Le duel de Jean-Marie Le Pen


Par Rédigé le 24/04/2015 (dernière modification le 25/04/2015)

Il n'a pas toujours été le vieux monsieur indigne dont les médias décrivent les incartades à longueur de journée et de colonne. Le 30 mars 1958, par exemple, il était alors âgé d'à peine 30 ans, il participe à un événement assez surprenant.


Jean-Marie Le Pen en 1958.

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A ce moment, il passait pour être le plus jeune député de l'Assemblée nationale où il était l'élu depuis les législatives du 2 janvier 1956, d'Union et fraternité française, dans la 1e circonscription de la Seine. Et il avait auparavant servi en Indochine et en Algérie. Ce 30 mars 1958 donc, il fut le témoin d'un duel d'honneur à l'épée, entre deux personnalités du monde de la danse, le marquis de Cuevas et Serge Lifar.


La danse faite homme

Illustration.
Jorge Cuevas Bartholin, était né le 26 mai 1885 à Santiago du Chili. Son père avait été ambassadeur de ce pays à Paris sous Napoléon III. En 1913, Jorge Cuevas fut nommé secrétaire de la légation du Chili à Londres par le président de la République, Don Ramón Barros Luco, qui était aussi son cousin par alliance. Il fréquentait de nombreux aristocrates dans la boutique de mode Irfé, rue Duphot à Paris, créée par le couple Yousoupov, lui Félix avait assassiné Raspoutine. Il y rencontra sa future épouse, petite fille de John D. Rockefeller. Grâce à l'intervention du roi d'Espagne Alphonse XIII, il eut l'autorisation de porter le titre de marquis de Piedra Blanca de Huana, mais il préféra s'appeler "marquis de Cuevas". Son mariage avec Margaret Rockefeller Strong, le 3 août 1927, lui permit de se consacrer aux arts et au mécénat. Le couple eut deux enfants, une fille qui deviendra le sculpteur Elizabeth Strong-Cuevas et un garçon. En juillet 1940, il est citoyen américain, renonce à son marquisat et devient légalement de Cuevas. En 1944, il fonde à New York le Ballet international. ­Il s'établit en France, et en 1947, reprend le Nouveau ballet de Monte-Carlo, qui après sa fusion avec le Ballet international devient le Grand ballet de Monte-Carlo. En 1951, ce dernier prend le nom de Grand ballet du marquis de Cuevas qui jusqu'en 1958 effectua des tournées fort appréciées. De 1958 à 1962, la compagnie s'appelle International ballet of the marquis de Cuevas. Entretemps le marquis de Cuevas meurt le 22 février 1961, dans sa villa de Cannes "Les délices", et il est inhumé au cimetière du Grand-Jas de la ville. Sous la direction de son neveu Raimundo de Larrain, la compagnie survécut quelque temps puis fut dissoute en 1962.

Serge Lifar était né à Kiev le 2 avril 1905 et avait été l'élève de Bronislava Nijinska. En 1925, il entre aux Ballets russes de Serge de Diaghilev et y connaît le succès, il parfait sa technique chez le célèbre Enrico Cecchetti à Turin. Il assistera aux derniers instants du grand impresario au Grand Hôtel des Bains de Venise le 19 août 1929. En 1930, on le retrouve à l'Opéra de Paris où il est danseur, danseur étoile, puis maître de ballet, Picasso et Cocteau notamment seront ses décorateurs. Il continuera ses activités durant l'Occupation, ce qui lui vaudra quelques ennuis à la Libération. Il passe alors deux ans à l'Opéra de Monte-Carlo, revient à Paris et quitte définitivement la scène en 1956 pour se consacrer à l'enseignement de la danse tout en continuant à créer des ballets jusqu'en 1969. Il a fondé l'Institut chorégraphique de l'Opéra de Paris, l'Université de la danse, puis il a dirigé l’École supérieure d'études chorégraphiques. A son actif figurent plus de 80 ballets qu'il a créés et quelque 25 ouvrages qu'il a écrits sur la danse. Il meurt le 15 décembre 1986 à Lausanne où il s'était retiré.

Un des derniers duels

En 1943, Serge Lifar avait créé "Suite en blanc" à l'Opéra de Paris, il remonte le ballet sous le titre "Noir et Blanc" pour le Nouveau ballet de Monte-Carlo lors du séjour qu'il effectue en Principauté en 1946-7. Le 21 mars 1957, le Grand ballet du marquis de Cuevas reprend "Noir et Blanc" au Théâtre des Champs-Élysées. Serge Lifar en interdit les représentations et menace le marquis d'un procès. Celui-ci n'en tient pas compte, et le soir d'une représentation, à l'entracte, il gifle symboliquement Lifar présent dans la salle, ce dernier répliqua par une provocation en duel. Même si les médias n'étaient pas aussi puissants qu'aujourd'hui, ce duel du siècle ne leur échappa pas et photographes et reporters de tous ordres étaient accourus, ce matin du 30 mars 1958, au Moulin de Blaru, près de Vernon, à quelque 80 km à l'ouest de Paris. La presse, principalement l'européenne, mais aussi l'américaine, évoqua abondamment l'épisode.

Les témoins de Lifar sont deux danseurs de l'Opéra, Max Bozzoni et Lucien Duthoit. Ceux du marquis, Jean-Marie Le Pen et José Luis de Villalonga, acteur et écrivain, mais aussi grand d'Espagne. Celui-ci nous fournit de nombreux détails sur ce duel au long de quelques pages de son autobiographie, "Mi vida es una fiesta". On en suit par le menu le déroulement, les préparatifs sur le pré avec le médecin assisté de deux infirmières, le colonel à la retraite qui mesure la distance devant séparer les deux protagonistes, les craintes de ces derniers, les différents assauts, la blessure bénigne au bras de Lifar, les deux hommes qui tombent en pleurs dans les bras l'un de l'autre, leur retour en ambulance à l'appartement du marquis où on attendait avec angoisse… Sans compter quelques considérations sur Jean-Marie le Pen, physiques aussi bien que morales. Et l'affaire en resta là...

Un film rappelle ce duel ou du moins ses préparatifs. Intitulé "Le marquis de Cuevas et Serge Lifar s'entraînent pour leur duel" sa première diffusion eut lieu le 2 avril 1958. On y voit le marquis qui s'entraîne avec un maître d'armes dans le salon de son appartement du Quai Voltaire. De son côté, Serge Lifar s'entraîne avec le sien, le célèbre Pierre Lacaze, sur un toit de Paris d'où l'on a vue sur l'Opéra.





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