"Mon cher Schur, vous vous souvenez de notre première conversation. Vous m'avez promis alors de ne pas m'abandonner lorsque mon temps serait venu. Maintenant ce n'est plus qu'une torture et cela n'a plus de sens." Après un moment d’hésitation, Sigmund Freud ajouta: "parlez de cela à Anna". Et son médecin personnel d’écrire: "il n'y avait dans tout cela pas la moindre trace de sentimentalisme ou de pitié envers lui-même, rien qu'une pleine conscience de la réalité."
La fin de vie de Freud demeure paradigmatique d’une volonté, d’un "vouloir vivre" que n’aurait sans doute pas dédaigné le philosophe Arthur Schopenhauer mais qui n’obéit pas à l’intellect d’une meilleure connaissance, d’un apprivoisement de la mort: dans ses dernières heures, Freud doit encore faire appel à son médecin pour qu’il lui administre l’ultime dose sédative de morphine destinée à anéantir les quelques forces encore vives qui font obstacle à sa décision de mourir. Bel exemple de cet organisme en "conflit permanent avec les forces naturelles qu’il subordonne pour assurer son unité vitale": les agonisants, encore conscients, n’attendent-ils pas "impatiemment" la fin en répétant avec cette force sublime la terrible exclamation: "que c’est long!".
Profondément enfouie dans la pensée archaïque, refoulée par nos sociétés consuméristes contemporaines, la mort, pourtant irreprésentable dans l’inconscient, dessine un parallèle avec un autre cataclysme des cycles de la vie: la puberté. Comme à l’adolescence, l’entrée dans le dernier âge signe un remaniement psychique, une réadaptation rendue nécessaire par la rupture éprouvée entre les métamorphoses incontrôlables du corps et l’impréparation de la psyché: l’inconnaissance du néant suscite des élaborations mentales qui aident à supporter l’insupportable. Avec l’âge, le corps subit l’outrage des ans et se soumet aux forces de déliaison à même d’entraîner une rupture avec le Moi. Pas le Moi philosophique mais le "Moi corporel", instance psychique, explique Freud, qui est "projection de la surface du corps" et dérivé de multiples sensations corporelles: "perception visuelle", "perceptions tactiles" grâce à la surface cutanée explorée par le sujet à la fois de "l’intérieur et de l’extérieur" -on pense à la stéréophonie vibrante des sons maternels enregistrée par le fœtus- et, "last but not least", perceptions de la douleur.
La fin de vie de Freud demeure paradigmatique d’une volonté, d’un "vouloir vivre" que n’aurait sans doute pas dédaigné le philosophe Arthur Schopenhauer mais qui n’obéit pas à l’intellect d’une meilleure connaissance, d’un apprivoisement de la mort: dans ses dernières heures, Freud doit encore faire appel à son médecin pour qu’il lui administre l’ultime dose sédative de morphine destinée à anéantir les quelques forces encore vives qui font obstacle à sa décision de mourir. Bel exemple de cet organisme en "conflit permanent avec les forces naturelles qu’il subordonne pour assurer son unité vitale": les agonisants, encore conscients, n’attendent-ils pas "impatiemment" la fin en répétant avec cette force sublime la terrible exclamation: "que c’est long!".
Profondément enfouie dans la pensée archaïque, refoulée par nos sociétés consuméristes contemporaines, la mort, pourtant irreprésentable dans l’inconscient, dessine un parallèle avec un autre cataclysme des cycles de la vie: la puberté. Comme à l’adolescence, l’entrée dans le dernier âge signe un remaniement psychique, une réadaptation rendue nécessaire par la rupture éprouvée entre les métamorphoses incontrôlables du corps et l’impréparation de la psyché: l’inconnaissance du néant suscite des élaborations mentales qui aident à supporter l’insupportable. Avec l’âge, le corps subit l’outrage des ans et se soumet aux forces de déliaison à même d’entraîner une rupture avec le Moi. Pas le Moi philosophique mais le "Moi corporel", instance psychique, explique Freud, qui est "projection de la surface du corps" et dérivé de multiples sensations corporelles: "perception visuelle", "perceptions tactiles" grâce à la surface cutanée explorée par le sujet à la fois de "l’intérieur et de l’extérieur" -on pense à la stéréophonie vibrante des sons maternels enregistrée par le fœtus- et, "last but not least", perceptions de la douleur.
Organisation préventive des funérailles
Contrariant ce Moi "unité englobante, tendance unitaire", "relation à la vie", et "articulée à la conservation de l’individu", la pulsion sexuelle de mort conceptualisée en 1920 par Freud marque la tendance de tout être vivant à "passer de l’organique à l’inorganique", du "vital à l’inanimé". Comme l’irruption de la sexualité, l’approche de la mort fait effraction en s’étayant sur les fonctions vitales. "L’angoisse de la mort, analogon de l’angoisse de castration", écrivait Freud. Angoisse et non complexe: la sexualité, tout comme la mort, est un principe actif. La sexualité s’appuie, dérive et "mime" la faim. La vieillesse aussi: "Ce qui va à la bouche retourne à la bouche", plaisantait Lacan à propos d’un retour à la pulsion orale chez les séniors. Inacceptable, la mort l'est à la fois physiquement -la dégénérescence organique- et psychiquement: elle manifeste notre impuissance à récuser le "féminin", ce "roc" fondateur décrit par Freud en 1937.
A l’impérieux désir humain de pouvoir toujours se projeter dans le futur -déni de la finitude qu’illustrent les photos sur les tables de chevet des plus anciens d’une descendance proposant une image plus bienveillante du regard familial- répond aussi le recours croissant à l’organisation préventive des funérailles. "L’organisme ne veut pas seulement mourir mais mourir à sa manière", rappelle le Pr Laplanche. Maigre consolation narcissique pour le Moi. Après tant de combats mais aussi de renoncements, pourrait-on le blâmer, malgré les menus plaisirs qu'il offre, de viser l’ataraxie?
A l’impérieux désir humain de pouvoir toujours se projeter dans le futur -déni de la finitude qu’illustrent les photos sur les tables de chevet des plus anciens d’une descendance proposant une image plus bienveillante du regard familial- répond aussi le recours croissant à l’organisation préventive des funérailles. "L’organisme ne veut pas seulement mourir mais mourir à sa manière", rappelle le Pr Laplanche. Maigre consolation narcissique pour le Moi. Après tant de combats mais aussi de renoncements, pourrait-on le blâmer, malgré les menus plaisirs qu'il offre, de viser l’ataraxie?