Une Aida pour l'éternité, un festival vocal permanent
Le ténor du moment, star de toutes les scènes de la planète fait une rentrée discographique fracassante chez Warner avec l'"Aida" de Verdi, et chez Sony avec un récital Puccini électrisant de bout en bout, léché, soyeux, d'une beauté sidérante car sans une faute de goût, Jonas Kaufmann chantant avec aise et éclat airs et duos, entouré non pas par des simples répliques, mais de vrais partenaires.
Mais, procédons par ordre.
Il est très difficile de succéder, pour "Aida", aux Solti, Muti ou Mehta, Karajan étant, par deux fois, un peu à part.
L'équipe voulue par Antonio Pappano ouvre des temps nouveaux car réunissant tout simplement ce qu'il se fait de mieux aujourd'hui pour l'opéra pharaonique de Verdi, tour de force, sans un seul chanteur italien dans les cinq rôles principaux.
Marco Spotti en Roi, Paolo Fanale en Messager et Eleonora Buratto en Prêtresse, faisant plus dans leurs percutantes apparitions épisodiques qu'une intelligente figuration dans le genre: "j'ai vu de la lumière, je suis monté"...
Choisie pour le rôle titre, Anja Harteros déploie une sensualité, rarement atteinte au disque. Amoureuse de son militaire égyptien, elle l'est et tiens à le montrer, mordante, charnelle, suave, toute de velours, très soignée dans le style, le détail, à l'ut solide, d'un abandon érotisé à l'extrême à l'acte du Nil avec des pianissimi chavirant, son timbre onctueux trouve des accents de tigresse quand il le faut dans ses affrontements avec sa rivale.
Toutes griffes dehors, d'une violence presque racinienne (Hermione!), l'Amnéris d'Ekaterina Semenchuk déploie le plus beau velours de mezzo entendu depuis longtemps. Elle aussi se montre séduisante (cette fille du pharaon sait que la partie de catch avec son esclave éthiopienne sera difficile, pour ne pas dire perdue d'avance...), impérieuse, sans poitrinage abusif, le si bémol dans la scène du jugement sera tout simplement vertigineux, comme sorti de l'âme et du cœur.
Erwin Schrott ne fait qu'une bouchée du Grand-Prêtre Ramfis. Inquiétant, insinueux (il y a quelque chose d'inquisiteur dans ses répliques), un rien monolithique certes, mais le rôle s'y prête tellement.
Cocorico! Ludovic Tézier entre au Walhalla italien avec un Amonasro cinglant, âpre, aux mots pensés, vindicatif. Mettez dans un ordinateur les voix de ses aînés, Blanc, Bianco, Guelfi, Gobbi, Sereni e tutti quanti... et vous obtenez à la fois violence et raffinement, des nuances là-aussi comme peu de sauvages vaincus savent le montrer.
Le Radamès de Jonas Kaufmann, au sourire carnassier digne du requin des "Dents de la mer", biceps proéminent, vaillance en poupe, achève de nous séduire. Son métier il le connaît.
Les moyens il les a, il tient à le montrer.
Musicalité et nuances là-aussi sont très observées, la couleur du timbre unique, les élans de sincérité héroïques fort bien venus. L'émission haute, incisive, les prouesses de souffle laissent pantois, le si bémol final solaire comme pas deux vous cloue sur place.
Une grande composition, un somptueux legs pour l'éternité.
Plantant le décor, vraie prière de soldat amoureux, "Celeste Aida" devrait être enseignée dans les écoles, les conservatoires, partout. Pour son élégance, sa générosité teintée de douceur, le respect du texte, des notes, tout simplement.
Dans la chaude acoustique de l'Auditorium Parco della Musica à Rome, Antonio Pappano s'écoute parfois mais écoute encore plus ses chanteurs, musiciens et choristes, soucieux de soutenir la réussite de chacun.
