Dessin de Mohanna, fille de Hamed Ahmadi. Photo © DR
Hamed Ahmadi, Jahangir Dehghani, Jamshid Dehghani, Kamal Molaee, Hadi Hosseini et Sediq Mohammadi avaient été condamnés à mort en 2012 après avoir été reconnus coupables d'"inimitié à l'égard de dieu" (moharebeh), une infraction définie en termes vagues.
La Cour suprême d'Iran a confirmé leur peine en 2013, bien que ces hommes aient nié s'être livrés à des activités armées ou violentes, en affirmant avoir été pris pour cible uniquement parce qu'ils pratiquaient ou défendaient leur religion. Les autorités ont refusé de réexaminer leurs dossiers malgré des évolutions du Code pénal qui auraient dû leur permettre de le faire.
Leurs proches épuisés, qui étaient restés devant la porte de la prison toute la nuit à supplier les autorités de ne pas procéder à leur exécution, n'ont rien pu faire d'autre que pleurer - les gardiens de la prison n'ayant de cesse de les railler et de les insulter.
À présent, il ne reste plus qu'une lettre de Hamed Ahmadi, dans laquelle il dresse un sinistre portrait de ses cinq dernières années dans le couloir de la mort, sous la menace permanente de l'exécution, avant que la vie ne lui soit ôtée.
i["Par une froide matinée d'automne, en novembre 2012, ils m'ont réveillé et m'ont annoncé que j'allais être transféré à la prison de Sanandaj [province du Kurdistan]. Il était habituel de transférer les condamnés à mort seulement pour l'application de leur peine. J'ai senti l'ombre de l'exécution au-dessus de ma tête. Tout le quartier a été rassemblé. Il y avait alors 10 prisonniers dans le couloir de la mort. Certains pleuraient, d'autres étaient perdus dans leurs pensées. Nous nous disions qu'ils ne faisaient peut-être que nous transférer, mais les regards humiliants des gardiens disaient autre chose. Ils nous ont bandé les yeux et menottés, tous les 10, et nous ont poussés à bord d'un bus en nous insultant.
J'ai essayé de penser à mes bons souvenirs pour me remonter le moral, mais il est difficile de penser au bonheur quand vous êtes à deux pas de mourir. À notre arrivée, ils nous ont fait sortir du bus et ont jeté nos affaires par terre. Il pleuvait et le sol était couvert de boue. Ils ont remplacé nos menottes en métal par des menottes en plastique, mais les ont serrées si fort que certains de mes camarades se sont mis à saigner. Ils ont enlevé nos bandeaux sur les yeux et nous ont conduits dans une pièce aux murs couverts de notes écrites à la main par des personnes condamnées à mort qui y avaient été amenées avant leur exécution. Nous nous sommes lavés pour les prières et avons commencé à prier pour trouver la paix et le réconfort.
Je me suis demandé si je reverrais ma fille un jour. Elle était née quand je ne pouvais pas être à ses côtés. J'ai demandé à Dieu de donner de la patience à mes proches et souhaité qu'on me laisse au moins leur dire au revoir.
La porte s'est ouverte. Nos cœurs ont commencé à battre la chamade. Le cauchemar de la mort devenait réalité. Ils nous ont séparés. Notre moral baissait et notre peur montait. Le temps passait plus lentement que toute notre vie. La veille au soir, la télévision avait diffusé un documentaire sur nous. Tout le monde était d'avis que c'était un signe que notre peine allait bientôt être appliquée.
Mais 45 jours se sont écoulés. Chaque jour, nous pensions que nous allions être exécutés le lendemain mais personne ne venait nous chercher. Nous nous sommes approchés de la mort 45 fois. Nous avons dit adieu à la vie 45 fois.
Juste au moment où nous commencions à reprendre espoir de ne pas être exécutés, où nous avons pu recommencer à penser à la vie, nos noms ont été annoncés parmi la liste des détenus transférés à la prison de Rajai Shahr. À nouveau, le cauchemar de la mort. À nouveau, la répétition de l'image d'un homme pendu au bout d'une corde dans notre tête. Une fois sur place, ils nous ont donné des tenues bleu clair destinées aux personnes qui vont être exécutées. L'image de la scène d'exécution ne me quittait pas une seconde. Trois jours se sont écoulés.
Le désarroi m'a envahi. Mon cerveau ne fonctionnait plus.
