Chronique culturelle 091117.mp3 (1.09 Mo)
Le 9 novembre 2017, paraît dans la Collection Blanche de Gallimard la correspondance qu’échangèrent Albert Camus et Maria Casarès entre 1944 et 1959. Avec un avant-propos de Catherine Camus, fille de l’écrivain. Albert Camus et Maria Casarès s’étaient croisés le 19 mars 1944 chez Michel Leiris, au 53 bis quai des Grands-Augustins lors de la représentation de la pièce surréaliste de Pablo Picasso "Le désir attrapé par la queue". L’assistance était des plus choisies, entre autres l’auteur, Jacques Lacan, Jean-Louis Barrault, Georges Braque, et Valentine Hugo. Il en était de même pour les interprètes, retenons Raymond Queneau, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Dora Maar. La fille de Santiago Casares Quiroga, éphémère président du Conseil de la IIe République espagnole, a alors près de 22 ans, elle avait suivi ses parents en exil en France après le 18 juillet 1936.
Elle était née María Victoria Casares Pérez le 21 novembre 1922 à La Corogne, en Galice, dans le nord de l’Espagne. Sortie du Conservatoire d’art dramatique de Paris avec un premier accessit de tragédie et un second prix de comédie, elle avait commencé sa carrière en 1942 au Théâtre des Mathurins, avec "Deirdre des douleurs", pièce en 3 actes de l’Irlandais John Millington Synge, mise en scène par Marcel Herrand. Après cette rencontre, on la retrouve à nouveau au théâtre des Mathurins où lui est confié à partir du 24 juin 1944 le rôle de Martha dans le "Malentendu" de Camus, mise en scène par Marcel Herrand. L’écrivain, né le 7 novembre 1913 à Mondovi, en Algérie alors française, a déjà à son actif plusieurs essais et surtout "L’Étranger" paru en 1942. Il vit alors seul à Paris depuis octobre 1942, rue Vaneau, dans un studio qu’il loue à André Gide. Son épouse Francine, ne pouvant rentrer en France, enseigne à Oran. Même s’ils sont amants depuis juin 1944, le début de cette grande histoire d’amour entre l’écrivain et la comédienne ne commencera vraiment qu’au début juin 1948 quand ils se croiseront par hasard boulevard Saint-Germain. En octobre 1944, Maria Casarès avait rompu au moment du retour de Francine Camus à Paris. Des jumeaux, Catherine et Jean, naîtront d’ailleurs en 1945. Le lien qu’ils renouent en 1948 est plus fort, "un ardent sentiment, pur et dur comme la pierre". Tout était fait pour les rapprocher, dont l’exil qu’ils vivaient, elle de l’Espagne et lui d’Algérie, et naturellement la passion du théâtre. "Pourquoi le destin nous aurait-il mis l’un en face de l’autre une fois? Pourquoi nous aurait-il réunis de nouveau? Pourquoi cette nouvelle rencontre au moment où il fallait?", demandait-elle le 16 août 1949. Albert Camus et Maria Casarès se sont toujours écrit, surtout lors de longues séparations dues principalement à leurs différents engagements. Il s’agit d’un lot de 865 lettres, télégrammes ou bristols, écrits entre juin 1944 et le 30 décembre 1959. Elle sera notamment sa "tragique", sa "brillante" son "unique" ou sa "petite sainte brûlante". Pour elle, il est son "frère d’armes", son "beau prince exilé", son "jeune homme mince et brun aux yeux de lumière", et le 10 décembre 1957, quand il reçoit le prix Nobel, il devient son "jeune triomphateur".
La dernière lettre écrite le 30 décembre 1959 est signée d’Albert à sa "superbe". Le 4 janvier 1960, rentrant de sa maison de Lourmarin, il trouvera la mort à un peu plus de 46 ans au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, à bord de la Facel-Vega FV3B, que conduisait Michel Gallimard. Celui-ci décédera quelques jours plus tard, sa femme et sa fille qui étaient à l’arrière du véhicule s’en tireront. Maria Casarès dira beaucoup plus tard: "Quand on a aimé quelqu'un, on l'aime toujours, lorsqu'une fois, on n'a plus été seule, on ne l'est plus jamais".
