Pourquoi si peu de femmes occupent-elles les postes les plus lucratifs ?


Par Le Podcast Journal Rédigé le 17/07/2021 (dernière modification le 10/07/2021)

Un article de Roxana Barbulescu - Professeur associé en management et en ressources humaines, HEC Paris Business School. Un article repris du site THE CONVERSATION


À qualifications égales, les femmes postulent moins que les hommes dans les secteurs de la finance ou du conseil, pensant que leur candidature a moins de chances d’être retenue.

Hommes et femmes tendent à travailler dans des secteurs et des métiers différents, les premiers se trouvant invariablement aux postes et industries les mieux rémunérés. Ceci explique une large part de l’écart salarial qui persiste en moyenne entre les sexes.

Les grandes banques, notamment, qui proposent parmi les meilleures payes au monde, figurent parmi les plus mauvais élèves en matière de promotion de la parité des genres. Aux États-Unis, elles font partie des entreprises qui ont dû s’acquitter du plus d’amendes liées à la discrimination au travail et aux cas de harcèlement.

Une récente étude a révélé que Bank of America et sa filiale Merrill Lynch avaient déboursé pour cela quelque 210 millions de dollars depuis 2000, le montant le plus élevé de toutes les grandes firmes. Morgan Stanley se situe en quatrième position sur cette liste, avec 150 millions de dollars. Au total, l’industrie des services financiers a dû verser la somme astronomique de 530 millions de dollars en amendes pour discrimination.

Des lois sont apparues dans le but de rétablir l’égalité. A minima, cela peut passer par dévoiler les écarts de rémunérations entre hommes et femmes. Au Royaume-Uni par exemple, il est désormais obligatoire pour les sociétés de plus de 250 salariés de révéler les différences de revenus entre hommes et femmes. Certains pays européens et États américains ont imposé un « mandat de diversité » aux conseils d’administration des grandes firmes.

Respecter la loi et éviter les amendes devrait en soi constituer des raisons suffisantes pour que les entreprises remettent en cause l’absence de femmes aux meilleurs postes. Il a par ailleurs été largement démontré que diversifier leur personnel bénéficie considérablement aux compagnies. Cela multiplie en effet les possibilités de recrutement, favorise l’innovation et améliore les performances.

Pourquoi ce plafond de verre reste-t-il alors si difficile à briser ? La faute des entreprises ? Un manque de candidates ? Il parait ardu d’y répondre sans examiner avec beaucoup d’attention le cheminement complet menant à l’obtention d’un emploi. Nous avons ainsi cherché à disséquer le déroulement complet de la prospection d’emploi chez des hommes et des femmes aux qualifications égales.

Gratification, identification, conviction

Il s’agit de la toute première analyse de ce genre. Nous avons suivi plus de 1 000 étudiants issus d’un important cursus européen de maîtrise en administration des affaires (MBA). Les attentes et aspirations des candidats et candidates ont été sondées à différentes étapes de leur recherche d’emploi et les postes qu’ils avaient décrochés in fine ont été recensés.

Trois facteurs semblent déterminer les postes susceptibles d’attirer les candidats : les gratifications proposées, l’identification par le candidat au poste et leur conviction que leur candidature a des chances d’être retenue.

Les femmes ont du mal à s’identifier à des métiers étiquetés « masculins », en particulier dans la finance.

C’est ainsi qu’hommes et femmes, à qualifications égales, postulent parfois à des types de postes très différents. Nos découvertes, qui comblent par la même un vide important dans la compréhension des écarts de salaires, suggèrent que les femmes sont moins enclines que les hommes à postuler pour des métiers de financier ou de consultant, bien qu’ils proposent les meilleurs salaires. Elles se tournent davantage vers des postes de direction générale en s’appuyant uniquement sur des croyances liées à leur rôle de genre.

Cette différence naît en grande partie de la préférence des femmes pour des fonctions qui permettent de concilier travail et vie privée, leur difficulté à s’identifier à des métiers traditionnellement masculins (en particulier dans la finance) et la conviction intérieure que leur candidature ne sera pas retenue pour des emplois d’ordinaire l’apanage des hommes.

Absence de postulantes, mauvaise excuse

Or, en dépit de leur conviction qu’elles n’obtiendraient pas le poste, nous n’avons pu relever aucune preuve que les femmes avaient moins de chances que les hommes de décrocher des emplois dans n’importe lequel des domaines étudiés, après avoir postulé.

Par ailleurs, contrairement à ce que suggèrent les stéréotypes sur les femmes, les postulantes de notre échantillon étaient tout aussi attirées que leurs homologues masculins par des salaires élevés. Autre remarque intéressante : bien que moins enclines à candidater pour des métiers financiers, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’avoir travaillé dans la finance avant de suivre le cursus de MBA.

Ces résultats montrent bien à quel point les idées reçues liées à la discrimination des sexes contribuent à enraciner la disparité des genres. Il semble ainsi probable que la longue histoire de la discrimination des femmes ait façonné la manière dont celles-ci s’identifient à ces métiers étiquetés « masculins », de même que leurs espoirs de réussite au moment de postuler.

Les firmes peuvent donc faire en sorte de répondre à toutes les obligations légales et de limiter la discrimination au niveau du recrutement, mais sans un changement radical de culture dans leurs organisations, il est possible qu’elles ne reçoivent jamais la moindre candidature féminine. Elles ont alors tendance à se servir de la mauvaise excuse de l’absence de postulantes pour justifier le peu de progrès réalisés dans ce domaine, au lieu de chercher à comprendre en quoi leurs pratiques servent une culture pouvant causer cette absence.

Cette contribution, publiée en anglais sur le site Knowledge@HEC, s’appuie sur l’article de Roxana Barbulescu intitulé « Do Women Choose Different Jobs From Men ? », coécrit avec Matthew Bidwell de Wharton University.





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