Exposition La comédie humaine
L’exposition La comédie humaine qui se tient à la Galerie Ferrero prolonge l’exposition des Monstres qui s’est tenue à l’Avant-Scène à Nice en 2008. A l’extérieur, des sculptures réactivent les interrogations du sculpteur alors que le Nouvel espace de la Galerie Ferrero laisse place à une série de portraits des plus étranges. Depuis fort longtemps, le visage est souvent considéré comme le miroir de l’âme. A l’instar de Balzac qui, avec La Comédie Humaine, tentait de décrire de façon exhaustive la société de son époque en établissant une sorte de catalogue raisonné de types humains, Louis Dollé parle de l’Homme dans sa diversité.
Ici, des muses et des héroïnes, là de simples gens, plus loin des êtres fantastiques ou monstrueux. Bien loin de représenter des personnages réels, les portraits que dépeint Louis Dollé sont le fruit de son imagination. Tous sont issus du monde artistique, littéraire, cinématographique ou musical. L’alliance de l’histoire de l’art à la culture populaire aboutit à une œuvre syncrétique proposant une nouvelle manière de voir l’humain. Cette série de portraits montrent l’engagement de l’artiste tant d’un point de vue social que pictural. Aux figures séduisantes ou touchantes se joignent les exclues et les blessées. L’artiste nous parle de la vie et de la mort, de la séduction, du savoir… Marqués par le regard et le discours de l’artiste, ces portraits relèvent tous de sa personnalité. L’exposition est d’ailleurs ponctuée d’autoportraits détournés. Mais à y regarder de plus près, tous ces personnages reflètent aussi un peu de nous-même. A l’image de la galerie des Glaces, ils épatent le visiteur et lui renvoient une image de lui-même déformée.
A travers ces toiles (pardon, ces contreplaqués, car Louis Dollé peint sur du contreplaqué, parfois découpé, qu’il présente à même le sol), l’artiste élabore un discours sur le sens et la couleur en peinture. Avec ces portraits, Louis Dollé fait acte de recréation, reprend sous un regard nouveau des thèmes inscrits dans la mémoire collective. « Créer, c’est découvrir quelque chose qui existe déjà » m’explique-t-il. Il admire Goya et son imagination créative mêlant le fantastique au quotidien mais aussi Rodin et Carpeaux. Retravailler un sujet connu, c’est pour lui invoquer toute une tradition ou toute une culture, prendre à témoin les référents et les habiter de nouveau, s’en emparer. Louis Dollé aime raconter des histoires, transmettre un savoir, autant de plaisirs tombés en désuétude que l’artiste souhaite réhabiliter. On retrouve également chez lui ce plaisir pour le faire. Regardez ces femmes nues, ces objets peints en glacis se détachant sur des fonds sombres. Admirez les ocres et les ombres colorées. Avec cette installation de peintures qui fait suite aux Monstres présentés à l’Avant-scène à Nice, en 2008, Louis Dollé renoue avec l’histoire de la peinture à l’huile tant d’un point de vue technique que conceptuel.
Rebecca François
Né à Nice en 1971, Louis Dollé se destine à une carrière d’ébéniste. Après son diplôme en poche, il poursuit sa formation chez celui qui deviendra son maître, Jean Cortèse. Sa soif de connaissance et son goût prononcé pour l’art comme cosa mentale le pousse vers des études d’art. Il fréquente la Villa Thiole, passe son baccalauréat en candidat libre puis entre en 1994 à la Villa Arson. Cependant, ce cadre ne lui correspond pas vraiment et Louis Dollé abandonne ces études. En 1999, il rejoint le collectif des Diables-Bleus et de la Brèche avant d’intégrer No Made en 2003. Louis Dollé aime les rencontres et les échanges. Il travaille en collaboration, monte des expositions, donne des cours dans son atelier, enseigne dans des lycées, forme des apprentis. L’artiste propose ainsi une alternative au système artistique sclérosé actuellement en place.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Louis Dollé développe une œuvre protéiforme ayant pour fil directeur le travail in situ et la construction de récits. Son intérêt pour la figure humaine et les techniques artisanales rétablissent un sentiment d’empathie, grand refoulé du postmodernisme.
