Des enfants talibés qui malgré tout, gardent le sourire de l'innocence (photo DR).
Le Talibé n'est pas un anonyme de la rue, qu'on dépasse le nez en l'air. Au contraire, il se donne à voir, il a un profil, un statut. Un talibé est un enfant (3 à16 ans) apprenant coranique qui mendie pour le compte de l'Alfa, son maître. On le reconnaît facilement sous ses traits de misère endémique, emmitouflés dans des habits fripés, sales, errant dans les marchés, les restaurants, les auto-gares… en quête de restes de repas demandant la charité pour ne pas mourir de faim et pour nourrir son maître.
Le "Talibisme" est une pratique ancienne, si ancienne que Djibril Boussou, assistant de l'Imam de Zongo, un quartier populaire de Cotonou, ne sait pas s'il en existe encore au Bénin. Selon une étude réalisée en 2000 par la Banque mondiale en collaboration avec le Programme d'insertion des enfants déshérités (PIED), le "Talibisme" est bel et bien une réalité au Bénin, une réalité très vivace dans le Septentrion. Il touche près de 5000 enfants dans trois communes (Parakou, Djougou, Malanville). Des enfants «économiquement exploités vivant dans des conditions de maltraitance et d'esclavage».
Le "Talibisme" est une pratique ancienne, si ancienne que Djibril Boussou, assistant de l'Imam de Zongo, un quartier populaire de Cotonou, ne sait pas s'il en existe encore au Bénin. Selon une étude réalisée en 2000 par la Banque mondiale en collaboration avec le Programme d'insertion des enfants déshérités (PIED), le "Talibisme" est bel et bien une réalité au Bénin, une réalité très vivace dans le Septentrion. Il touche près de 5000 enfants dans trois communes (Parakou, Djougou, Malanville). Des enfants «économiquement exploités vivant dans des conditions de maltraitance et d'esclavage».
Un fondement coranique ?
Dans un contexte où la pratique est loin d'être scandaleuse, ses promoteurs que sont les maîtres coraniques ou les Alfa ont la conscience tranquille. Ici et là, on considère que l'éducation d'un enfant n'incombe pas forcément à ses parents géniteurs. Et quand il s'agit d'une matière aussi cruciale que l'éducation morale et religieuse, il n'y a pas meilleure référence que l'Alfa. Celui-ci n'est pas rémunéré pour cette tâche d'éducation. «Il revient à Dieu de me payer selon le prix qu'il lui convient», explique Mallam Moussa, Alfa résidant dans le quartier Zongo de Parakou (450 km de Cotonou). En contrepartie de ses prestations, l'Alfa ne compte que sur la solidarité de la communauté pour joindre les deux bouts. Mais cette solidarité est de moins en moins effective. Les Alfa n'ont pas trente six solutions. Pour vivre et nourrir leurs pensionnés, ils les font travailler et surtout les envoient à la quête d'un gain pas toujours facile, celui de l'aumône. Un fondement coranique est avancé pour justifier la chose : «le disciple tant qu'il cherche Allah ne saurait vivre que de mendicité quelle que soit la richesse de ses parents», allègue Moussa.
Taillables et corvéables à merci
Dès 6 heures du matin commencent les cours coraniques. Ce n'est pas un grand éventail de leçons. Juste une ou deux heures de récitation et de recopiage de versets coraniques. Ça s'appelle, le ''psittacisme'', un apprentissage par mémorisation. Une sorte de bourrage de crâne où le petit trou de mémoire, la moindre écorchure de la parole d'Allah provoque toutes sortes de sanctions. Sur les 5000 Talibés recensés par la Banque mondiale-Bénin, 94,5% déclarent être régulièrement battus ou interdits de manger pour outrage à la parole d'Allah. Après les cours du matin, il y a deux autres rendez-vous éprouvants avec le Coran : 14 h à 16h et 19h à 21h. Entre ces trois rendez-vous de la journée, le Talibé est sur le terrain, partagé entre plusieurs activités. Selon la Banque mondiale, 83,9% des Talibés vont au champ de l'Alfa ou contractés pour d'autres fermiers ; 63,5% vont quémander ; 27,6% sont portefaix … pour 159 FCFA en moyenne par jour, revenu dont 52% contribue, selon l’étude de la Banque mondiale, au fonctionnement exclusif du ménage de l'Alfa. Le reste de l'argent permet à ce dernier de subvenir aux besoins du Talibé. «C'est purement et simplement une exploitation économique», analyse Mme Rita Sodjiédo Hounton, l’ancienne directrice de la protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse (DPJEJ). «Ce qui intéresse les Alfa, c'est leur propre survie. Pour eux, les enfants sont comme des instruments d'acquisition de richesse», ajoute-elle. En témoigne d'ailleurs la misère dans le rang des Talibés : sur les 5000 recensés, plus de 2000 souffrent d'anémie, plus de 3000 de fatigue au réveil, 4231 de paludisme, un enfant sur quatre avait un retard de croissance... Dans un contexte où le bâton est facile : «pour être bien formé, l'enfant n'a pas droit au sentiment. Cela est préjudiciable pour son avenir», parole d'un sage de Parakou rapportée par l'Étude.
En somme, un véritable enfer pour des enfants, vivant hors de leur milieu familial, sans affection parentale, vivant comme des orphelins, projetés trop tôt dans une vie si active.
En somme, un véritable enfer pour des enfants, vivant hors de leur milieu familial, sans affection parentale, vivant comme des orphelins, projetés trop tôt dans une vie si active.
