Les paquets de cigarettes neutres en 2016

En 2016, les fumeurs n'auront qu'à bien se tenir: aux mesures européennes prévoyant l'élimination des arômes ajoutés dans le tabac, et la vente des cigarettes électroniques dosées à plus de 20 mg de nicotine exclusivement en pharmacies, la ministre de la Santé veut ajouter la mise en vigueur des paquets neutres. Des messages et photos couvrant au moins 65% des deux côtés du paquet prenant la place des visuels marketing, une couleur uniforme, une indication très discrète de la marque, voilà à quoi ressembleront les paquets de cigarettes d'ici peu.

Avec l'Irlande et l'Angleterre, la France fait partie des premiers pays européens à mettre en place une telle législation destinée à prévenir les risques du tabagisme. L'Australie, pionnière en la matière, a instauré cette mesure en 2012, et les premiers effets du paquet neutre enregistrés sont "visibles sur la population jeune dans laquelle on a pu observer une réduction de la consommation" commente le docteur Mété, addictologue au CHU de Saint Denis (Ile de la Réunion). Une étude du Medical Journal of Australia révèle une diminution de 2,3% chez les fumeurs âgés entre 14 et 18 ans et une augmentation de 78% des intentions d'arrêter le tabac chez les fumeurs interrogés. Des résultats nuancés cependant par une possible attribution de ces effets aux prix du paquet de cigarettes en vigueur dans le pays, de l'ordre de 14 euros. Cette loi s'est confrontée localement à des résistances: nombre de procès ont été intentés par les cigarettiers, systématiquement déboutés par la cour de justice australienne, faisant valoir l'argument du caractère non ordinaire de ce produit. Des procès auxquels n'échappera pas la France, l'industrie du tabac opposant déjà à cette loi leurs craintes d'une recrudescence de la contrebande et des chiffres de ventes constants, notamment sur le territoire australien. "C'est une guerre!" commente le docteur Mété.

Une lutte sans merci qui a lieu "à tous les niveaux", précise le docteur, "et s'inscrit dans un panel de mesures devant agir globalement. Les cigarettiers vont s'accrocher sur le sujet du paquet de cigarettes: c'est leur dernier support de publicité. Il n'y a qu'à voir les paquets ultra design qui sortent depuis quelques temps! Cela brille, c'est électro, très séduisant pour les jeunes". William Lederer, addictologue (GHER, Ile de la Réunion) ajoute: "Le logo est évocateur de sensations, crée des émotions. C'est un élément fortement identitaire, les goûts son très repérables à travers lui. Le cadre esthétique est comme une sorte de valorisation d'un sens, surtout chez les jeunes". A cette mesure visant principalement la population jeune et exprimant une volonté de reculer un maximum l'âge de la première cigarette, Éric Tsang, président du syndicat de la Réunion des Tabacs-Presse réagit: "Plus on interdit aux jeunes, plus on les incite. Le but n'est pas d'intoxiquer notre jeunesse, mais on peut avoir des vraies mesures de prévention, en les axant sur une politique d'accompagnement éducatif. Ce n'est pas en tapant sur les éléments marketing que la consommation baissera". Précisant qu'il parle en son nom propre, il ajoute: "On touche à la propriété intellectuelle des marques. Bientôt on va leur imposer de ne plus s'appeler tout court. C'est un peu extrémiste comme positionnement! D'autant plus que le marché des cigarettes s'articule davantage autour du prix que par rapport à la marque". Arguments auxquels William Lederer semble être coutumier: "Évidemment, la "générication" des cigarettes est la crainte des lobby du tabac". Et de rajouter: "ce qui est générique est une excellente chose".

Une générication qui vient ébranler une logique marketing ingénieuse: "On a toujours vendu le tabac en travestissant la réalité. Il a été associé à la virilité, alors qu'il est l'un des premiers facteurs d'impuissance des hommes de plus de 50 ans. On l'a associé à la féminité alors qu'il est masculinisant et facteur de vieillissement cutané. Au sport, à la voiture, à la liberté. Toutes ces valeurs qui en sont l'opposé!" s'insurge le docteur Mété.
"Le tabac est un produit hautement dangereux et est la première cause de mortalité évitable dans le monde" insiste l'addictologue. "Si les effets de l'alcool sont visibles par les drames qu'il engendre régulièrement, le tabac tue en silence et deux fois plus". D'après l'enquête Escapad pour l'ARS le taux standardisé de décès lié au tabac est à la Réunion, supérieur à celui de la métropole (580 décès en 2014) .

Intégré à la politique annuelle de hausse des prix des cigarettes comme le prévoit le deuxième plan cancer, le paquet neutre s'ajoute donc à l'arsenal déployé pour lutter contre le tabac et ses lobby. En attendant ses effets sur la santé, petit problème pour portes-monnaie enfumés: si l'on considère le produit des seules taxes rapporté au département de la Réunion, soit 175.000.000 euros sur l'année 2014, qu'ont payé à plusieurs millions près, les Réunionnais aux cigarettiers?