C’est sur la plage de la Réserve à Nice que l’artiste réalise sa première installation. Il sculpte dans deux poteaux de bois deux Moais (1991), évoquant les statues monumentales de l’île de Pâques. Gardiens d’une culture et d’un territoire, les Moais révèlent leur précarité par le caractère éphémère du projet. Cette réflexion sur l’équilibre fragile de la vie et de la culture traverse d’ailleurs toute l’œuvre de l’artiste. Avec Le Mendiant (1992), nous faisons l’expérience de l’altérité. Les veines du bois révèlent les blessures de l’homme délaissé, caricature de l’artiste. La craquelure de son dos courbé et sa tête recroquevillée renforcent l’accablement du personnage dont la main tendue est toutefois signe d’espoir. La forme arrondie de la sculpture nous incite au toucher ; cette caresse, cette main tendue vers l’autre symbolise la charité et la solidarité sans lesquelles cette détresse ne peut s’estomper.
Parallèlement, l’artiste réalise dès 1994 une série de portrait en terre puis moulée en plâtre ou en bronze. Dans Le Baiser (2003), la douceur des traits, l’expression du visage, la position de la tête et le regard façonnent un portrait à la fois physique, psychologique et symbolique, non d’une personne mais d’un acte, celui d’embrasser. Invoquant Klimt, Rodin, Brancusi et tant d’autres, cette tête est entièrement tournée vers ce geste perçu comme un don, un abandon de soi à l’autre. Or cet échange n’est ici adressé à aucune personne en particulier sinon à nous, spectateur ; au vide. Face à cette œuvre, nous ne pouvons qu’être suspendu à ces lèvres délicates, se remémorant la douceur d’un baiser.
L’œuvre de Louis Dollé possède une forte puissance pathétique dans le sens où elle fait appel à l’émotion du regardeur. Par le biais de la contemplation et de la narration, elle invite à la réflexion. Dès ses premières pièces, l’artiste ressent le besoin de transmettre une idée, un concept, par l’intermédiaire d’une forme artistique. Chaque œuvre illustre une histoire vers laquelle elle est entièrement tournée. Tous les éléments constitutifs de l’œuvre sont signifiants ; des différents matériaux et techniques utilisés au plus petit détail en passant par la mise en vue de l’œuvre, tout est générateur de sens.
Constitué d’assemblages de bois collés puis sculptés qui restituent l’énergie et la vitalité de la chair, L’Homme qui marche (1997-2000), deviendra du haut de ses 2 mètres 70 l’œuvre manifeste de l’artiste. Faisant appel à Alberto Giacometti et à Auguste Rodin, elle est l’image ou plutôt la reconstruction intellectuelle de la vie et du savoir. Cet homme est en pleine marche. Déterminé, il est représenté à ce moment précis où le point d’équilibre bascule, le pied arrière effleurant à peine le sol. Le mouvement contraire des bras et des jambes crée une série d’obliques générant cette impulsion vers l’avant, vers l’inconnu, vers l’incertain alors que l’œuvre s’inscrit dans la stabilité et la détermination d’un triangle. Excessivement allongé, dû à la vue en contre-plongée, le personnage enjambe les siècles et les montagnes, accumulant expériences et connaissances. A sa grandeur répond une extrême finesse. En poussant ses propres limites, l’œuvre se met en péril. L’étirement de la figure et l’absence de socle cherchent le point d’équilibre minimal et insèrent l’œuvre dans l’espace réel. Louis Dollé développera une série d’œuvres sur cette problématique : Eve (2002), Le Chat (2003), La Révolution (2006), et encore Le Juge (2007).