Je tambourinais à la porte sans m'arrêter et criais pour que quelqu'un vienne répondre à mes questions: pourquoi sommes-nous ici? Ma famille est inquiète. Permettez-moi au moins de passer un appel téléphonique. Finalement, j'ai pu téléphoner. Ma sœur s'est mise à pleurer dès qu'elle a entendu ma voix: "Tu es vivant? Le député de Sanandaj, Salar Mohammadi, a appelé et dit que vous aviez été exécutés tous les 10." Ils avaient organisé une cérémonie funèbre pour nous.
J'ai ensuite appelé mon frère. Il était devant la prison. Je lui ai demandé s'il avait eu des nouvelles des six personnes qui n'étaient pas avec nous. Il a pleuré et répondu: "Ils les ont pendus aujourd'hui et n'ont pas rendu les corps." J'ai perdu le contrôle de moi et me suis mis à pleurer et hurler. Les hommes avec qui j'avais partagé une cellule pendant trois ans et demi n'étaient plus de ce monde. Je n'arrivais pas à y croire. J'étais dévasté. Aucun d'eux n'avait pu dire adieu à sa famille.
L'exécution me suivait et suivait mes proches à chaque seconde. Mes proches étaient exécutés avec moi encore et encore. S'ils n'avaient pas eu de nouvelles de moi pendant une journée, ils venaient immédiatement à la prison en pensant que c'en était fini pour nous... Nous nous sommes retrouvés dans cette situation où, toutes les minutes, nous avions l'impression d'avoir une corde placée autour du cou."]i
Voilà les derniers mots que les proches de Hamed ont de lui. Cela est choquant, mais loin d'être rare. L'Iran exécute plus de personnes que tout autre pays au monde à l'exception de la Chine. Rien qu'en 2013, les autorités iraniennes ont reconnu 369 exécutions, mais en réalité, plus de 700 prisonniers auraient été exécutés, dont beaucoup secrètement ou sans que leur exécution soit annoncée. Les minorités ethniques et religieuses sont touchées de manière disproportionnée par ces exécutions qui font souvent suite à des procès iniques où les "aveux" arrachés au moyen de la torture et d'autres mauvais traitements sont admis à titre de preuve.
Dans moins d'un mois, l'Iran présentera devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sa position quant aux recommandations qu'il a reçues lors de l'Examen périodique universel (EPU) du pays pour améliorer sa désastreuse situation en matière de droits humains. On ne peut que se demander comment les autorités iraniennes espèrent être prises au sérieux au vu du contraste existant entre leur discours à l'ONU et les violations des droits humains qu'elles approuvent régulièrement chez elles.
La Cour suprême d'Iran a confirmé leur peine en 2013, bien que ces hommes aient nié s'être livrés à des activités armées ou violentes, en affirmant avoir été pris pour cible uniquement parce qu'ils pratiquaient ou défendaient leur religion. Les autorités ont refusé de réexaminer leurs dossiers malgré des évolutions du Code pénal qui auraient dû leur permettre de le faire.
Leurs proches épuisés, qui étaient restés devant la porte de la prison toute la nuit à supplier les autorités de ne pas procéder à leur exécution, n'ont rien pu faire d'autre que pleurer - les gardiens de la prison n'ayant de cesse de les railler et de les insulter.
À présent, il ne reste plus qu'une lettre de Hamed Ahmadi, dans laquelle il dresse un sinistre portrait de ses cinq dernières années dans le couloir de la mort, sous la menace permanente de l'exécution, avant que la vie ne lui soit ôtée.
i["Par une froide matinée d'automne, en novembre 2012, ils m'ont réveillé et m'ont annoncé que j'allais être transféré à la prison de Sanandaj [province du Kurdistan]. Il était habituel de transférer les condamnés à mort seulement pour l'application de leur peine. J'ai senti l'ombre de l'exécution au-dessus de ma tête. Tout le quartier a été rassemblé. Il y avait alors 10 prisonniers dans le couloir de la mort. Certains pleuraient, d'autres étaient perdus dans leurs pensées. Nous nous disions qu'ils ne faisaient peut-être que nous transférer, mais les regards humiliants des gardiens disaient autre chose. Ils nous ont bandé les yeux et menottés, tous les 10, et nous ont poussés à bord d'un bus en nous insultant.
J'ai essayé de penser à mes bons souvenirs pour me remonter le moral, mais il est difficile de penser au bonheur quand vous êtes à deux pas de mourir. À notre arrivée, ils nous ont fait sortir du bus et ont jeté nos affaires par terre. Il pleuvait et le sol était couvert de boue. Ils ont remplacé nos menottes en métal par des menottes en plastique, mais les ont serrées si fort que certains de mes camarades se sont mis à saigner. Ils ont enlevé nos bandeaux sur les yeux et nous ont conduits dans une pièce aux murs couverts de notes écrites à la main par des personnes condamnées à mort qui y avaient été amenées avant leur exécution. Nous nous sommes lavés pour les prières et avons commencé à prier pour trouver la paix et le réconfort.
