pour vous la Sil au Cameroun, c’est donc quarante ans de providence divine.
C’est aussi la volonté de Dieu de développer toutes les langues. Chacun doit pouvoir adorer Dieu dans sa langue. La langue c’est l’identité d’un peuple. Parler dans une autre langue c’est copier une autre culture et c’est toujours une mauvaise copie. Dieu n’a créé aucun peuple pour être la copie de l’autre. Tout ce qu’un peuple peut faire, toutes les histoires qu’il peut raconter, ce n’est que dans sa langue qu’il peut vraiment le faire. D’où l’importance du développement des langues de tous les peuples de la terre, pour que chacun puisse se retrouver au milieu des autres avec son authenticité.
Photo: Max Dominique AYISSI
Où situez-vous aujourd’hui l’œuvre de la Sil, au Cameroun ?
Nous pensons que le travail a beaucoup évolué. Il existe aujourd’hui une très bonne collaboration entre plusieurs organismes. Ce ne sont plus simplement les étrangers qui viennent faire des études, mais il y a beaucoup de Camerounais qui sont formés et qui sont impliqués dans le développement de leurs langues.
Comment voyez-vous cet organisme et son action, pour les quarante prochaines années ?
Je n’irais pas jusqu’à quarante ans, mais je me suis posé la même question ! Nous espérons que, d’ici 2025, il y aura au moins un projet de langue dans chaque langue qui en a besoin. Dans quarante ans, je crois que toutes les langues du Cameroun pourront être bien développées, avec leur écriture, une traduction biblique.
Ron Thwing est-il prêt à quitter de nouveau le Cameroun ?
J’ai 65 ans et l’année prochaine je prends ma retraite. Mais je ne peux pas dire au revoir au Cameroun. Je compte bien revenir pour des formations, les stages et d’autres types de besoins. Je répondrais toujours à mon appel en direction du Cameroun. Je suis très reconnaissant pour ce que Dieu m’a permis de faire dans ma vie. Avoir passé plus de la moitié de mon existence au Cameroun, ça me réjouit beaucoup.
Nous pensons que le travail a beaucoup évolué. Il existe aujourd’hui une très bonne collaboration entre plusieurs organismes. Ce ne sont plus simplement les étrangers qui viennent faire des études, mais il y a beaucoup de Camerounais qui sont formés et qui sont impliqués dans le développement de leurs langues.
Comment voyez-vous cet organisme et son action, pour les quarante prochaines années ?
Je n’irais pas jusqu’à quarante ans, mais je me suis posé la même question ! Nous espérons que, d’ici 2025, il y aura au moins un projet de langue dans chaque langue qui en a besoin. Dans quarante ans, je crois que toutes les langues du Cameroun pourront être bien développées, avec leur écriture, une traduction biblique.
Ron Thwing est-il prêt à quitter de nouveau le Cameroun ?
J’ai 65 ans et l’année prochaine je prends ma retraite. Mais je ne peux pas dire au revoir au Cameroun. Je compte bien revenir pour des formations, les stages et d’autres types de besoins. Je répondrais toujours à mon appel en direction du Cameroun. Je suis très reconnaissant pour ce que Dieu m’a permis de faire dans ma vie. Avoir passé plus de la moitié de mon existence au Cameroun, ça me réjouit beaucoup.