Louis Dollé inscrit son travail dans un continuum artistique dont les figures phares sont Rodin, Carpeaux, Carriès, Giacometti mais aussi Ernest Pignon-Ernest, Ousman Sow et encore Ben Vautier. Loin d’une démarche purement citationnelle ou appropriative, il actualise des figures issues de traditions extrêmement variées mais qui renvoient toutes à un fond culturel partagé, d’où la multiplication de références artistiques, historiques, mythologiques et populaires. La musique et le cinéma l’influencent considérablement. La performance La mariée mise à nue par ses célibataires, même qu’il réalise en 2005 au sein de son atelier condense cet esprit. Empruntant son titre à une œuvre de Marcel Duchamp, cette performance retrace selon les mots de l’artiste « 25 000 ans d’Histoire de l’Art en 25 minutes ». Dollé appréhende son métier comme un « passeur » d’images et de significations et se définit lui-même comme un « Artiste Ymagier ». Pour L’art des places (2001, 2002, 2003) ou pour l’exposition Sacré et profane (2004) de la Chapelle de la Providence dans le Vieux-Nice, par exemple, il réalise une série de dessins où il reprend à son compte des figures chrétiennes profondément ancrées dans notre culture telles que Marie-Madeleine ou Saint Georges. Louis Dollé perpétue ainsi le long fil de l’histoire de l’art et nous rappelle qu’il est fait d’éternels recommencements.
Chaque nouvelle présentation renouvelle l’œuvre et sa signification. Ainsi, on peut dire des œuvres de Louis Dollé qu’elles ne sont jamais achevées mais en constante mutation. D’ailleurs, l’artiste n’hésite pas à multiplier ces expériences en créant des variantes ou des dérivés de ses propres œuvres. Les mains (2006-2008), organe du toucher par excellence, mais c’est aussi premier outil de l’homme et moyen de communication, d’expression et d’échange inépuisable, donnent naissance une fois, à plusieurs installations, lors des manifestations estivales de No-Made. D’abord, Le Jardinier (2006), qui réunit 116 mains en ciment remuant la terre puis Homo Habilis (2007), où les mains prolifèrent sur un branchage de fers à béton évoquant le thème de l’immigration.
Le mythe de l’origine et l’univers des contes hantent le travail de l’artiste. En perpétuant certaines images et récits, Louis Dollé réactive des questions fondamentales de l’Homme : son origine, son statut, ses rapports à la nature et à l’autre... Les Clothos (1998-2009), petits personnages de papier journal confectionnés sur une armature en métal, proposent une mise en scène d’une « inquiétante étrangeté ». Leur suspension par des ficelles, la fragilité et la précarité des corps, leur multiplicité et leur matérialité offrent une expérience corporelle et un rapport à la mort saisissant. L’installation fait référence au mythe des Trois Parques qui veillent sur le sort des mortels et sur l’harmonie du monde. D’ailleurs, elle reprend de nom de l’une d’elle, Clotho, la Parque du Présent, qui joue avec le fil de notre destin. Détentrice de la connaissance et en même temps inaccessible, Eve (2002-2009), nous sourit (parce qu’elle sait) alors que ses jambes écartées de manière provocante laissent entrevoir l’origine du monde. Réalisée en résine polyester patinée avec de la terre, l’une d’elles prend place depuis 2006 à l’Arboretum de Roure où elle veille du haut de ses 4m25 sur la Vallée de la Tinée alors que ses pieds s’enracinent dans la terre nourricière. Un peu plus loin, Gaïa se confond avec l’arbre qu’elle étreint en signe de communion avec la nature. Enfin, Les Hamadryades (2008), représentent les nymphes de la forêt. Faites de papier, elles se confondent avec l’écorce des arbres et les humanisent. Chaque arbre est une vie et ce n’est qu’ensemble qu’ils forment cette force génératrice qu’est la forêt. Au fil des ans, les interventions de Louis Dollé au sein de No Made notamment à l’Arboretum de Roure façonnent un univers proche de la nature et en même temps profondément humain.
Le rapport au langage et au corps est omniprésent dans le travail de Louis Dollé, mais avec Les Anthropolithes (2005-2009) et Les Monstres (2008-2009), il va encore plus loin dans ce désir de mêler émotion et signification, réel et imaginaire. Par l’intermédiaire de ses écrits, Louis Dollé nous transmet ses expériences extraordinaires. Jouant sur les références, le ton de la confidence crée un lien d’intimité prégnant. Si ses œuvres s’accompagnent souvent de textes explicatifs, ici, ses notes forment un récit intrinsèquement lié à l’œuvre. Dollé crée une fiction de laquelle l’œuvre ne peut pas se détacher. L’oeuvre en est l’illustration, le vestige.
