Le duo terrible Verdi et Hugo


Par Rédigé le 13/06/2018 (dernière modification le 12/06/2018)

Vraie bataille et vrai triomphe pour "Ernani", honneur au travail du directeur de l'Opéra de Marseille.


Photo courtoisie (c) Opéra de Marseille

Ernani Marseille.mp3  (93.47 Ko)

Importé de Monte-Carlo où il fut présenté voici quatre ans, l'"Ernani" voulu par Jean-Louis Grinda (nommé voici peu directeur des Chorégies d'Orange) n'a rien perdu de son charme ni de son éclat.
Et ce, malgré une grève d'une partie du personnel technique, nous privant pour les deux premiers actes du vrai travail désiré par le metteur en scène.
Plaisir donc de retrouver un luxueux film de cape et d'épées en cinémascope couleur Dolby stéréo, plein de bruits et de fureurs (pour reprendre une expression célèbre), ce souffle "risorgimental" indéniable, cette fulgurance hugolienne réjouissante pleine de feu, d'action, de brièveté. Exactement ce que voulaient compositeur, librettiste et dramaturge.
Jean-Louis Grinda a eu bien raison aussi de proposer pour ce "Tres para una" des êtres de chair et de sang, modernes, emportés, de baigner sa production dans un classicisme de bon aloi qui nous fait voyager dans un grimoire coloré des plus belles teintes alla Velasquez. Décors (Isabelle Partiot) et costumes (Teresa Acone) inspirés comme toujours.
Point de poses figées à l'avant-scène, ça bouge, ça se bat, ça complote, on s'aime, on meurt, le tout dans une simplification à l'extrême des lignes de force, sans négliger ce qui fait l'âme même du théâtre et de l'opéra: la vie, la chaleur, le mouvement. Le propos est toutefois davantage centré sur l’attachement des personnages à des principes comme la fidélité, le devoir et l’honneur que sur le romanesque. Comme pour mieux retrouver la stabilité même de l'opéra verdien: un lyrisme ardent encadré par des conflits exacerbés.
Il faut quand même une sacrée dose de courage pour s'attaquer à "Ernani". Voyez un peu: deux ans après "Nabucco" et trois avant "Macbeth", l'ouvrage, créé en 1844 à la Fenice était donc destiné à conquérir l'autre grande salle d’opéra italienne après l'incontournable Scala milanaise. Si le succès fut retentissant et garantit à son auteur une ouverture de premier plan sur les scènes lyriques européennes, le Père Hugo se trouva indigné du lissage politique effectué par Francesco Maria Piave, le librettiste-adaptateur, au point d'interdire que l'on mentionne son nom et d'exiger un changement de titre! Potins mondains de l'époque...
Bref, Verdi, c’est Verdi, et quoi qu’on en dise, on peut se laisser facilement tenter par une soirée d’un bon gros shoot au bel canto italien.
Conscients de l'enjeu en ce soir de première chahutée, relevant le défi avec aplomb et talent, solistes, chœur, chef, orchestre se sont défoncés comme pas deux. Jamais degré de passion d'opéra ne fut aussi superbement sublimé ! Bref, malgré les difficultés techniques exposées plus haut, une soirée électrique, inoubliable...
Pour Lawrence Foster d'abord. A la baguette pleine de ce frémissement romantique propre au Risorgimento et qui infuse à chaque mesure l'urgence et la vie du théâtre. Pour le chœur mitonné aux petits oignons par Emmanuel Trenque et qui chante cet Ernani comme un vaste récit nocturne teinté de couleurs sombres. Pour l'orchestre enfin, fulgurant, poétique, à l'image du spectacle.
On ne pouvait rêver mieux que le quatuor invité. D'accord avec vous, Hui He sans avoir toutes les facettes vocales du rôle s'expose avec quelques comas au sfogato d'Elvira. Laissons à la jolie soprano chinoise le temps d'approfondir personnage et partition dans de meilleurs conditions.
Plaisir de retrouver dès lors des habitués du Palais Garnier monégasque. Prise de rôle éclatante pour Francesco Meli. Mettez dans un shaker un tiers de Bergonzi, un tiers de Corelli, un tiers de Pavarotti, un tiers de Prevedi (à Marseille tout dépend de la grosseur des tiers!) et vous avez la voix idéale pour le rôle titre. Modèle absolu du chant verdien, mâle, volontaire, le ténor génois se surpasse en style, en élégance comme pour mieux ménager son généreux aigu.
Ludovic Tézier (Don Carlo) et Alexander Vinogradov (Silva) donnent encore une fois le frisson. Tous deux impériaux, très émouvants, d'une beauté vocale rare, imposante, parfaits, simplement parfaits.
Disons le haut et fort: encore une fois, le sympathique et courageux Maurice Xiberras peut être fier de son travail.







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