Cette correspondance paraît après une soixantaine d’années, sans doute à cause de la clandestinité de cette liaison. Elle raconte cette intense relation et l’on peut y suivre l’évolution de leurs deux carrières. Elle sera une des plus grandes tragédiennes de l’époque, participera aux grandes heures du Festival d’Avignon, jouera partout Shakespeare, Marivaux, Strindberg, Claudel aussi bien que Genet et sera notamment l’interprète de plusieurs pièces de Camus, "L’état de siège" en 1944, "Les Justes" en 1949. Au cinéma elle tournera entre autres quatre films inoubliables, "Les enfants du paradis", "Les dames du Bois de Boulogne", "Orphée" et "La Chartreuse de Parme". Lui est un écrivain célèbre, romancier, dramaturge, philosophe, essayiste, journaliste et prix Nobel de littérature en 1957. Ces lettres nous font aussi revivre la vie quotidienne aussi bien intellectuelle qu'artistique de ces années-là. Certaines ne sont pas dénuées de lucidité, d’humour et même de cruauté à propos du milieu que fréquente Maria Casarès. Ainsi le 7 janvier 1950 écrit-elle: "Public chaud, parfois, enrhumé. Ce soir, j’ai failli quitter la scène pour offrir à un monsieur de premier rang des pastilles Valda, un mouchoir pour étouffer sa toux ou bien deux places pour revenir une autre fois, quand il irait mieux. Je me suis retenue".
Le 30 mars 2017, paraissait aux éditions Le Passeur le roman de Florence M.-Forsythe "Tu me vertiges: L’amour interdit de Maria Casarès et Albert Camus". Un jour, Maria avait écrit à Camus: "Vertige-moi"… Florence M.-Forsythe y évoque ces amours plus ou moins clandestines dans le milieu intellectuel et artistique des années '50, surtout à Saint-Germain-des Prés.
Maria Casarès est morte le 22 novembre 1996, dans sa demeure de La Vergne à Alloue en Charente qu’elle avait achetée en juin 1961. Pour remercier la France qui l’avait accueillie, elle la légua à la commune. La maison de Maria Casarès est un centre culturel axé principalement sur le théâtre. En 1980, elle avait fait paraître une sorte d’autobiographie: "Résidente privilégiée".
Elle était née María Victoria Casares Pérez le 21 novembre 1922 à La Corogne, en Galice, dans le nord de l’Espagne. Sortie du Conservatoire d’art dramatique de Paris avec un premier accessit de tragédie et un second prix de comédie, elle avait commencé sa carrière en 1942 au Théâtre des Mathurins, avec "Deirdre des douleurs", pièce en 3 actes de l’Irlandais John Millington Synge, mise en scène par Marcel Herrand. Après cette rencontre, on la retrouve à nouveau au théâtre des Mathurins où lui est confié à partir du 24 juin 1944 le rôle de Martha dans le "Malentendu" de Camus, mise en scène par Marcel Herrand. L’écrivain, né le 7 novembre 1913 à Mondovi, en Algérie alors française, a déjà à son actif plusieurs essais et surtout "L’Étranger" paru en 1942. Il vit alors seul à Paris depuis octobre 1942, rue Vaneau, dans un studio qu’il loue à André Gide. Son épouse Francine, ne pouvant rentrer en France, enseigne à Oran. Même s’ils sont amants depuis juin 1944, le début de cette grande histoire d’amour entre l’écrivain et la comédienne ne commencera vraiment qu’au début juin 1948 quand ils se croiseront par hasard boulevard Saint-Germain. En octobre 1944, Maria Casarès avait rompu au moment du retour de Francine Camus à Paris. Des jumeaux, Catherine et Jean, naîtront d’ailleurs en 1945. Le lien qu’ils renouent en 1948 est plus fort, "un ardent sentiment, pur et dur comme la pierre". Tout était fait pour les rapprocher, dont l’exil qu’ils vivaient, elle de l’Espagne et lui d’Algérie, et naturellement la passion du théâtre. "Pourquoi le destin nous aurait-il mis l’un en face de l’autre une fois? Pourquoi nous aurait-il réunis de nouveau? Pourquoi cette nouvelle rencontre au moment où il fallait?", demandait-elle le 16 août 1949. Albert Camus et Maria Casarès se sont toujours écrit, surtout lors de longues séparations dues principalement à leurs différents engagements. Il s’agit d’un lot de 865 lettres, télégrammes ou bristols, écrits entre juin 1944 et le 30 décembre 1959. Elle sera notamment sa "tragique", sa "brillante" son "unique" ou sa "petite sainte brûlante". Pour elle, il est son "frère d’armes", son "beau prince exilé", son "jeune homme mince et brun aux yeux de lumière", et le 10 décembre 1957, quand il reçoit le prix Nobel, il devient son "jeune triomphateur".
