Rigoletto, Quasimodo, même combat dans la quête du bonheur
Photo courtoisie (c) D. Jaussein
S’il est un opéra qui permet toutes les facilités scéniques, toutes les complaisances théâtrales, c’est bien le Rigoletto de Giuseppe Verdi.
Pour éviter ce grave écueil de l’illustration au premier degré, c’est à dire de la paraphrase, une "vision" de l’ouvrage, une intelligence de son déroulement et de sa cohérence dramatique s’imposent… et la lumineuse production d'Ezio Toffolutti possède de toute évidence ces qualités.
Prenant appui sur le bref prélude orchestral, Toffolutti construit donc un drame cynique (Duc de Mantoue, Don Giovanni, même combat pour ces deux jouisseurs éclairés dans leur recherche d’absolu?) où la malédiction qui va frapper le bouffon difforme est déjà inscrite.
Alliant le fantomatique au paillard, dans de superbes décors, soit de palais renversé mis en abîme ou bouge glauque sorti de Piranèse, le drame de Hugo et Verdi, destiné à renouveler au théâtre le monde des faibles et des puissants, des trompeurs et des trompés, des séducteurs et des séduits retrouve sa force première.
Toutefois, le succès indescriptible du spectacle niçois vient aussi des protagonistes.
Et d’abord de Federico Longhi dans le rôle titre. Pathétique sans pathos, porté par le lui-même, le baryton italien - pour l'occasion il compose sans outrance un Quasimodo expressionniste - concentre dans son personnage toute l’intensité dramatique de l’œuvre, s’éloignant avec bonheur, un certain raffinement, justesse aussi, des sentiments trop souvent attachés aux infirmités qu’il porte.
Démarche claudicante simple, mimique, gestuelle économe se fondent pour tisser un impalpable lien du physique au spirituel.
Chaque scène privilégie un nouvel aspect de la métamorphose conduisant des sarcasmes du bouffon aux plaintes du père meurtri et bafoué.
Impressionnante au niveau dramatique, cette mutation est encore mieux perçue sur le plan vocal avec un beau travail sur la dynamique des nuances et sa coloration loin des bougonnements entendus chez d'autres.
Flottant comme en apesanteur, Mihaela Marcu chante à ses côtés une douce Gilda, sucrée à point avec un délicat zeste de citron, et prête à ce rôle plus difficile qu’il n’y paraît, une voix légère, une agilité calculée dans les coloratures et une grande conviction dramatique. L’aigu est un peu court certes, mais on a souvent ici péché par excès de surenchère. On y a vu tellement de Castafiore pyrotechniciennes faussant le propos désiré par le compositeur et son librettiste…
Le Duc de Mantoue de Jesus Leon? Le ténor mexicain phrase divinement une scolaire leçon de chant, ne se prend jamais les pieds dans le tapis et on lui pardonnera volontiers quelques broutilles devant tant de sincérité et de charme. Il lui reste juste à redécouvrir l’art de la demi-teinte. L’acteur force la sympathie dans son fantastique appétit de vivre.
Héloïse Mas, au jeu très étudié, suffocante d’aisance scénique, musicienne en diable, prête des accents cuivrés, lascifs, à une Maddalena troublante, pulpeuse, généreuse, débordante d’érotisme contrôlé qui semble alors comme un bienfait dans ce monde maléfique.
Son frère Sparafucile (Philippe Kahn en cynique tueur blasé), imposant et musical, invente par moment un sprechgesang verdien fort drôle, d’une voix irréprochable, comme plus proche de la Volga (c'est un compliment) que des rives du Mincio.
Petits rôles toujours fidèles au diapason, finement croqués à la Daumier, où se remarquent le Marullo percutant, suffocant d'aisance scénique de Guy Bonfiglio et le Monterone vraiment terrifiant dans ses imprécations de Thomas Dear. Chœur masculin simplement parfait.
La baguette de Roland Böer place très haut la barre. L’orchestre maison s’anime, se délie, se "phrase", s’allège, s’emporte, les instruments bruissent, frémissent, murmurent, s’enflent, déclamatoires, compatissent, intimes, ironisent, enjoués.