Avec Les Anthropolithes (2005), êtres de pierre qui auraient été retrouvés, selon l’artiste, en excellent état de conservation, Louis Dollé forge une histoire et en donne une « re-présentation ». Disséminés dans la végétation de l’Arboretum de Roure, des vestiges humains (fesses, dos, troncs, visages) reprenant la roche rouge caractéristique du site, gisent au sol. Avant même leur installation, son texte sur ces fossiles humains fait débat. Sortant largement du contexte artistique, il suscite de nombreuses interrogations qui dépassent totalement l’artiste ravi de voir à quelque point sa supercherie fonctionne. Cependant, Dollé ne cache pas la facticité de ses prétentions archéologiques, on peut même dire qu’il en joue. Le vernissage donne lieu à une véritable performance où l’artiste feint la folie.
Avec Les Monstres (2008), Louis Dollé réalise sa première installation de peintures. Accompagnés de textes qui rendent compte de ces rencontres fantasmées, l’exposition, prend place, non innocemment, dans une faculté de psychologie et étudie notre rapport à autrui et à la normalité. La diversité des techniques, matériaux et styles n’est pas là pour nous dérouter, bien au contraire, elle crée un supplément de sens. L’exploration de la monstruosité humaine véhiculée par ses hallucinations laisse libre cours à son imagination. Ce goût pour les difformités hérité de Goya et de Velasquez déjoue la sublimation et convoque l’impureté du réel. Ce refus de soumission aux dictâtes de la beauté et de la normalité se retrouve dans l’ensemble de son oeuvre.
L’exposition La comédie humaine (2010) qui se tient à la Galerie Ferrero prolonge cet esprit. A l’extérieur des sculptures réactivent les interrogations du sculpteur alors que la salle laisse place à une sorte de galerie des Glaces des plus étranges. L’artiste réalise ici une fois de plus un pied de nez à une certaine conception de l’art contemporain.
Louis Dollé interroge notre rapport au savoir et à l’imaginaire mais aussi la notion d’humanité. Son œuvre toute entière doit se lire comme un acte de re-création qui questionne notre société et propose une « manière d’être au monde » fondée sur les valeurs humaines et la transmission du savoir.
L'artiste sera présent tous les mercredis de 14 heures à 18 heures 30 et réalisera sur place une peinture "quasimodo".
Ici, des muses et des héroïnes, là de simples gens, plus loin des êtres fantastiques ou monstrueux. Bien loin de représenter des personnages réels, les portraits que dépeint Louis Dollé sont le fruit de son imagination. Tous sont issus du monde artistique, littéraire, cinématographique ou musical. L’alliance de l’histoire de l’art à la culture populaire aboutit à une œuvre syncrétique proposant une nouvelle manière de voir l’humain. Cette série de portraits montrent l’engagement de l’artiste tant d’un point de vue social que pictural. Aux figures séduisantes ou touchantes se joignent les exclues et les blessées. L’artiste nous parle de la vie et de la mort, de la séduction, du savoir… Marqués par le regard et le discours de l’artiste, ces portraits relèvent tous de sa personnalité. L’exposition est d’ailleurs ponctuée d’autoportraits détournés. Mais à y regarder de plus près, tous ces personnages reflètent aussi un peu de nous-même. A l’image de la galerie des Glaces, ils épatent le visiteur et lui renvoient une image de lui-même déformée.
