Photo (c) Jillian E.
Il faut remonter aux années 1970 pour trouver dans les archives judiciaires des affaires telles que le serial killer américain John Gacy alias Pogo le Clown, condamné à mort pour le meurtre de trente-trois personnes. Puis la littérature et le cinéma se sont emparés de la figure du clown malfaisant, en particulier Stephen King dans son roman "It" ("Ça" en français) en 1986, objet de multiples adaptations. C'est en référence au clown de cette œuvre qu'ont émergé, depuis quelques mois, des vidéos sur Internet fédérées autour du nouveau mème à la mode, les clowns agressifs. Le premier, l'année dernière, à Northampton, demeurait passif, posté à un coin de rue, et effrayait les passants du seul effet de surprise. Au fond, la réalité ne peut s'empêcher de tordre le cou au mythe du clown amusant, coqueluche des enfants. Dès qu'il sort de l'enceinte du cirque, de son contexte, le personnage développe une certaine ambiguïté, ne serait-ce que par les couleurs vives et criardes de son visage, marqueur d'une identité assez floue. Derrière le masque on ne sait quelle émotion, quelles pensées peuvent se cacher. De là émane sans doute la peur que beaucoup d'enfants ont des clowns, peur qui se développe d'ailleurs aussi en phobie chez des sujets adultes.
Alors, que penser de cette nouvelle mode des clowns agressifs et de la phobie qui s'est installée en Europe ces dernières semaines? Et n'en doutons pas, dont plus personne ne parlera dans un mois. Elle est sans doute une nouvelle voie détournée, pour un certain nombre d'adolescents, d'exploiter un filon de présence sur les réseaux sociaux. Elle est aussi, heureusement pour une minorité, un moyen peu onéreux de se livrer à des actes de délinquance sous couverture. Mais cette mode court un lièvre bien typique de notre époque, celui de mettre à mal nos repères: en détournant l'image d'un personnage attachant et inoffensif, elle instille la surprise, cultive le doute, et nous résout à penser que finalement, rien de stable, tout est fuyant en ce bas monde, ce que pensait déjà Héraclite. Puisqu'il est désormais normatif de faire sauter les repères, notre seul champ de vision s'étend vers tous les extrêmes. Et les effets sont au moins aussi extrêmes que les causes: ainsi vous avez pu apprendre, consternés, les instructions de la gendarmerie, qui vous priait instamment d'appeler le 17 si vous voyiez un clown. Maintenant vous savez que dans cette affaire on a touché le fond.