Eustis, le personnage principal, sous sa forme divine./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- E.V. Bonjour Fabrizio, qu’est ce qui a motivé votre choix du personnage principal, sous la forme d’un demi-dieu, qui vit de façon marginale ?
F.D. Bonjour. J’ai eu recours à la figure du demi-dieu pour plusieurs raisons. D’une part, parce que dans la mythologie grecque, il faisait partie du cortège de Dionysos, composé de dieux parmi lesquels le dieu Pan, des satyres et autres créatures fantastiques. Ils nous renvoient à l'idée d'une nature très joyeuse, primitive et libre. Ce sont des divinités que nous avons un peu occultées et oubliées. D’autre part, ultérieurement, le satyre est devenu le diable dans la culture occidentale avec ses sabots, sa barbe et ses cornes. C’est, à mon avis, un détournement par l’Église de ce que signifiaient la nature et la jouissance, la vie de tous nos sens.
Cette image est d’ailleurs à l’origine de cet album : l’image d’un satyre courant dans la nature et festoyant en compagnie d’autres divinités m’est venue un jour. J’ai donc commencé à dessiner ces fêtes. Chez moi, le processus de création n’est pas rationnel : je cherche à donner corps à une représentation mentale, à l’interroger, puis à construire une histoire autour d’elle. Cela m’a pris beaucoup de temps : un an pour la phase d’écriture du synopsis, et un an pour le dessiner, mais c’était important car elle avait, à mes yeux, un fort potentiel de narration.
F.D. Bonjour. J’ai eu recours à la figure du demi-dieu pour plusieurs raisons. D’une part, parce que dans la mythologie grecque, il faisait partie du cortège de Dionysos, composé de dieux parmi lesquels le dieu Pan, des satyres et autres créatures fantastiques. Ils nous renvoient à l'idée d'une nature très joyeuse, primitive et libre. Ce sont des divinités que nous avons un peu occultées et oubliées. D’autre part, ultérieurement, le satyre est devenu le diable dans la culture occidentale avec ses sabots, sa barbe et ses cornes. C’est, à mon avis, un détournement par l’Église de ce que signifiaient la nature et la jouissance, la vie de tous nos sens.
Cette image est d’ailleurs à l’origine de cet album : l’image d’un satyre courant dans la nature et festoyant en compagnie d’autres divinités m’est venue un jour. J’ai donc commencé à dessiner ces fêtes. Chez moi, le processus de création n’est pas rationnel : je cherche à donner corps à une représentation mentale, à l’interroger, puis à construire une histoire autour d’elle. Cela m’a pris beaucoup de temps : un an pour la phase d’écriture du synopsis, et un an pour le dessiner, mais c’était important car elle avait, à mes yeux, un fort potentiel de narration.
Eustis sous sa forme humaine, dans son lieu d'habitation./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Ce personnage dépouillé de tout est une sorte de vagabond ? Dans notre société c’est aussi le signe d’un retour à des possessions matérielles réduites, un accès à la spiritualité par des substances enivrantes ?
Oui, il y a un peu de ça. Je voulais ancrer mon personnage dans un monde réel que nous connaissons, au-delà du personnage mythologique du satyre. Comme tous, je vis dans ce temps-ci. Je veux aussi parler de notre époque et de notre société. L’idée puissante en arrière-fond coïncide avec le retour à un état perdu, celui des folles nuits des dieux. Je me suis rendu compte après-coup que je racontais déjà un peu ça dans mon précédent livre sur Gauguin (Gauguin, l’autre monde). C’est une biographie assez étrange, parce que j’y ai aussi mis un personnage errant, ainsi que des éléments de la mythologie tahitienne. Gauguin, accompagné par une figure divine tahitienne, part à la recherche d’une espèce de paradis perdu, nié par la culture occidentale. Eustis, le satyre du Dieu Vagabond veut également retrouver son paradis perdu et sa famille des dieux.
Oui, il y a un peu de ça. Je voulais ancrer mon personnage dans un monde réel que nous connaissons, au-delà du personnage mythologique du satyre. Comme tous, je vis dans ce temps-ci. Je veux aussi parler de notre époque et de notre société. L’idée puissante en arrière-fond coïncide avec le retour à un état perdu, celui des folles nuits des dieux. Je me suis rendu compte après-coup que je racontais déjà un peu ça dans mon précédent livre sur Gauguin (Gauguin, l’autre monde). C’est une biographie assez étrange, parce que j’y ai aussi mis un personnage errant, ainsi que des éléments de la mythologie tahitienne. Gauguin, accompagné par une figure divine tahitienne, part à la recherche d’une espèce de paradis perdu, nié par la culture occidentale. Eustis, le satyre du Dieu Vagabond veut également retrouver son paradis perdu et sa famille des dieux.
Un affrontement violent./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Vous avez puisé dans beaucoup de références graphiques ?