La dernière lettre écrite le 30 décembre 1959 est signée d’Albert à sa "superbe". Le 4 janvier 1960, rentrant de sa maison de Lourmarin, il trouvera la mort à un peu plus de 46 ans au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, à bord de la Facel-Vega FV3B, que conduisait Michel Gallimard. Celui-ci décédera quelques jours plus tard, sa femme et sa fille qui étaient à l’arrière du véhicule s’en tireront. Maria Casarès dira beaucoup plus tard: "Quand on a aimé quelqu'un, on l'aime toujours, lorsqu'une fois, on n'a plus été seule, on ne l'est plus jamais".
Cette correspondance paraît après une soixantaine d’années, sans doute à cause de la clandestinité de cette liaison. Elle raconte cette intense relation et l’on peut y suivre l’évolution de leurs deux carrières. Elle sera une des plus grandes tragédiennes de l’époque, participera aux grandes heures du Festival d’Avignon, jouera partout Shakespeare, Marivaux, Strindberg, Claudel aussi bien que Genet et sera notamment l’interprète de plusieurs pièces de Camus, "L’état de siège" en 1944, "Les Justes" en 1949. Au cinéma elle tournera entre autres quatre films inoubliables, "Les enfants du paradis", "Les dames du Bois de Boulogne", "Orphée" et "La Chartreuse de Parme". Lui est un écrivain célèbre, romancier, dramaturge, philosophe, essayiste, journaliste et prix Nobel de littérature en 1957. Ces lettres nous font aussi revivre la vie quotidienne aussi bien intellectuelle qu'artistique de ces années-là. Certaines ne sont pas dénuées de lucidité, d’humour et même de cruauté à propos du milieu que fréquente Maria Casarès. Ainsi le 7 janvier 1950 écrit-elle: "Public chaud, parfois, enrhumé. Ce soir, j’ai failli quitter la scène pour offrir à un monsieur de premier rang des pastilles Valda, un mouchoir pour étouffer sa toux ou bien deux places pour revenir une autre fois, quand il irait mieux. Je me suis retenue".
Le 30 mars 2017, paraissait aux éditions Le Passeur le roman de Florence M.-Forsythe "Tu me vertiges: L’amour interdit de Maria Casarès et Albert Camus". Un jour, Maria avait écrit à Camus: "Vertige-moi"… Florence M.-Forsythe y évoque ces amours plus ou moins clandestines dans le milieu intellectuel et artistique des années '50, surtout à Saint-Germain-des Prés.
Maria Casarès est morte le 22 novembre 1996, dans sa demeure de La Vergne à Alloue en Charente qu’elle avait achetée en juin 1961. Pour remercier la France qui l’avait accueillie, elle la légua à la commune. La maison de Maria Casarès est un centre culturel axé principalement sur le théâtre. En 1980, elle avait fait paraître une sorte d’autobiographie: "Résidente privilégiée".