A travers ces toiles (pardon, ces contreplaqués, car Louis Dollé peint sur du contreplaqué, parfois découpé, qu’il présente à même le sol), l’artiste élabore un discours sur le sens et la couleur en peinture. Avec ces portraits, Louis Dollé fait acte de recréation, reprend sous un regard nouveau des thèmes inscrits dans la mémoire collective. « Créer, c’est découvrir quelque chose qui existe déjà » m’explique-t-il. Il admire Goya et son imagination créative mêlant le fantastique au quotidien mais aussi Rodin et Carpeaux. Retravailler un sujet connu, c’est pour lui invoquer toute une tradition ou toute une culture, prendre à témoin les référents et les habiter de nouveau, s’en emparer. Louis Dollé aime raconter des histoires, transmettre un savoir, autant de plaisirs tombés en désuétude que l’artiste souhaite réhabiliter. On retrouve également chez lui ce plaisir pour le faire. Regardez ces femmes nues, ces objets peints en glacis se détachant sur des fonds sombres. Admirez les ocres et les ombres colorées. Avec cette installation de peintures qui fait suite aux Monstres présentés à l’Avant-scène à Nice, en 2008, Louis Dollé renoue avec l’histoire de la peinture à l’huile tant d’un point de vue technique que conceptuel.
Rebecca François
Né à Nice en 1971, Louis Dollé se destine à une carrière d’ébéniste. Après son diplôme en poche, il poursuit sa formation chez celui qui deviendra son maître, Jean Cortèse. Sa soif de connaissance et son goût prononcé pour l’art comme cosa mentale le pousse vers des études d’art. Il fréquente la Villa Thiole, passe son baccalauréat en candidat libre puis entre en 1994 à la Villa Arson. Cependant, ce cadre ne lui correspond pas vraiment et Louis Dollé abandonne ces études. En 1999, il rejoint le collectif des Diables-Bleus et de la Brèche avant d’intégrer No Made en 2003. Louis Dollé aime les rencontres et les échanges. Il travaille en collaboration, monte des expositions, donne des cours dans son atelier, enseigne dans des lycées, forme des apprentis. L’artiste propose ainsi une alternative au système artistique sclérosé actuellement en place.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Louis Dollé développe une œuvre protéiforme ayant pour fil directeur le travail in situ et la construction de récits. Son intérêt pour la figure humaine et les techniques artisanales rétablissent un sentiment d’empathie, grand refoulé du postmodernisme.
C’est sur la plage de la Réserve à Nice que l’artiste réalise sa première installation. Il sculpte dans deux poteaux de bois deux Moais (1991), évoquant les statues monumentales de l’île de Pâques. Gardiens d’une culture et d’un territoire, les Moais révèlent leur précarité par le caractère éphémère du projet. Cette réflexion sur l’équilibre fragile de la vie et de la culture traverse d’ailleurs toute l’œuvre de l’artiste. Avec Le Mendiant (1992), nous faisons l’expérience de l’altérité. Les veines du bois révèlent les blessures de l’homme délaissé, caricature de l’artiste. La craquelure de son dos courbé et sa tête recroquevillée renforcent l’accablement du personnage dont la main tendue est toutefois signe d’espoir. La forme arrondie de la sculpture nous incite au toucher ; cette caresse, cette main tendue vers l’autre symbolise la charité et la solidarité sans lesquelles cette détresse ne peut s’estomper.
Parallèlement, l’artiste réalise dès 1994 une série de portrait en terre puis moulée en plâtre ou en bronze. Dans Le Baiser (2003), la douceur des traits, l’expression du visage, la position de la tête et le regard façonnent un portrait à la fois physique, psychologique et symbolique, non d’une personne mais d’un acte, celui d’embrasser. Invoquant Klimt, Rodin, Brancusi et tant d’autres, cette tête est entièrement tournée vers ce geste perçu comme un don, un abandon de soi à l’autre. Or cet échange n’est ici adressé à aucune personne en particulier sinon à nous, spectateur ; au vide. Face à cette œuvre, nous ne pouvons qu’être suspendu à ces lèvres délicates, se remémorant la douceur d’un baiser.
L’œuvre de Louis Dollé possède une forte puissance pathétique dans le sens où elle fait appel à l’émotion du regardeur. Par le biais de la contemplation et de la narration, elle invite à la réflexion. Dès ses premières pièces, l’artiste ressent le besoin de transmettre une idée, un concept, par l’intermédiaire d’une forme artistique. Chaque œuvre illustre une histoire vers laquelle elle est entièrement tournée. Tous les éléments constitutifs de l’œuvre sont signifiants ; des différents matériaux et techniques utilisés au plus petit détail en passant par la mise en vue de l’œuvre, tout est générateur de sens.
