Vous écrire. Une lettre ou une carte postale ? Celle que vous pourriez m’adresser d’Afghanistan serait certainement plus pittoresque. Etrange de rédiger pour un anonyme. Et quoi vous dire pour éviter le double écueil des banalités et du lyrisme? Tout aussi déconcertant pour vous sera de me lire lorsque vous recevrez ce courrier. Et pourquoi le vous d’abord ? Passons au tutoiement pour abolir la distance. Pas seulement celle de la géographie qui nous sépare. Mais pour approcher au mieux les questions des uns, les inquiétudes des autres, celles des familles notamment, sur ta présence au-delà de nos frontières.
L’Afghanistan, c’est loin. Il ne faut pas en vouloir à tes compatriotes de parfois t’oublier. L’être humain, triste nature, se tient toujours à bonne distance des désagréments. L’inconnu, l’aléatoire, le lointain, l’homme le perçoit un peu comme la mort. A fortiori la guerre. Peux-tu t’imaginer que nombre de mes jeunes étudiants à l’Université, « la mort » comme ils disent, ils l’assimilent à la vie des adultes dans laquelle ils entrent à reculons. Alors la vraie, tu n’y penses même pas ! Toi qui sais ce dont je parle, je devine ton sourire attristé devant ce contraste inouï.
J’ai beau leur expliquer que le philosophe, le prêtre, le psychanalyste, le franc-maçon y pensent souvent. Le premier en débat doctement, le second n’y croit pas, le troisième y abandonne une part de son moi. Quant aux francs-maçons, ils en apprivoisent la perspective dans leurs cérémonies. Sauf que toi, ce n’est pas avec son idée évanescente que tu jongles. La mort, on t’en instruit et tu la défies. C’est du réel. Du pain quotidien, si j’ose dire. Oui désormais, si tu le veux bien, des soldats du rang jusqu’aux officiers, je les ajouterai à cette liste des métiers qui ont « à en connaître ». Les généraux attendront un peu: à de très rares exceptions près, la plupart d’entre eux meurent aujourd’hui dans leur lit.
Finalement, à bien y réfléchir, toi aussi, tu te bats contre et pour une idée. Contre : celle de l’ennemi désigné et pourtant invisible à force d’ignorer ce qui trotte dans la tête de celui que tu croises. C’est plus facile de la saisir lorsqu’il te tire dessus en embuscade. Pour : celle que tu défends au péril de ta vie et au nom du pays qui t’envoie. Celle-là nous est nettement plus familière. Quoique parfois diffuse ces derniers temps. Le fait que tu puisses mourir pour elle devrait nous aider à rafraîchir notre mémoire. Tiens bon ! Sinon, sans l’aide secourable de cette idée pour laquelle tu combats, nous aussi, nous pourrions bien finir comme « le chien » d’un certain poème contemporain :
C’est la fin, le néant, le sinistre abandon
Il n’a plus un ami, n’a plus même de nom
Car pour accentuer la poignante misère
Que veut complète hélas ! le démon de la guerre
Le plomb qui retient là l’homme au loin attendu
D’un pauvre chien trouvé, refait un chien perdu.
Lettre pour un soldat d’Afghanistan
Union des Troupes de Montagne
27ème Brigade d’Infanterie de Montagne
Maison de l’Armée - B.P. 1408
38023 GRENOBLE CEDEX 1
L’Afghanistan, c’est loin. Il ne faut pas en vouloir à tes compatriotes de parfois t’oublier. L’être humain, triste nature, se tient toujours à bonne distance des désagréments. L’inconnu, l’aléatoire, le lointain, l’homme le perçoit un peu comme la mort. A fortiori la guerre. Peux-tu t’imaginer que nombre de mes jeunes étudiants à l’Université, « la mort » comme ils disent, ils l’assimilent à la vie des adultes dans laquelle ils entrent à reculons. Alors la vraie, tu n’y penses même pas ! Toi qui sais ce dont je parle, je devine ton sourire attristé devant ce contraste inouï.
J’ai beau leur expliquer que le philosophe, le prêtre, le psychanalyste, le franc-maçon y pensent souvent. Le premier en débat doctement, le second n’y croit pas, le troisième y abandonne une part de son moi. Quant aux francs-maçons, ils en apprivoisent la perspective dans leurs cérémonies. Sauf que toi, ce n’est pas avec son idée évanescente que tu jongles. La mort, on t’en instruit et tu la défies. C’est du réel. Du pain quotidien, si j’ose dire. Oui désormais, si tu le veux bien, des soldats du rang jusqu’aux officiers, je les ajouterai à cette liste des métiers qui ont « à en connaître ». Les généraux attendront un peu: à de très rares exceptions près, la plupart d’entre eux meurent aujourd’hui dans leur lit.
Finalement, à bien y réfléchir, toi aussi, tu te bats contre et pour une idée. Contre : celle de l’ennemi désigné et pourtant invisible à force d’ignorer ce qui trotte dans la tête de celui que tu croises. C’est plus facile de la saisir lorsqu’il te tire dessus en embuscade. Pour : celle que tu défends au péril de ta vie et au nom du pays qui t’envoie. Celle-là nous est nettement plus familière. Quoique parfois diffuse ces derniers temps. Le fait que tu puisses mourir pour elle devrait nous aider à rafraîchir notre mémoire. Tiens bon ! Sinon, sans l’aide secourable de cette idée pour laquelle tu combats, nous aussi, nous pourrions bien finir comme « le chien » d’un certain poème contemporain :
C’est la fin, le néant, le sinistre abandon
Il n’a plus un ami, n’a plus même de nom
Car pour accentuer la poignante misère
Que veut complète hélas ! le démon de la guerre
Le plomb qui retient là l’homme au loin attendu
D’un pauvre chien trouvé, refait un chien perdu.
Lettre pour un soldat d’Afghanistan
Union des Troupes de Montagne
27ème Brigade d’Infanterie de Montagne
Maison de l’Armée - B.P. 1408
38023 GRENOBLE CEDEX 1