Le journalisme au banc des accusés


Par Rédigé le 09/11/2015 (dernière modification le 07/11/2015)

Trois journalistes de Mediapart et deux du Point ont comparu cette semaine au tribunal correctionnel de Bordeaux pour "recel d’atteinte à l’intimité de la vie privée". En cause: les retranscriptions partielles des enregistrements clandestins effectués au domicile de Liliane Bettencourt entre 2009 et 2010. Les mêmes enregistrements qui ont permis de condamner certains proches de la milliardaire.


Mediapart ou les mutations du succès

Edwy Plenel. Photo (c) Xavier Malafosse

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Edwy Plenel, directeur de la publication chez Mediapart, est une figure de proue du journalisme d’investigation. Déjà en 1982, alors qu’il travaillait au Monde, il s’était fait remarquer par la qualité de ses enquêtes. C’est d’ailleurs ce qui lui valut son ascension jusqu’à la direction du célèbre quotidien. Et c’est bien pour poursuivre sur ce terrain qu’il démissionne en 2005, pour fonder 3 ans plus tard le site Mediapart: du journalisme indépendant, sans subventions et donc sans pressions.

Le site se fait connaître avec la révélation de ce qui deviendra la saga Bettencourt. C’est avec Mediapart et, dans une moindre mesure, Le Point, que tout a commencé, provoquant les répercussions que l’on connait jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Depuis ces révélations en juin 2010, Mediapart a continué sur sa lancée. Son attachement au journalisme d’investigation a permis de dévoiler les affaires Cahuzac et Aquilino Morelle, entre autres. Edwy Plenel, l’ancien trotskyste, pense peut-être aujourd’hui à la maxime biblique "tu seras puni par où tu as péché"?


Le procès d’un certain journalisme

Mercredi 4 novembre 2015, la Procureure de Bordeaux a réclamé, au terme de deux heures de réquisitoire, des "peines de principe" contre les prévenus. Pour Edwy Plenel, il s’agit d’un "délit fictif". "Nous sommes jugés pour avoir diffusé des informations qui ont été jugées factuellement crédibles, vérifiées comme des preuves par la justice pour entrer en voie de condamnation. Donc la presse ne pourrait pas rendre public ce que la justice elle-même utilise?" demande-t-il au micro de l’AFP. Son acolyte Fabrice Arfi, également au banc des accusés, renchérit sur le site Mediapart: "Ce ne sont pas des journalistes qui vont être jugés cette semaine à Bordeaux (…) mais le journalisme lui-même. Son principe démocratique. Son essence citoyenne. Ce qui le justifie socialement".

La loi de 1881 sur la liberté de la presse stipule que "Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité". Edwy Plenel l’a rappelé lors du procès. De plus, l’amendement du 9 décembre 2013, concernant la protection du secret des sources des journalistes, précise que i["pour bénéficier de l’immunité, la condition [est] que la diffusion de cette information constitue un but légitime dans une société démocratique".]i

Or, révéler des trafics d’influence et des financements occultes, touchant les plus hautes sphères du pouvoir, constitue-t-il un but légitime dans une société démocratique? C’est la question à laquelle les juges doivent répondre. Les avocats de la défense plaident la relaxe sans conditions. Délibéré le 12 janvier 2016.






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