Précisément, la référence graphique, c’est ma façon de travailler. En ce sens-là, je suis un peu post-moderne, comme Tarantino dans ses films. Chaque morceau fait écho à un autre film. Il y a aussi le lien conceptuel au « mood », l’état d’esprit, l’humeur. Ces liens se font de façon assez automatique, d'une façon peu pensée, réfléchie. Par contre, ces liens ont un sens. Par exemple, dans l’album, lorsque je traite du dieu Arès, le concept de guerre et la couleur rouge sont omniprésents. Ils me font tout de suite penser aux gravures relatives à la Première Guerre mondiale d’Otto Dix. Les tournesols en ouverture renvoient bien évidemment à Van Gogh, tandis que la file des masques mortuaires à la toute fin m’a été inspirée par la Fête des Morts mexicaine.
Précisément, la référence graphique, c’est ma façon de travailler. En ce sens-là, je suis un peu post-moderne, comme Tarantino dans ses films. Chaque morceau fait écho à un autre film. Il y a aussi le lien conceptuel au « mood », l’état d’esprit, l’humeur. Ces liens se font de façon assez automatique, d'une façon peu pensée, réfléchie. Par contre, ces liens ont un sens. Par exemple, dans l’album, lorsque je traite du dieu Arès, le concept de guerre et la couleur rouge sont omniprésents. Ils me font tout de suite penser aux gravures relatives à la Première Guerre mondiale d’Otto Dix. Les tournesols en ouverture renvoient bien évidemment à Van Gogh, tandis que la file des masques mortuaires à la toute fin m’a été inspirée par la Fête des Morts mexicaine.
Exemple de paysages post-industriels que traversent les héros du récit./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Ce mélange de références sert le récit, à savoir celui d’une quête commune de personnages qui n’ont plus grand-chose à perdre ?
Oui, les références ne sont pas gratuites. Elles ajoutent du sens aux évènements de l’histoire en créant des ouvertures, en reliant des choses entre elles, en ouvrant des ultérieurs signifiés.
J’habite à Milan, à la limite de la périphérie, mais à 15 minutes du centre. Derrière ma maison, il n'y a rien, si ce n’est un grand terrain vague, dont je me suis inspiré pour représenter l’habitat d’Eustis. Sauf que chez moi, il n’y a pas le champ de tournesols (rires.) La BD situe le lecteur dans l’extrême-banlieue, éloignée du monde des hommes, où l’on rencontre les derniers bâtiments, et ensuite, l’autoroute, le no man’s land.
C’est une nature un peu salie par les Hommes avec des fils électriques, des bâtiments abandonnés, des centrales nucléaires… J’aime l’idée que l’odyssée de mon personnage se déroule aux marges de la cité avec un vieux monsieur qui vit tout seul, un dieu qui vit dans une roulotte. Tous ces individus sont à la fois en marge de la société, mais aussi de notre esprit, en marge de ce qui nous paraît rationnel, non ? L’album fait état d’une spiritualité où les anciens dieux sont là, en périphérie, un peu comme le subconscient en psychanalyse.
Oui, les références ne sont pas gratuites. Elles ajoutent du sens aux évènements de l’histoire en créant des ouvertures, en reliant des choses entre elles, en ouvrant des ultérieurs signifiés.
J’habite à Milan, à la limite de la périphérie, mais à 15 minutes du centre. Derrière ma maison, il n'y a rien, si ce n’est un grand terrain vague, dont je me suis inspiré pour représenter l’habitat d’Eustis. Sauf que chez moi, il n’y a pas le champ de tournesols (rires.) La BD situe le lecteur dans l’extrême-banlieue, éloignée du monde des hommes, où l’on rencontre les derniers bâtiments, et ensuite, l’autoroute, le no man’s land.
C’est une nature un peu salie par les Hommes avec des fils électriques, des bâtiments abandonnés, des centrales nucléaires… J’aime l’idée que l’odyssée de mon personnage se déroule aux marges de la cité avec un vieux monsieur qui vit tout seul, un dieu qui vit dans une roulotte. Tous ces individus sont à la fois en marge de la société, mais aussi de notre esprit, en marge de ce qui nous paraît rationnel, non ? L’album fait état d’une spiritualité où les anciens dieux sont là, en périphérie, un peu comme le subconscient en psychanalyse.
Le Professeur, vieille connaissance d'Eustis et le fantôme, commpagnons de quête./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Comment vous est venue l’idée de ce personnage du Professeur ?
Pour son voyage, mon personnage principal avait besoin de compagnons. Par ailleurs, j’avais besoin d’intégrer une perspective humaine au récit. Eustis, en tant que demi-dieu, ne pouvait pas porter le regard d’un homme. J’ai utilisé deux personnages dont un est un fantôme, qui a été humain auparavant, et le Professeur qui symbolise la condition humaine. Il a une mauvaise vue et porte d’énormes lunettes. Comme Van Gogh, il voit la réalité différemment. Plusieurs indices le suggèrent, notamment quand il rêve à la fin de l’album. Des 3 personnages, le professeur fait le rêve le plus important, celui qui leur permet de trouver la solution. Dans son rêve, il ne porte pas ses lunettes et voit les choses différemment. De même, au moment de sa mort, ses lunettes tombent et il s’efface. Il s’agit donc d’une signification un peu cachée sur la façon de percevoir le monde.
