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"Hérodiade" de Massenet à l'Opéra de Marseille


Par Rédigé le 28/03/2018 (dernière modification le 27/03/2018)

Quand l'histoire sainte prend un sacré coup de goupillon... Victorien Vanoosten, un jeune chef à suivre de très près...


Photo courtoisie (c) Opéra de Marseille
Photo courtoisie (c) Opéra de Marseille
herodiade.mp3 Hérodiade.mp3  (72.84 Ko)

Tant pis pour ses inconditionnels. Cet opéra de Massenet reste bel et bien un monstre musical franchouillard, une copieuse fresque romano-palestino-biblique écrite les yeux sur l'héritage de Meyerbeer et Ambroise Thomas.
La pâteuse partition, dégoulinante comme un loukoum, avec quelques pointes d'harissa, a quand même çà et là les coloris charmeurs des tableaux orientalistes de Delacroix ou Ingres, la sensualité épaisse des péplums hollywoodiens, la naïveté de ceux tournés à Cinecitta, mais aussi, sans rire, la séduction des biceps de Russel Crowe dans "Gladiator".
Avec cette particularité d'être un opéra sur Salomé, mais une Salomé insolite: disciple du prophète, elle lutte pour lui sauver la vie et se suicide quand tout est perdu... On le voit. Ici, l'histoire sainte (comme un combat entre le charnel et le spirituel, le profane et le sacré), non seulement en prend un bon coup mais semble singulièrement rapetissée...

Pour rendre crédible tout cela, Jean-Louis Pichon a repensé et amélioré son spectacle stéphanois (17 ans déjà avec l'insolence vocale d'Alexia Cousin). Son cinéma est de bout en bout suffocant de beauté simple, de kitsch de bon aloi, de costumes lourds de pierreries et de poussières étudiées. Le cadre de scène, cerné de javelots menaçants, reste, malgré quelques bouffées d'air iodé, un huis-clos racinien, oppressant, étouffant, propice à tous les complots, toutes les manipulations sentimentales et politiques, toutes les sensualités, les pulsions les plus repoussantes, les plus malsaines, de la lubricité au sadisme pour finir en inceste retenu puis avoué.
Dans les décors et costumes de Jérôme Bourdin se déroule un Satyricon luxueux, aussi dépravé, pour qui sait lire entre les notes, que chez Fellini!
Jean-Louis, on attend maintenant un Caligula alla Tinto Brass pour la "Salomé" de Richard Strauss que vous nous devez! Chiche?
Par contre, ne cherchons pas dans le cast retenu pour la scène phocéenne le luxe vocal des distributions d'antan. On n'en démordra pas. Il faut pour cet opéra de Massenet, de grandes voix dont seule l'ampleur permet de chanter naturellement, sans ces efforts induisant la perte ou le sacrifice de la qualité de la conduite ou de l'organe.
Alors saluons bien bas l'Hérode monumental, pharaonique, patricien et noble à la fois (par moment on croit entendre le regretté Ernest Blanc dans le Grand-Prêtre de Dagon) du québécois Jean-François Lapointe, exemplaire de style, ici plus amoureux transi que Tétrarque saisit par la débauche et le vice. L'approche se tient, avec en prime cette diction qui mériterait de nommer l'éclatant baryton d'emblée Sociétaire du Français.
Pour nous avoir avoué ne pas trop aimer le rôle, Béatrice-Uria Monzon, au bustier affriolant, belle à damner tous les apôtres des Évangiles (son Hérode de mari a du beurre sur les yeux ou quoi?) croule sous les dorures. En vraie tragédienne (Hermione!), Béa décape elle aussi le rôle et de sa voix de feu et d'ambre, tendue comme un arc, emporte tout sur son passage.
A l'opposé du couple maudit, Florian Laconi, sans avoir la vraie carrure vocale du Prophète (il faut un Py, un Finel, un Chauvet ou pire un Brazzi qui dans ses mauvais jours sauvait tant bien que mal les meubles), s'investit dans le match avec musicalité et une belle ferveur, parfois brute de décoffrage.
Ce jihadiste titillé par le démon de midi, et non plus charismatique porteur de la parole divine et des péchés du monde, s'installe dans un confortable à-peu-près en première partie. Ouvrant les vannes ensuite, notre sympathique ténor maîtrise, en fin connaisseur de la voix et de ses mystères, une tessiture certes très-trop large pour lui et met le public dans sa poche avec un si au dernier duo absolument intergalactique!
Le Phanuel de Nicolas Courjal jette sur ce monde de dégénérés en totale perdition un regard bienveillant et rapproche son devin chaldéen vers une copie nocturne d'un Arkel égaré dans une terre sainte en pleine décrépitude. Très bonne idée.
Lourdement maquillée, habillée au minimum, Inva Mulla fait de la pulpeuse Salomé une "couguar" en chasse dans un club échangiste. Un tantinet dépassée par le drame, affichant une sympathique mine boudeuse tout au long de la soirée, la diva albanaise s'arrange comme elle peut de sa terrible partition et se jette dans l'aventure avec ses moyens actuels, entre gris clair et gris foncé. La ligne de chant reste toujours musicale, moirée, quelques inflexions soyeuses et colorées arriveront à séduire. Les huées au rideau final résumeront tout.
Rien à dire sur Jean-Marie Delpas, plus pro-consul romain que nature, imposant un Vitellius puissant, massif, d'un aplomb vocal sidérant dans ses brèves apparitions. Le reste du plateau fait plus que de l'intelligente figuration.

Remercions enfin l'orchestre et les chœurs maison, sous la direction très vivante de Victorien Vanoosten. Cohésion, musicalité, précision, c'est l'aspect grandiose de l'opéra qui triomphe le soir de première, avec ses parfums riches et entêtants. Difficile de résister à l'opulence d'une telle orchestration qui drape ce blockbuster des plus belles lumières nauséabondes.









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