Jamais drame verdien n'aura été ainsi sublimé. D'une rigueur rythmique implacable, ne faisant aucune concession à la tradition, d'une vigueur démonstrative réjouissante (scène du triomphe aux trompettes en coulisses), d'une intensité, d'un hiératisme un peu excessif, les effets du Maestro sont toujours justifiés.
3 Cds Warner Classics 2564610663
Ah, la longue histoire d'amour entre Jonas Kaufmann et Giacomo Puccini. Ce disque récital, véritable carte de visite musicale risque bien d'être un incontournable en cette rentrée 2015.
Onze ouvrages, de Manon Lescaut à Bohème, en passant par les inévitables tubes associés à Butterfly, Tosca, Le Villi, Edgar, Rondine, Tabarro et Schicchi.
Une fois dit qu'Antonio Pappano et ses forces romaines lui assurent le plus somptueux tapis musical, que les partenaires (Kristine Opolais, Massimo Simeoli et Antonio Pirozzi) jouent le jeu à fond dans leurs rapides répliques, que notre ténor vénéré se montre sous son meilleur jour, nous tenons là un disque sympathique, vivifiant qui devrait réjouir les plus atrabilaires.
Car le beau Jonas joue de son sex-appeal vocal comme pas deux, flirtant çà et là avec le lyrico spinto, sans honte et sans orgueil tant la voix est vibrante, chaleureuse, le tempérament fougueux.
D'une santé vocale à toute épreuve, vérisme ou pas à la clef, le ténor affiche donc une émission claire, sensible, haut placée, d'une souplesse, d'une légèreté parfois qui confèrent, par exemple, aux deux airs de Turandot ou Fanciulla un intérêt qui n'est pas seulement documentaire.
Jonas sait faire frémir, faire vivre un mot, le dire avec élégance ou panache. Le tout sans grossissement du son, avec une ligne de chant continue s'appuyant sur le timbre, se fondant sur une montée progressive et extérieure des sons pour s'épanouir en gerbe sur l'aigu avec des notes colorées et éblouissantes.
Ce disque est une leçon pour maints ténors qui abordent des rôles à priori trop lourds, avec hélas souvent une technique moins équilibrée et maîtrisée, et donc avec un avenir moins assuré.
1 Cd Sony Classical avec bonus DVD
Mais, procédons par ordre.
Il est très difficile de succéder, pour "Aida", aux Solti, Muti ou Mehta, Karajan étant, par deux fois, un peu à part.
L'équipe voulue par Antonio Pappano ouvre des temps nouveaux car réunissant tout simplement ce qu'il se fait de mieux aujourd'hui pour l'opéra pharaonique de Verdi, tour de force, sans un seul chanteur italien dans les cinq rôles principaux.
Marco Spotti en Roi, Paolo Fanale en Messager et Eleonora Buratto en Prêtresse, faisant plus dans leurs percutantes apparitions épisodiques qu'une intelligente figuration dans le genre: "j'ai vu de la lumière, je suis monté"...
Choisie pour le rôle titre, Anja Harteros déploie une sensualité, rarement atteinte au disque. Amoureuse de son militaire égyptien, elle l'est et tiens à le montrer, mordante, charnelle, suave, toute de velours, très soignée dans le style, le détail, à l'ut solide, d'un abandon érotisé à l'extrême à l'acte du Nil avec des pianissimi chavirant, son timbre onctueux trouve des accents de tigresse quand il le faut dans ses affrontements avec sa rivale.
Toutes griffes dehors, d'une violence presque racinienne (Hermione!), l'Amnéris d'Ekaterina Semenchuk déploie le plus beau velours de mezzo entendu depuis longtemps. Elle aussi se montre séduisante (cette fille du pharaon sait que la partie de catch avec son esclave éthiopienne sera difficile, pour ne pas dire perdue d'avance...), impérieuse, sans poitrinage abusif, le si bémol dans la scène du jugement sera tout simplement vertigineux, comme sorti de l'âme et du cœur.
