La folie Pastré


Par Rédigé le 15/07/2021 (dernière modification le 16/07/2021)

Sous ce titre quelque peu énigmatique, Olivier Bellamy a publié le 9 juin dernier chez Grasset une biographie de celle qui a joué un grand rôle dans la vie musicale française.



Le nom de Lily Pastré est surtout connu des mélomanes et principalement de ceux qui fréquentent le festival lyrique international d’Aix-en-Provence, car elle est à l’origine de cette manifestation musicale. On pourrait ajouter que cette parution de l’ouvrage d’Olivier Bellamy sous-titré La comtesse, la musique et la guerre, tombe à pic puisque le festival dont on avait été privé l’an dernier, a commencé le 30 juin et se poursuivra jusqu’au 25 juillet. Et nul mieux que l’auteur pouvait parler de la comtesse Pastré, il a longtemps été animateur sur Radio classique et a écrit sur de nombreux compositeurs.

Elle était née Marie-Louise Double de Saint-Lambert le 9 décembre 1891 à Marseille, dans une riche famille, héritière des célèbres apéritifs Noilly-Prat. Dans l’hôtel particulier de la rue Paradis, elle reçoit l’éducation d’une jeune fille de la grande bourgeoisie, étudie le piano et pratique la natation et le tennis. Un drame vient cependant bouleverser cette vie sans souci, la mort de son frère aîné Maurice, âgé de 26 ans, lors de la bataille de la Somme en 1916. Le 14 mai 1918, elle épouse le comte Jean André Hubert Pastré, joueur de polo et grand séducteur.

Ils vivent à Paris une partie de l’année entre fêtes mondaines et concerts dans l’agitation des Années folles. Elle fréquente les compositeurs et interprètes d’alors, notamment Francis Poulenc, Darius Milhaud, Henri Sauguet ou Boris Kochno qui avait été le secrétaire de Serge de Diaghilev. En 1929, on la retrouve dans le film de Man Ray Les Mystères du château de Dé. Le couple a trois enfants, se sépare et divorce en 1940. Lily Pastré revient vivre à Marseille. conserve son titre de comtesse et la Campagne Pastré appelée aussi Villa Provençale, une demeure construite en 1862 au centre d’un grand parc, au sud-ouest de Marseille.

«Pour moi, Lily Pastré a toujours évoqué une héroïne de Tchekhov. Le domaine de Montredon, c’était la Cerisaie»

dira Edmonde Charles-Roux. La Seconde Guerre éclate et Lily cache dans cette bastide et aide des musiciens juifs, tels Clara Haskil et Darius Milhaud notamment et de nombreux artistes ou écrivains en partance, pour les Etats-Unis comme André Breton. Elle apporte aussi son soutien à l’Américain Varian Fry, qui a sauvé des milliers de personnes en organisant leur départ. Le 27 juillet 1942, on y monte en plein air «Le songe d’une nuit d’été» de Shakespeare sur une musique de Jacques Ibert, des costumes de Christian Bérard qui en cette période de pénurie avait utilisé les rideaux et tentures de la maison…

Rien n’est resté de cette soirée mémorable qui fit naître sans doute l’idée du festival d’Aix, si ce n’est l’ensemble de croquis qu’a laissés le peintre tchèque Rudolf Kundera ou ce qu’a écrit le critique musical roumain Antoine Goléa. Après la guerre, la Comtesse Pastré se lance dans une autre grande aventure, la création du Festival d’Aix-en-Provence au mois de juillet 1948. Dans la préface de la publication consacrée au 60e anniversaire du festival, parue chez Actes Sud en2008, Edmonde Charles-Roux, dont la mère était une amie de Lily Pastré, revient sur l’importance du rôle de celle-ci «Une esthète d’esprit et de cœur». On donna Cosi fan tut de Mozart qui fut d’autant plus apprécié qu’on ne l’avait pas vu en France depuis 1926. Le spectacle se déroulait sur une petite scène dans la cour de l’Archevêché, l’orchestre du Südwestrundfunk de Baden-Baden était dirigé par Hans Rosbaud, les décors étaient dus à Georges Wakéwitch et les chanteurs n’étaient pas très connus. Au bout de quelque temps, Lily Pastré est plus ou oins évincée au profit de Gabriel Dussurget qui fut directeur du festival jusqu’en 1972. Edmonde-Charles-Roux n’hésitera pas à écrire

« Aix n’a pas été à la hauteur de ce qu’elle a donné à la ville ». Il faut cependant reconnaître qu’en 2013, lors de Marseille capitale européenne de la Culture, on avait organisé à ce qui était la Galerie du Conseil général, une très belle exposition «Le salon de Lily, Hommage à la Comtesse Pastré, mécène ».

Son immense générosité ne connaissait aucune barrière et dans les années 50, elle offrit un terrain jouxtant sa propriété à l’abbé Pierre et ses Compagnons d’Emmaüs. Toutes ces entreprises généreuses avaient fini par engloutir sa fortune considérable et le 6 juin 1974, elle est contrainte de céder à la municipalité de Marseille sa Villa Provençale. Deux mois plus tard, le 8 août 1974 décède celle qu’on a appelée La Bonne-Mère des artistes. Il paraît que lors de ses obsèques, la plus belle couronne était celle offerte par les Compagnons d’Emmaüs…

Le château Pastré abrite de mai 1995 à 2013, le musée de la Faïence qui depuis lors se trouve au Château Borély, dans le nouveau Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode. En 2021, l'association Pour Que Marseille Vive propose de réhabiliter le Château Pastré en le transformant en lieu culturel. Le projet est en négociation avec la mairie de Marseille.





Autres articles dans la même rubrique ou dossier: