Un grand homme de théâtre est éteint


Par Rédigé le 07/07/2022 (dernière modification le 07/07/2022)

Le metteur en scène britannique Peter Brook, adaptateur de l'œuvre de Shakespeare, écrivain et réalisateur est décédé à Paris le 2 juillet à l’âge de 97 ans.


The Tightrop et Peter Brook (c) DR
Il a également été le "théoricien de l'espace vide" la scène nue devient "l’arène où peut se produire une vivante concentration", théorie qu’il a précisée lors d’une conférence en Angleterre en 1965 "Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé" ou bien encore dans son premier livre "The Empty Space" paru en 1968 et traduit en 1977 aux Éditions du Seuil, "L’Espace vide".

Peter Brook est né le 25 mars 1925 à Londres de parents juifs lituaniens immigrés depuis peu en Angleterre. Il fréquente la Westminster School puis étudie la littérature comparée au Magdalen College d’Oxford. L’écriture l’attire très tôt mais c’est au théâtre qu'il se consacrera, son père ne lui lui avait-il pas fabriqué un petit théâtre de marionnettes et n’y avait-il pas, selon une légende, adapté à cinq ans quelques scènes d'Hamlet? Il signe sa première mise en scène à 17 ans, "The Tragical History of Docteur Faustus" du dramaturge élisabéthain Christopher Marlowe. Dès 1946, il monte à Stratford-upon-Avon "Peines d'amour perdues", une des premières comédies de Shakespeare, elle sera suivie de "Roméo et Juliette". Entre quelques mises en scène de l'œuvre de l’écrivain, il fait aussi jouer des auteurs contemporains, Jean Anouilh, Jean-Paul Sartre, Jean Genet ou Peter Weiss. Dès la fin des années 1940 il connaît le succès à la Royal Shakespeare Company, il aura pour interprètes Alec Guinness ou John Gielgud.

A partir de 1947, il est directeur de production au Covent Garden Royal Opera, bien décidé à dépoussiérer les spectacles. Avec Salvador Dali, il réalise en 1949 une production de "Salomé", opéra de Richard Strauss "Je suis entré dans l'opéra avec un seul but: donner à cette institution désuète et endormie une série de chocs qui la propulseraient dans le monde d'aujourd'hui". L’oeuvre ne tiendra que six représentations et sera retirée de l’affiche, Peter Brook sera renvoyé… c’est ce qu’il raconte dans son autobiographie Threads of Time: Recollections.

En 1959, les spectateurs du Théâtre des Nations à Paris découvraient éblouis sa version de "Titus Andronicus" première pièce de Shakespeare avec Laurence Olivier et Vivian Leigh. Il fonde en 1970 une troupe de théâtre expérimental le Centre international de recherche théâtrale (CIRT) avec des acteurs venus du monde entier dont sa femme, Natasha Parry. La troupe se produit en France mais aussi au Moyen-Orient, en Afrique et même en Amérique sur des scènes peu conventionnelles, foyers d’immigrés, hôpitaux, banlieues aussi bien que dans les ruines de Persépolis. Une seule règle qu’il observera jusqu’au bout, le public ne peut assister aux répétitions.

"Je n'ai aucune raison de travailler ailleurs"

L’ensemble rebaptisé Centre international de créations théâtrales (CICT), s’installe en 1974 dans un théâtre parisien à l’abandon, fermé pour cause d’insalubrité et voué à la démolition, que sa fidèle collaboratrice Micheline Rozan avait découvert. Le Théâtre des Bouffes du Nord construit en 1876 permettra à Peter Brook de concrétiser sa vision du théâtre moderne, le décor est réduit au minimum et la mise en scène s’inspire notamment des traditions théâtrales et musicales extra-européennes. Il en fera un lieu mythique. L’ouverture eut lieu le 15 octobre 1974 avec "Timon d'Athènes" de Shakespeare, adaptation de Jean-Claude Carrière et une mise en scène de Peter Brook. Il révélera "Nous avions conservé les vieux sièges en bois du balcon, mais en les recouvrant d'un nouveau tissu. Pendant les premières représentations, quelques personnes sont restées littéralement collées à leur siège, et nous avons dû rembourser quelques dames très fâchées d'avoir laissé un morceau de leur jupe"… Le succès fut immédiat. "Il y eut beaucoup d'applaudissements, mais qui cassèrent littéralement la barque, puisque de grands pans de moulures se détachèrent sous l'effet des vibrations, et tombèrent, ratant de peu les têtes de nos spectateurs". Il dirigera les Bouffes Nord jusqu’en 2010. Ce qui ne l’empêchera pas d’y revenir comme metteur en scène comme par exemple pour "Why?", une pièce testamentaire qu’il a écrite avec Marie-Hélène Estienne son assistante, une simple question est posée, pourquoi faire du théâtre?

En 1985, au Festival d’Avignon, sa création "Le Mahabharata" adaptation de Jean-Claude Carrière, suscitera la curiosité. Cette épopée mythologique hindoue durait neuf heures… en trois représentations. Il en tirera un film en 1989.
Cette carrière de presque 75 ans ne s’intéressa pas qu’au théâtre, il réalisa des mises en scène pour le Royal Opera House de Londres ou le Métropolitain de New York, avec Jean-Claude Carrière et le compositeur Marius Constant, il montera La Tragédie de Carmen en 1981 dont il fera un film deux ans plus tard. En 1998, ce sera Don Giovanni au Festival d'Aix-en-Provence. Il s’aventurera également dans le genre de la comédie musicale avec "Irma la douce".

Parmi la douzaine de films réalisés, on remarque en 1960 "Moderato Cantabile" inspiré du roman éponyme de Marguerite Duras avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo ainsi que "Sa majesté des mouches" en 1963.
Parmi toutes les récompenses qui ont couronné cette carrière prestigieuse toute dévouée au théâtre on relève un Molière d'honneur à la 25e cérémonie des Molières en 2011.





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