Du côté des salles de ventes
Lundi 30 octobre 2017, chez Sotheby’s, une édition très rare du roman de Marcel Proust "Du côté de chez Swann" est partie pour 535.500€, acquise par un acheteur présent dans la salle. Elle avait été estimée entre 400.000 et 600.000€. Convoité par les bibliophiles "cet exemplaire fait rêver", selon Jean-Yves Tadié, le spécialiste français de Marcel Proust qui a dirigé l'édition d'"À la recherche du temps perdu" dans la Pléiade. C’était l'un des cinq exemplaires numérotés de "Du côté de chez Swann", 192 x 138mm, relié en maroquin bleu nuit, sur du papier que l’on considère comme le plus beau du monde, du "japon impérial" ou "washi", à partir de l’écorce du mûrier koto reconnu au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Trois autres exemplaires sont chez leur propriétaire et un autre a disparu durant la Seconde Guerre mondiale.
L’exemplaire vendu chez Sotheby’s n’avait pas été vu depuis 1942 lorsque la veuve de son propriétaire Louis Brun, directeur des éditions Grasset chargé de l'édition, l'avait mis aux enchères chez Drouot. Il est dédicacé "À M. Louis Brun, ce livre qui passé à la Nlle Revue française n'a pas oublié son amitié première pour Grasset. Affectueux souvenir, Marcel Proust". Roland Saucier, directeur de la librairie Gallimard l’avait alors acquis, et il était resté dans la famille du libraire décédé en 1994. Grand bibliophile, Louis Brun avait ajouté à son exemplaire des documents manuscrits de Marcel Proust qu'il a fait relier en fin de volume. Ces huit documents sont surprenants. L’écrivain évoque les détails de l'édition, prix, caractères typographiques, publicité, communiqués. Il proposait à des amis de la presse parisienne de faire publier dans leurs journaux des critiques élogieuses de son roman et il offrait même de l'argent en échange d'un article accommodant. En toute discrétion naturellement. Mais c’était "une pratique courante à l'époque", si l’on en croit Benoît Puttemans, spécialiste des manuscrits chez Sotheby's. Proust eut beaucoup de mal à trouver un éditeur pour "Du côté de chez Swann". Seul Bernard Grasset accepte de le publier en novembre 1913, à compte d'auteur. Le volume fut achevé d'imprimer le 8 novembre 1913 et mis en vente le 14 novembre. Puis, à la demande de Gaston Gallimard, l’auteur rejoint cette maison d’édition à la fin de la guerre. Le 10 décembre 1919, il y obtiendra le prix Goncourt avec "À l'ombre des jeunes filles en fleurs".
Trois autres exemplaires sont chez leur propriétaire et un autre a disparu durant la Seconde Guerre mondiale.
L’exemplaire vendu chez Sotheby’s n’avait pas été vu depuis 1942 lorsque la veuve de son propriétaire Louis Brun, directeur des éditions Grasset chargé de l'édition, l'avait mis aux enchères chez Drouot. Il est dédicacé "À M. Louis Brun, ce livre qui passé à la Nlle Revue française n'a pas oublié son amitié première pour Grasset. Affectueux souvenir, Marcel Proust". Roland Saucier, directeur de la librairie Gallimard l’avait alors acquis, et il était resté dans la famille du libraire décédé en 1994. Grand bibliophile, Louis Brun avait ajouté à son exemplaire des documents manuscrits de Marcel Proust qu'il a fait relier en fin de volume. Ces huit documents sont surprenants. L’écrivain évoque les détails de l'édition, prix, caractères typographiques, publicité, communiqués. Il proposait à des amis de la presse parisienne de faire publier dans leurs journaux des critiques élogieuses de son roman et il offrait même de l'argent en échange d'un article accommodant. En toute discrétion naturellement. Mais c’était "une pratique courante à l'époque", si l’on en croit Benoît Puttemans, spécialiste des manuscrits chez Sotheby's. Proust eut beaucoup de mal à trouver un éditeur pour "Du côté de chez Swann". Seul Bernard Grasset accepte de le publier en novembre 1913, à compte d'auteur. Le volume fut achevé d'imprimer le 8 novembre 1913 et mis en vente le 14 novembre. Puis, à la demande de Gaston Gallimard, l’auteur rejoint cette maison d’édition à la fin de la guerre. Le 10 décembre 1919, il y obtiendra le prix Goncourt avec "À l'ombre des jeunes filles en fleurs".