Constitué d’assemblages de bois collés puis sculptés qui restituent l’énergie et la vitalité de la chair, L’Homme qui marche (1997-2000), deviendra du haut de ses 2 mètres 70 l’œuvre manifeste de l’artiste. Faisant appel à Alberto Giacometti et à Auguste Rodin, elle est l’image ou plutôt la reconstruction intellectuelle de la vie et du savoir. Cet homme est en pleine marche. Déterminé, il est représenté à ce moment précis où le point d’équilibre bascule, le pied arrière effleurant à peine le sol. Le mouvement contraire des bras et des jambes crée une série d’obliques générant cette impulsion vers l’avant, vers l’inconnu, vers l’incertain alors que l’œuvre s’inscrit dans la stabilité et la détermination d’un triangle. Excessivement allongé, dû à la vue en contre-plongée, le personnage enjambe les siècles et les montagnes, accumulant expériences et connaissances. A sa grandeur répond une extrême finesse. En poussant ses propres limites, l’œuvre se met en péril. L’étirement de la figure et l’absence de socle cherchent le point d’équilibre minimal et insèrent l’œuvre dans l’espace réel. Louis Dollé développera une série d’œuvres sur cette problématique : Eve (2002), Le Chat (2003), La Révolution (2006), et encore Le Juge (2007).
Louis Dollé inscrit son travail dans un continuum artistique dont les figures phares sont Rodin, Carpeaux, Carriès, Giacometti mais aussi Ernest Pignon-Ernest, Ousman Sow et encore Ben Vautier. Loin d’une démarche purement citationnelle ou appropriative, il actualise des figures issues de traditions extrêmement variées mais qui renvoient toutes à un fond culturel partagé, d’où la multiplication de références artistiques, historiques, mythologiques et populaires. La musique et le cinéma l’influencent considérablement. La performance La mariée mise à nue par ses célibataires, même qu’il réalise en 2005 au sein de son atelier condense cet esprit. Empruntant son titre à une œuvre de Marcel Duchamp, cette performance retrace selon les mots de l’artiste « 25 000 ans d’Histoire de l’Art en 25 minutes ». Dollé appréhende son métier comme un « passeur » d’images et de significations et se définit lui-même comme un « Artiste Ymagier ». Pour L’art des places (2001, 2002, 2003) ou pour l’exposition Sacré et profane (2004) de la Chapelle de la Providence dans le Vieux-Nice, par exemple, il réalise une série de dessins où il reprend à son compte des figures chrétiennes profondément ancrées dans notre culture telles que Marie-Madeleine ou Saint Georges. Louis Dollé perpétue ainsi le long fil de l’histoire de l’art et nous rappelle qu’il est fait d’éternels recommencements.
Chaque nouvelle présentation renouvelle l’œuvre et sa signification. Ainsi, on peut dire des œuvres de Louis Dollé qu’elles ne sont jamais achevées mais en constante mutation. D’ailleurs, l’artiste n’hésite pas à multiplier ces expériences en créant des variantes ou des dérivés de ses propres œuvres. Les mains (2006-2008), organe du toucher par excellence, mais c’est aussi premier outil de l’homme et moyen de communication, d’expression et d’échange inépuisable, donnent naissance une fois, à plusieurs installations, lors des manifestations estivales de No-Made. D’abord, Le Jardinier (2006), qui réunit 116 mains en ciment remuant la terre puis Homo Habilis (2007), où les mains prolifèrent sur un branchage de fers à béton évoquant le thème de l’immigration.
