La presse des misérables


Par Max Dominique Ayissi Rédigé le 04/05/2009 (dernière modification le 04/05/2009)

Les professionnels de la communication n’échappent à l’illégalité et à la précarité qui caractérisent la société camerounaise. La profession est même devenue un métier pour desperados. Entre vols, escroqueries et autres chantages, elle a pris des allures d’une ineptie collégiale, une vraie course à l’imbécilité.


Photo : africapresse.com
La scène est la même à chaque cérémonie. Il circule une liste où sont inscrits nom, organe et numéros de téléphone. Tant que ce répertoire de circonstance n’est pas ouvert, nos journalistes n’ont d’yeux que pour celui qui est chargé de la communication de l’évènement, le fameux « Celcom ». Ceux qui s’intéressent à la cérémonie, ne le font d’ailleurs qu’au gré de ce que l’organisateur est capable de débourser, en termes de jeton de présence. L'expression est lâché !
Une fois la manifestation terminée, le théâtre à la con commence. Ils font l’essaim derrière leur hôte, dont ils scrutent le moindre mouvement. L’organisateur n’en a que pour la presse publique (radio, télé et presse écrite) et quelques médias, triés sur le volet, pour lui permettre de justifier son budget et rassurer sa hiérarchie sur la visibilité de l’évènement. Il les « désintéresse » donc très respectueusement et discrètement, selon leur aura et ses affinités. Mais il ne s’agit que d’une infime partie, parfois le centième, de la foultitude d’individus qui attendent d’émarger, au prix de moult humiliations et dans une apathie qui laisse croire qu'ils ont fini par faire corps avec le ridicule.

Le comble

La suite se passe de tout commentaire. Ces laissés pour compte du « plus beau métier du monde » vont tourner autour des organisateurs, pérorant et s’assurant qu’il ne reste rien du traditionnel buffet de circonstance ; s’empiffrant et s’enivrant ; faisant des provisions, pour un avenir dont l’attitude dit incontestablement les incertitudes. Le jeu semble bien huilé et si les officiels ne font pas le « geste qui sauve », ils sont littéralement assaillis, parfois séquestrés. La patience, de ces collecteurs de pécule, est inaltérable. Jusqu’à ce que soit versé le jeton de leur présence, aucun argument n’est assez fort pour les rebuter.
Le « gombo », du nom d’un légume local gluant, prisé et facile d’ingestion, est devenu un véritable impôt, dont il faut s’acquitter, pour le bon traitement de son information. Et tout le monde fait un effort de s’en absoudre. Sauf que les responsables de la communication en sont devenus, pour beaucoup, de vrais princes des circonstances funestes. En plus d’en amplement garder pour leurs poches, ils ne lésinent pas sur les tracas pour réduire, à leur plus simple expression, des hommes et femmes qui ont déjà le profil bien bas.
C’est donc comme par magnanimité qu’Ils sont conviés à émarger, parfois pour 1000 Fcfa. 1.5 euros qui représentent leur seul revenu journalier, puisque ceux qui peuvent se targuer d’être publiés, ne reçoivent absolument aucune indemnité salariale. Quand il leur est demandé de présenter la dernière édition de leur journal, histoire d’authentifier de leur exercice effectif du métier, c’est tout naturellement que certains brandissent un journal qui date de Mathusalem, avec des supplications et quelques argumentaires dérisoires, pour plaider leur sénescence.

La ségrégation d’Etat

Cette opposition d’égard ne s’arrête pas aux seules couvertures médiatiques. Au cœur d’un scandale de détournement des fonds alloués à la presse, lors de la récente visite de sa Sainteté Benoît XVI au Cameroun, le ministre de la Communication a révélé, dans sa tentative d’explication, des chiffres pour le moins ahurissants. Sur à peu près huit cents million de francs Cfa (environ un million deux cent cinquante mille euros), Jean Pierre Biyiti Bi Essam aurait alloué plus du tiers à la CRTV (radio et télévision publique), Cameroon Tribune et aux dépenses diverses. Le reste (plus de 173 000 €) s’est retrouvé « en sécurité », dans son compte bancaire personnel. La presse privée, immensément majoritaire, a eu droit, pour son luxe, au transport et à un repas. La subvention annuelle, que l’Etat lui alloue, dépasse à peine deux millions Fcfa (un peu plus de 3000€), l'organe, dans un pays où les frais unitaires d’édition, en presse écrite, avoisinent les cinq cent mille Fcfa (près de 762€), le traitement du personnel exclu.
Excepté une demi douzaine de titres, dont les quatre quotidiens (et encore !), la presse privée joue donc le rôle de dindon, dans la scène farceuse de la communication, au Cameroun. Les journalistes n’ont pas droit à un salaire. Quand il existe, il est tout simplement minable. Ils n’ont pas droit à un contrat de travail, ni même aux cotisations de sécurité sociale ; les moindres des protections, dans l’arsenal juridique en vigueur. Cette virée cancre, de Directeurs de Publications qui sont en reportage, au quotidien, méprisés et mendiant, pour le même service où les journalistes de la presse officielle sont amadoués et suppliés, s’explique par le délaissement systématique de la presse privée, à la fois victime et sujette.

L’enfer et l’espoir

Avec le vent de l’Est et le retour des libertés publiques, l’autorisation de publication a été simplifiée à l’extrême. Ce qui a eu le don de booster le secteur privé, pour relayer les opinions plurielles, découlant de l’ouverture démocratique des années 90. Malheureusement, le même filon a été exploité pour faire émerger une presse privée négligeable, sans base ni moyens ; sans sérieux ni personnalité ; celle qui écume aujourd’hui les lieux publics et infeste le métier de ses multiples cancreries. Une presse chargée de répercuter une autre opinion que celle de l’opposition politique, qui semblait naturellement son favori idéologique. La valse des titres contradictoires a donc fait la belle époque des kiosques mais surtout le jeu de barrons du pouvoir, appliqués à faire taire la grogne, telle que présagée par les leaders de l’opposition.
Cet enjeu étant dépassé, avec l’hibernation quasi-totale des partis de l’opposition, les contradicteurs du contraire tentent de survivre et aucun moyen n’est assez immoral, pour valoir. Mais il s’y est surtout réfugié des amateurs du gain facile. Bien loin de la brebis galeuse, exception au sein d’une l’espèce intègre, ils sont devenus une véritable gangrène, inextirpable, s’il en est. Ils soustraient ordinateurs et téléphones portables, serviettes et tout ce que l’on peut laisser trainer, lors de séminaires et autres conférences. Ils rançonnent ; maîtres chanteurs, ils se font prendre, pour des raisons pas toujours défendables, confrérie oblige. L’espèce a donc complètement maculé le métier de ses actes abjects. Du coup, brandir une carte de journaliste est devenu suspect, surtout pour les honnêtes gens.
Ceux qui ont survécu, à cette déperdition, ont créé leur propre enfer. Esclavagiste au sommet de leurs structures, ils trônent sur un personnel griot ou miteux. Ils sont devenus des prestataires de services et leurs supports médiatiques, des moyens de pression. Une heureuse perspective tout de même, la mise sur pied d’une convention collective. Après deux ans de négociations et même de tergiversation, elle a commencé à être signée par une génération de patrons de presse qui ont compris la profondeur du drame. Les autres, promoteurs d’un journalisme hideux, devront suivre ou se retirer.





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