Pour son voyage, mon personnage principal avait besoin de compagnons. Par ailleurs, j’avais besoin d’intégrer une perspective humaine au récit. Eustis, en tant que demi-dieu, ne pouvait pas porter le regard d’un homme. J’ai utilisé deux personnages dont un est un fantôme, qui a été humain auparavant, et le Professeur qui symbolise la condition humaine. Il a une mauvaise vue et porte d’énormes lunettes. Comme Van Gogh, il voit la réalité différemment. Plusieurs indices le suggèrent, notamment quand il rêve à la fin de l’album. Des 3 personnages, le professeur fait le rêve le plus important, celui qui leur permet de trouver la solution. Dans son rêve, il ne porte pas ses lunettes et voit les choses différemment. De même, au moment de sa mort, ses lunettes tombent et il s’efface. Il s’agit donc d’une signification un peu cachée sur la façon de percevoir le monde.
L'anarchie du rire rendrait davantage compte de la teneur du réel./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Le ton de l’histoire passe de façon fluide de burlesque à dramatique, voire à effrayant.
La dimension humoristique m’importe beaucoup parce que le rire a une dimension anarchique et irrationnelle. Juxtaposer humour et drame permet d’essayer de rendre la tonalité de la vie où l’on rencontre de tout. Je ne l’avais pas utilisé dans mon précédent livre sur Van Gogh et j’avais en tête de ne pas être trop sérieux, trop mélancolique, dans le suivant.
- Votre trait est précis et doux, et vos couleurs profondes. Comment travaillez-vous ?
Je travaille tout en numérique. La mise en couleur représente un énorme travail. À vrai dire, je progresse un peu à l’inverse de la tradition du dessin de BD : je commence par appliquer de grandes taches de couleur, pour ensuite définir les formes que je raffine par la suite. Je dessine comme on peint d’habitude.
Il faut trouver le juste équilibre entre contours et couleur. Le dessin, c’est la rationalité qui donne un contour aux choses, un tracé défini. À l’inverse, la couleur est plus irrationnelle de nature, si on la laisse, elle déborde et détruit les formes. Elle mange un peu tout.
La dimension humoristique m’importe beaucoup parce que le rire a une dimension anarchique et irrationnelle. Juxtaposer humour et drame permet d’essayer de rendre la tonalité de la vie où l’on rencontre de tout. Je ne l’avais pas utilisé dans mon précédent livre sur Van Gogh et j’avais en tête de ne pas être trop sérieux, trop mélancolique, dans le suivant.
- Votre trait est précis et doux, et vos couleurs profondes. Comment travaillez-vous ?
Je travaille tout en numérique. La mise en couleur représente un énorme travail. À vrai dire, je progresse un peu à l’inverse de la tradition du dessin de BD : je commence par appliquer de grandes taches de couleur, pour ensuite définir les formes que je raffine par la suite. Je dessine comme on peint d’habitude.
Il faut trouver le juste équilibre entre contours et couleur. Le dessin, c’est la rationalité qui donne un contour aux choses, un tracé défini. À l’inverse, la couleur est plus irrationnelle de nature, si on la laisse, elle déborde et détruit les formes. Elle mange un peu tout.
Les fêtes des Dieux, aux temps originels./© Le Dieu Vagabond, Fabrizio Dori
- Le style est très personnel. On peut presque sentir les lignes bouger dans l’album (les feuilles, les troncs d’arbre).
Je ne me suis jamais enfermé dans un style, je fais ce que je ressens, Il y a un peu de tout dans mon dessin : du grotesque, du cartoon, du réalisme… C’est ce que je fais. J’essaie aussi de projeter ce qui me touche : la sensualité des choses, une lumière, un arbre, des atmosphères. Ça me parle beaucoup. Quand je me remémore des évènements, je me souviens avec précision d’une belle journée, ou s’il pleuvait ce jour-là, s’il y avait de l’ombre. Dans Le Dieu Vagabond, j’espère qu’on perçoit la force de l’été et de ses lumières.
Je ne me suis jamais enfermé dans un style, je fais ce que je ressens, Il y a un peu de tout dans mon dessin : du grotesque, du cartoon, du réalisme… C’est ce que je fais. J’essaie aussi de projeter ce qui me touche : la sensualité des choses, une lumière, un arbre, des atmosphères. Ça me parle beaucoup. Quand je me remémore des évènements, je me souviens avec précision d’une belle journée, ou s’il pleuvait ce jour-là, s’il y avait de l’ombre. Dans Le Dieu Vagabond, j’espère qu’on perçoit la force de l’été et de ses lumières.