Une soprano à suivre: Jennifer Michel
Photo courtoisie (c) DR
Ouverture de saison à l’Opéra de Marseille. Pour le retour à l'affiche de la "Manon" de Massenet, l’ouvrage a été confié à son ex-directrice Renée Auphan et Yves Coudray dans les décors de Jacques Gabel et les costumes somptueux de Katia Duflot pour un spectacle qui, dans son classicisme de bon aloi, léché, séduisant, luxueux, fait honneur à la cité phocéenne et son public. Avec en prime un hommage non dissimulé, un clin d’œil sympathique, émouvant pour les anciens - il en reste, nous en sommes! - à Louis Ducreux, ex-maître des lieux dans les années soixante, dont la mémoire est ici, de direction en direction, fort intelligemment entretenue.
Jouant avec esprit la carte du théâtre pur, le tandem Auphan/Coudray nous fait voyager dans le temps et nous donne à rêver dans un spectacle fourmillant de trouvailles...
Bref, le XVIIIe siècle comme si vous y étiez, avec maquillages stylisés, éclairages strehleriens, un texte servi par des chanteurs-acteurs faisant tous preuve d’une remarquable diction.
On aura d’autant apprécié le talent et le sérieux de l’approche, une fois dit que la principale interprète est de langue étrangère et que le ténor mettait pour la première fois, sauf erreur de notre part, le rôle à son répertoire.
Forte de ses divers succès in loco Patrizi Ciofi vit "Manon" au rythme de ses désirs. En grande actrice. Malgré une belle ligne, le fleuve de son chant nage en gris clair et gris foncé. Avec un vibrato à deux vitesses, un français parfois exotique, molle de diction, la diva est bien peu convaincante aux deux extrêmes de la partition.
Mais toujours cohérente dans le cheminement du personnage (naissance du désir puis son appel suicidaire, froide course au succès, passion mortelle de la liberté...). Plane ici, victime de ses instincts, une certaine Carmen avec sa "chose enivrante"...
Elle forme avec son amoureux un vrai couple de cinéma.
En Des Grieux, Sébastien Guèze triomphe, pas toujours avec aise mais avec un certain panache. Dans le genre ça casse mais ça passe, on ne fait pas mieux.
Il mouille sa chemise et sa perruque, cela se voit. Fort peu suave dans les deux premiers actes (le "Rêve" manquait des habituels pianissimi), la musicalité fait hélas souvent défaut.
Les "tubes" tant attendus ont reçu un accueil glacial. Le fougueux ténor se révèle ensuite fiévreux, torturé, finalement pitoyable dans son amour sincère pour cette garce écervelée, le tout dans une fort belle conviction dramatique.
Étienne Dupuis en Lescau? Rien à dire. Simplement parfait. Simplement idéal. Avec une qualité de chant égale d’un bout à l’autre de l’œuvre.
Imposantes et cinglantes interventions de Nicolas Cavallier en Comte des Grieux à la sombre gravité qui fait froid dans le dos, à la toujours digne affliction.
Future fournée pour les Amériques, le trio des filles galantes, mené de main de maître par Jennifer Michel, Poussette endiablée, piquante comme une mouche, et leurs soupirants, Brétigny, Christophe Gay plus roué que nature, ou Guillot, irrésistible Rodolphe Briand en vieux beau engoncé dans son ridicule et ses bonne manières, a su souligner la préciosité virtuose de la partition dans la scène du Cours-la-Reine.
Autres silhouettes fort bien tenues, ballet et chœurs valeureux comme toujours.
Le rôle le plus délicat a été tenu par le chef Alexander Joël.
Il a prouvé que Massenet avait su lire l’Abbé Prévost. Sa direction habile, précise, fine, précieuse même, reflétait l’image du classicisme dont le roman est empreint. Avec en prime, des élans romantiques qui ne pouvaient que mettre en délire un public dominical surchauffé et complice.
La veille, jolie découverte avec "Le Portrait de Manon" du même Massenet. Une bluette qui jette les bases de l'opéra à venir. Quarante-cinq minutes de badinerie musicale où éclate la personnalité de Jennifer Michel (on dirait le rôle d'Aurore écrit pour elle), sans doute la personnalité la plus attachante parmi le cheptel du chant français à venir. Pas trente bougies au compteur, une force, un présence, une voix qui rappelle irrésistiblement celle d'Andréa Guiot (Manon d'envergure à Favart et ailleurs), un charme qui vous chavire, un chic, une poésie, une roublardise qui vous emballent le coeur et l'esprit. Il est vrai qu'elle trouve en Antoinette Dennefeld un(e) partenaire idéal(e).
Marc Scoffoni, Des Grieux baryton (donc pas encore ténor!) désabusé, cynique gardien des lois et de la morale, sévère comme un mur de sépulcre, casse lui aussi la baraque. Voix haute qui se reçoit comme un uppercut, diction irréprochable.
Cette miniature musicale, agréablement mise en espace par Yves Coudray, verrait-elle le couronnement de Rodolphe Briand en Tiberge, arbitre manipulateur des élégances? Quel diable d'homme sympathique!