Erwin Schrott ne fait qu'une bouchée du Grand-Prêtre Ramfis. Inquiétant, insinueux (il y a quelque chose d'inquisiteur dans ses répliques), un rien monolithique certes, mais le rôle s'y prête tellement.
Cocorico! Ludovic Tézier entre au Walhalla italien avec un Amonasro cinglant, âpre, aux mots pensés, vindicatif. Mettez dans un ordinateur les voix de ses aînés, Blanc, Bianco, Guelfi, Gobbi, Sereni e tutti quanti... et vous obtenez à la fois violence et raffinement, des nuances là-aussi comme peu de sauvages vaincus savent le montrer.
Le Radamès de Jonas Kaufmann, au sourire carnassier digne du requin des "Dents de la mer", biceps proéminent, vaillance en poupe, achève de nous séduire. Son métier il le connaît.
Les moyens il les a, il tient à le montrer.
Musicalité et nuances là-aussi sont très observées, la couleur du timbre unique, les élans de sincérité héroïques fort bien venus. L'émission haute, incisive, les prouesses de souffle laissent pantois, le si bémol final solaire comme pas deux vous cloue sur place.
Une grande composition, un somptueux legs pour l'éternité.
Plantant le décor, vraie prière de soldat amoureux, "Celeste Aida" devrait être enseignée dans les écoles, les conservatoires, partout. Pour son élégance, sa générosité teintée de douceur, le respect du texte, des notes, tout simplement.
Dans la chaude acoustique de l'Auditorium Parco della Musica à Rome, Antonio Pappano s'écoute parfois mais écoute encore plus ses chanteurs, musiciens et choristes, soucieux de soutenir la réussite de chacun.
Jamais drame verdien n'aura été ainsi sublimé. D'une rigueur rythmique implacable, ne faisant aucune concession à la tradition, d'une vigueur démonstrative réjouissante (scène du triomphe aux trompettes en coulisses), d'une intensité, d'un hiératisme un peu excessif, les effets du Maestro sont toujours justifiés.
3 Cds Warner Classics 2564610663
Ah, la longue histoire d'amour entre Jonas Kaufmann et Giacomo Puccini. Ce disque récital, véritable carte de visite musicale risque bien d'être un incontournable en cette rentrée 2015.
Onze ouvrages, de Manon Lescaut à Bohème, en passant par les inévitables tubes associés à Butterfly, Tosca, Le Villi, Edgar, Rondine, Tabarro et Schicchi.
Une fois dit qu'Antonio Pappano et ses forces romaines lui assurent le plus somptueux tapis musical, que les partenaires (Kristine Opolais, Massimo Simeoli et Antonio Pirozzi) jouent le jeu à fond dans leurs rapides répliques, que notre ténor vénéré se montre sous son meilleur jour, nous tenons là un disque sympathique, vivifiant qui devrait réjouir les plus atrabilaires.
Car le beau Jonas joue de son sex-appeal vocal comme pas deux, flirtant çà et là avec le lyrico spinto, sans honte et sans orgueil tant la voix est vibrante, chaleureuse, le tempérament fougueux.
D'une santé vocale à toute épreuve, vérisme ou pas à la clef, le ténor affiche donc une émission claire, sensible, haut placée, d'une souplesse, d'une légèreté parfois qui confèrent, par exemple, aux deux airs de Turandot ou Fanciulla un intérêt qui n'est pas seulement documentaire.
Jonas sait faire frémir, faire vivre un mot, le dire avec élégance ou panache. Le tout sans grossissement du son, avec une ligne de chant continue s'appuyant sur le timbre, se fondant sur une montée progressive et extérieure des sons pour s'épanouir en gerbe sur l'aigu avec des notes colorées et éblouissantes.
Ce disque est une leçon pour maints ténors qui abordent des rôles à priori trop lourds, avec hélas souvent une technique moins équilibrée et maîtrisée, et donc avec un avenir moins assuré.
1 Cd Sony Classical avec bonus DVD