Un tel réseau de contrastes nous conduit au cœur du drame où encore une fois la malédiction de l’innocent injustement condamné frappe l’innocence et épargne la débauche.
Pour éviter ce grave écueil de l’illustration au premier degré, c’est à dire de la paraphrase, une "vision" de l’ouvrage, une intelligence de son déroulement et de sa cohérence dramatique s’imposent… et la lumineuse production d'Ezio Toffolutti possède de toute évidence ces qualités.
Prenant appui sur le bref prélude orchestral, Toffolutti construit donc un drame cynique (Duc de Mantoue, Don Giovanni, même combat pour ces deux jouisseurs éclairés dans leur recherche d’absolu?) où la malédiction qui va frapper le bouffon difforme est déjà inscrite.
Alliant le fantomatique au paillard, dans de superbes décors, soit de palais renversé mis en abîme ou bouge glauque sorti de Piranèse, le drame de Hugo et Verdi, destiné à renouveler au théâtre le monde des faibles et des puissants, des trompeurs et des trompés, des séducteurs et des séduits retrouve sa force première.
Toutefois, le succès indescriptible du spectacle niçois vient aussi des protagonistes.
Et d’abord de Federico Longhi dans le rôle titre. Pathétique sans pathos, porté par le lui-même, le baryton italien - pour l'occasion il compose sans outrance un Quasimodo expressionniste - concentre dans son personnage toute l’intensité dramatique de l’œuvre, s’éloignant avec bonheur, un certain raffinement, justesse aussi, des sentiments trop souvent attachés aux infirmités qu’il porte.
Démarche claudicante simple, mimique, gestuelle économe se fondent pour tisser un impalpable lien du physique au spirituel.
Chaque scène privilégie un nouvel aspect de la métamorphose conduisant des sarcasmes du bouffon aux plaintes du père meurtri et bafoué.
Impressionnante au niveau dramatique, cette mutation est encore mieux perçue sur le plan vocal avec un beau travail sur la dynamique des nuances et sa coloration loin des bougonnements entendus chez d'autres.
Flottant comme en apesanteur, Mihaela Marcu chante à ses côtés une douce Gilda, sucrée à point avec un délicat zeste de citron, et prête à ce rôle plus difficile qu’il n’y paraît, une voix légère, une agilité calculée dans les coloratures et une grande conviction dramatique. L’aigu est un peu court certes, mais on a souvent ici péché par excès de surenchère. On y a vu tellement de Castafiore pyrotechniciennes faussant le propos désiré par le compositeur et son librettiste…
Le Duc de Mantoue de Jesus Leon? Le ténor mexicain phrase divinement une scolaire leçon de chant, ne se prend jamais les pieds dans le tapis et on lui pardonnera volontiers quelques broutilles devant tant de sincérité et de charme. Il lui reste juste à redécouvrir l’art de la demi-teinte. L’acteur force la sympathie dans son fantastique appétit de vivre.
Héloïse Mas, au jeu très étudié, suffocante d’aisance scénique, musicienne en diable, prête des accents cuivrés, lascifs, à une Maddalena troublante, pulpeuse, généreuse, débordante d’érotisme contrôlé qui semble alors comme un bienfait dans ce monde maléfique.
Son frère Sparafucile (Philippe Kahn en cynique tueur blasé), imposant et musical, invente par moment un sprechgesang verdien fort drôle, d’une voix irréprochable, comme plus proche de la Volga (c'est un compliment) que des rives du Mincio.
Petits rôles toujours fidèles au diapason, finement croqués à la Daumier, où se remarquent le Marullo percutant, suffocant d'aisance scénique de Guy Bonfiglio et le Monterone vraiment terrifiant dans ses imprécations de Thomas Dear. Chœur masculin simplement parfait.
La baguette de Roland Böer place très haut la barre. L’orchestre maison s’anime, se délie, se "phrase", s’allège, s’emporte, les instruments bruissent, frémissent, murmurent, s’enflent, déclamatoires, compatissent, intimes, ironisent, enjoués.
Un tel réseau de contrastes nous conduit au cœur du drame où encore une fois la malédiction de l’innocent injustement condamné frappe l’innocence et épargne la débauche.