L'Etat a le regard ailleurs
Les études coraniques du Talibé ne sont sanctionnées d'aucun diplôme pouvant lui permettre de se valoriser demain sur le marché de l'emploi. A moins de devenir lui aussi un Alfa et de perpétuer le cercle vicieux ; «il cultivera plus tard la paresse, la tentation, le gain facile, obligé d'endoctriner les autres pour s'assurer son pain quotidien», souligne un commissaire de police de Parakou qui a l'habitude de taper dans la fourmilière. Voilà ce que la foi aura fait de lui : une perte sèche pour le pays. L'Etat ne s'en sourcille pas encore vraiment. Le phénomène si présent dans la société béninoise est absent des statistiques et préoccupations du gouvernement. Le ministère en charge de la Protection sociale, trop occupé à lutter contre la mauvaise réputation du Bénin comme plaque tournante du trafic des enfants, n'a prévu aucune ligne de programme en faveur de la protection des Talibés. Tous les programmes de protection se limitent au phénomène de trafic des enfants pour des fins d’exploitation à l’étranger (Nigeria, Gabon, Cameroun, etc.).
Cependant, affirme le chef du Service Protection de l'enfant et de l'adolescent, le ministère est toujours prêt à engager des actions si des cas de maltraitance d'enfants sont portés à sa connaissance. Or dans les régions où sévit le ''talibisme'', c'est le règne de la loi du silence. Un membre de l'ONG Programme d'insertion des enfants (PIED) qui travaille sur le phénomène, indique, sous le couvert de l'anonymat, que par crainte d'être "marabouté" par les Alfa, personne n'ose lever sérieusement le ton ; il rapporte le cas d'un ex-Sous préfet de Djougou qui, voulant assainir le milieu, a connu de si «graves ennuis» qu'il fut «obligé de lâcher».
Cependant, affirme le chef du Service Protection de l'enfant et de l'adolescent, le ministère est toujours prêt à engager des actions si des cas de maltraitance d'enfants sont portés à sa connaissance. Or dans les régions où sévit le ''talibisme'', c'est le règne de la loi du silence. Un membre de l'ONG Programme d'insertion des enfants (PIED) qui travaille sur le phénomène, indique, sous le couvert de l'anonymat, que par crainte d'être "marabouté" par les Alfa, personne n'ose lever sérieusement le ton ; il rapporte le cas d'un ex-Sous préfet de Djougou qui, voulant assainir le milieu, a connu de si «graves ennuis» qu'il fut «obligé de lâcher».
Aube nouvelle?
Pour la directrice de la protection judiciaire de l'enfant, on gagnerait déjà une grande bataille si l'on commençait à appliquer véritablement les textes interdisant la mendicité.
D'autres estiment que pour un système socio-culturel aussi complexe que le ''talibisme'', les actions des pouvoirs publics seront forcément limitées : il faut faire sauter le système de l'intérieur. Les défenseurs d'une telle idée comptent notamment sur l'émergence d'une nouvelle race de maîtres coraniques modernes qui pourront renverser la tendance actuelle. A ce propos d'ailleurs, des voies rassurantes se font entendre. Djibril Boussou de la Mosquée de Zongo condamne vertement le ''talibisme'' qui, d'après lui, n'a aucun fondement coranique : «quémander auprès des gens est un métier humiliant et indigne, voilà ce que le Coran a dit», précise-t-il. L'islamologue Bachir Gbadamassi se dit révolté par «les pratiques archaïques de certains conservateurs qui pensent que c'est seulement lorsque l'élève coranique étudie dans les conditions de privation totale des besoins fondamentaux qu'il réussira à devenir l'élite de demain».
Au-delà des mots, une expérience pilote est en cours dans certaines régions du Septentrion pour l'amélioration des conditions de vie des Talibés. Alidou Ayouba, enseignant de l'école arabe Al Houda de Parakou, l'un des promoteurs de cette expérience, insiste sur la nécessité d'adapter l'enseignement coranique aux réalités du marché de l'emploi. Des voies d'autorité qui annoncent certainement une aube nouvelle pour les Talibés, grands martyrs d'un phénomène sans foi ni loi.
D'autres estiment que pour un système socio-culturel aussi complexe que le ''talibisme'', les actions des pouvoirs publics seront forcément limitées : il faut faire sauter le système de l'intérieur. Les défenseurs d'une telle idée comptent notamment sur l'émergence d'une nouvelle race de maîtres coraniques modernes qui pourront renverser la tendance actuelle. A ce propos d'ailleurs, des voies rassurantes se font entendre. Djibril Boussou de la Mosquée de Zongo condamne vertement le ''talibisme'' qui, d'après lui, n'a aucun fondement coranique : «quémander auprès des gens est un métier humiliant et indigne, voilà ce que le Coran a dit», précise-t-il. L'islamologue Bachir Gbadamassi se dit révolté par «les pratiques archaïques de certains conservateurs qui pensent que c'est seulement lorsque l'élève coranique étudie dans les conditions de privation totale des besoins fondamentaux qu'il réussira à devenir l'élite de demain».
Au-delà des mots, une expérience pilote est en cours dans certaines régions du Septentrion pour l'amélioration des conditions de vie des Talibés. Alidou Ayouba, enseignant de l'école arabe Al Houda de Parakou, l'un des promoteurs de cette expérience, insiste sur la nécessité d'adapter l'enseignement coranique aux réalités du marché de l'emploi. Des voies d'autorité qui annoncent certainement une aube nouvelle pour les Talibés, grands martyrs d'un phénomène sans foi ni loi.