Je me suis demandé si je reverrais ma fille un jour. Elle était née quand je ne pouvais pas être à ses côtés. J'ai demandé à Dieu de donner de la patience à mes proches et souhaité qu'on me laisse au moins leur dire au revoir.
La porte s'est ouverte. Nos cœurs ont commencé à battre la chamade. Le cauchemar de la mort devenait réalité. Ils nous ont séparés. Notre moral baissait et notre peur montait. Le temps passait plus lentement que toute notre vie. La veille au soir, la télévision avait diffusé un documentaire sur nous. Tout le monde était d'avis que c'était un signe que notre peine allait bientôt être appliquée.
Mais 45 jours se sont écoulés. Chaque jour, nous pensions que nous allions être exécutés le lendemain mais personne ne venait nous chercher. Nous nous sommes approchés de la mort 45 fois. Nous avons dit adieu à la vie 45 fois.
Juste au moment où nous commencions à reprendre espoir de ne pas être exécutés, où nous avons pu recommencer à penser à la vie, nos noms ont été annoncés parmi la liste des détenus transférés à la prison de Rajai Shahr. À nouveau, le cauchemar de la mort. À nouveau, la répétition de l'image d'un homme pendu au bout d'une corde dans notre tête. Une fois sur place, ils nous ont donné des tenues bleu clair destinées aux personnes qui vont être exécutées. L'image de la scène d'exécution ne me quittait pas une seconde. Trois jours se sont écoulés.
Le désarroi m'a envahi. Mon cerveau ne fonctionnait plus.
Je tambourinais à la porte sans m'arrêter et criais pour que quelqu'un vienne répondre à mes questions: pourquoi sommes-nous ici? Ma famille est inquiète. Permettez-moi au moins de passer un appel téléphonique. Finalement, j'ai pu téléphoner. Ma sœur s'est mise à pleurer dès qu'elle a entendu ma voix: "Tu es vivant? Le député de Sanandaj, Salar Mohammadi, a appelé et dit que vous aviez été exécutés tous les 10." Ils avaient organisé une cérémonie funèbre pour nous.
J'ai ensuite appelé mon frère. Il était devant la prison. Je lui ai demandé s'il avait eu des nouvelles des six personnes qui n'étaient pas avec nous. Il a pleuré et répondu: "Ils les ont pendus aujourd'hui et n'ont pas rendu les corps." J'ai perdu le contrôle de moi et me suis mis à pleurer et hurler. Les hommes avec qui j'avais partagé une cellule pendant trois ans et demi n'étaient plus de ce monde. Je n'arrivais pas à y croire. J'étais dévasté. Aucun d'eux n'avait pu dire adieu à sa famille.
L'exécution me suivait et suivait mes proches à chaque seconde. Mes proches étaient exécutés avec moi encore et encore. S'ils n'avaient pas eu de nouvelles de moi pendant une journée, ils venaient immédiatement à la prison en pensant que c'en était fini pour nous... Nous nous sommes retrouvés dans cette situation où, toutes les minutes, nous avions l'impression d'avoir une corde placée autour du cou."]i
Voilà les derniers mots que les proches de Hamed ont de lui. Cela est choquant, mais loin d'être rare. L'Iran exécute plus de personnes que tout autre pays au monde à l'exception de la Chine. Rien qu'en 2013, les autorités iraniennes ont reconnu 369 exécutions, mais en réalité, plus de 700 prisonniers auraient été exécutés, dont beaucoup secrètement ou sans que leur exécution soit annoncée. Les minorités ethniques et religieuses sont touchées de manière disproportionnée par ces exécutions qui font souvent suite à des procès iniques où les "aveux" arrachés au moyen de la torture et d'autres mauvais traitements sont admis à titre de preuve.
Dans moins d'un mois, l'Iran présentera devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sa position quant aux recommandations qu'il a reçues lors de l'Examen périodique universel (EPU) du pays pour améliorer sa désastreuse situation en matière de droits humains. On ne peut que se demander comment les autorités iraniennes espèrent être prises au sérieux au vu du contraste existant entre leur discours à l'ONU et les violations des droits humains qu'elles approuvent régulièrement chez elles.