Au pupitre, Victorien Vanoosten, s'impose, s'affirme comme un chef à venir, à devenir. Geste ample, précision et fluidité d'un futur Grand dans les ajouts historiquement bien placés de "L'Après Midi d'un Faune" de Debussy ou dans une "Méditation de Thaïs" érotisée à l'extrême.
Jouant avec esprit la carte du théâtre pur, le tandem Auphan/Coudray nous fait voyager dans le temps et nous donne à rêver dans un spectacle fourmillant de trouvailles...
Bref, le XVIIIe siècle comme si vous y étiez, avec maquillages stylisés, éclairages strehleriens, un texte servi par des chanteurs-acteurs faisant tous preuve d’une remarquable diction.
On aura d’autant apprécié le talent et le sérieux de l’approche, une fois dit que la principale interprète est de langue étrangère et que le ténor mettait pour la première fois, sauf erreur de notre part, le rôle à son répertoire.
Forte de ses divers succès in loco Patrizi Ciofi vit "Manon" au rythme de ses désirs. En grande actrice. Malgré une belle ligne, le fleuve de son chant nage en gris clair et gris foncé. Avec un vibrato à deux vitesses, un français parfois exotique, molle de diction, la diva est bien peu convaincante aux deux extrêmes de la partition.
Mais toujours cohérente dans le cheminement du personnage (naissance du désir puis son appel suicidaire, froide course au succès, passion mortelle de la liberté...). Plane ici, victime de ses instincts, une certaine Carmen avec sa "chose enivrante"...
Elle forme avec son amoureux un vrai couple de cinéma.
En Des Grieux, Sébastien Guèze triomphe, pas toujours avec aise mais avec un certain panache. Dans le genre ça casse mais ça passe, on ne fait pas mieux.
Il mouille sa chemise et sa perruque, cela se voit. Fort peu suave dans les deux premiers actes (le "Rêve" manquait des habituels pianissimi), la musicalité fait hélas souvent défaut.
Les "tubes" tant attendus ont reçu un accueil glacial. Le fougueux ténor se révèle ensuite fiévreux, torturé, finalement pitoyable dans son amour sincère pour cette garce écervelée, le tout dans une fort belle conviction dramatique.
Étienne Dupuis en Lescau? Rien à dire. Simplement parfait. Simplement idéal. Avec une qualité de chant égale d’un bout à l’autre de l’œuvre.
Imposantes et cinglantes interventions de Nicolas Cavallier en Comte des Grieux à la sombre gravité qui fait froid dans le dos, à la toujours digne affliction.
Future fournée pour les Amériques, le trio des filles galantes, mené de main de maître par Jennifer Michel, Poussette endiablée, piquante comme une mouche, et leurs soupirants, Brétigny, Christophe Gay plus roué que nature, ou Guillot, irrésistible Rodolphe Briand en vieux beau engoncé dans son ridicule et ses bonne manières, a su souligner la préciosité virtuose de la partition dans la scène du Cours-la-Reine.
Autres silhouettes fort bien tenues, ballet et chœurs valeureux comme toujours.
Le rôle le plus délicat a été tenu par le chef Alexander Joël.
Il a prouvé que Massenet avait su lire l’Abbé Prévost. Sa direction habile, précise, fine, précieuse même, reflétait l’image du classicisme dont le roman est empreint. Avec en prime, des élans romantiques qui ne pouvaient que mettre en délire un public dominical surchauffé et complice.
La veille, jolie découverte avec "Le Portrait de Manon" du même Massenet. Une bluette qui jette les bases de l'opéra à venir. Quarante-cinq minutes de badinerie musicale où éclate la personnalité de Jennifer Michel (on dirait le rôle d'Aurore écrit pour elle), sans doute la personnalité la plus attachante parmi le cheptel du chant français à venir. Pas trente bougies au compteur, une force, un présence, une voix qui rappelle irrésistiblement celle d'Andréa Guiot (Manon d'envergure à Favart et ailleurs), un charme qui vous chavire, un chic, une poésie, une roublardise qui vous emballent le coeur et l'esprit. Il est vrai qu'elle trouve en Antoinette Dennefeld un(e) partenaire idéal(e).
Marc Scoffoni, Des Grieux baryton (donc pas encore ténor!) désabusé, cynique gardien des lois et de la morale, sévère comme un mur de sépulcre, casse lui aussi la baraque. Voix haute qui se reçoit comme un uppercut, diction irréprochable.
Cette miniature musicale, agréablement mise en espace par Yves Coudray, verrait-elle le couronnement de Rodolphe Briand en Tiberge, arbitre manipulateur des élégances? Quel diable d'homme sympathique!
Au pupitre, Victorien Vanoosten, s'impose, s'affirme comme un chef à venir, à devenir. Geste ample, précision et fluidité d'un futur Grand dans les ajouts historiquement bien placés de "L'Après Midi d'un Faune" de Debussy ou dans une "Méditation de Thaïs" érotisée à l'extrême.