Le mythe de l’origine et l’univers des contes hantent le travail de l’artiste. En perpétuant certaines images et récits, Louis Dollé réactive des questions fondamentales de l’Homme : son origine, son statut, ses rapports à la nature et à l’autre... Les Clothos (1998-2009), petits personnages de papier journal confectionnés sur une armature en métal, proposent une mise en scène d’une « inquiétante étrangeté ». Leur suspension par des ficelles, la fragilité et la précarité des corps, leur multiplicité et leur matérialité offrent une expérience corporelle et un rapport à la mort saisissant. L’installation fait référence au mythe des Trois Parques qui veillent sur le sort des mortels et sur l’harmonie du monde. D’ailleurs, elle reprend de nom de l’une d’elle, Clotho, la Parque du Présent, qui joue avec le fil de notre destin. Détentrice de la connaissance et en même temps inaccessible, Eve (2002-2009), nous sourit (parce qu’elle sait) alors que ses jambes écartées de manière provocante laissent entrevoir l’origine du monde. Réalisée en résine polyester patinée avec de la terre, l’une d’elles prend place depuis 2006 à l’Arboretum de Roure où elle veille du haut de ses 4m25 sur la Vallée de la Tinée alors que ses pieds s’enracinent dans la terre nourricière. Un peu plus loin, Gaïa se confond avec l’arbre qu’elle étreint en signe de communion avec la nature. Enfin, Les Hamadryades (2008), représentent les nymphes de la forêt. Faites de papier, elles se confondent avec l’écorce des arbres et les humanisent. Chaque arbre est une vie et ce n’est qu’ensemble qu’ils forment cette force génératrice qu’est la forêt. Au fil des ans, les interventions de Louis Dollé au sein de No Made notamment à l’Arboretum de Roure façonnent un univers proche de la nature et en même temps profondément humain.
Le rapport au langage et au corps est omniprésent dans le travail de Louis Dollé, mais avec Les Anthropolithes (2005-2009) et Les Monstres (2008-2009), il va encore plus loin dans ce désir de mêler émotion et signification, réel et imaginaire. Par l’intermédiaire de ses écrits, Louis Dollé nous transmet ses expériences extraordinaires. Jouant sur les références, le ton de la confidence crée un lien d’intimité prégnant. Si ses œuvres s’accompagnent souvent de textes explicatifs, ici, ses notes forment un récit intrinsèquement lié à l’œuvre. Dollé crée une fiction de laquelle l’œuvre ne peut pas se détacher. L’oeuvre en est l’illustration, le vestige.
Avec Les Anthropolithes (2005), êtres de pierre qui auraient été retrouvés, selon l’artiste, en excellent état de conservation, Louis Dollé forge une histoire et en donne une « re-présentation ». Disséminés dans la végétation de l’Arboretum de Roure, des vestiges humains (fesses, dos, troncs, visages) reprenant la roche rouge caractéristique du site, gisent au sol. Avant même leur installation, son texte sur ces fossiles humains fait débat. Sortant largement du contexte artistique, il suscite de nombreuses interrogations qui dépassent totalement l’artiste ravi de voir à quelque point sa supercherie fonctionne. Cependant, Dollé ne cache pas la facticité de ses prétentions archéologiques, on peut même dire qu’il en joue. Le vernissage donne lieu à une véritable performance où l’artiste feint la folie.
Avec Les Monstres (2008), Louis Dollé réalise sa première installation de peintures. Accompagnés de textes qui rendent compte de ces rencontres fantasmées, l’exposition, prend place, non innocemment, dans une faculté de psychologie et étudie notre rapport à autrui et à la normalité. La diversité des techniques, matériaux et styles n’est pas là pour nous dérouter, bien au contraire, elle crée un supplément de sens. L’exploration de la monstruosité humaine véhiculée par ses hallucinations laisse libre cours à son imagination. Ce goût pour les difformités hérité de Goya et de Velasquez déjoue la sublimation et convoque l’impureté du réel. Ce refus de soumission aux dictâtes de la beauté et de la normalité se retrouve dans l’ensemble de son oeuvre.
L’exposition La comédie humaine (2010) qui se tient à la Galerie Ferrero prolonge cet esprit. A l’extérieur des sculptures réactivent les interrogations du sculpteur alors que la salle laisse place à une sorte de galerie des Glaces des plus étranges. L’artiste réalise ici une fois de plus un pied de nez à une certaine conception de l’art contemporain.
Louis Dollé interroge notre rapport au savoir et à l’imaginaire mais aussi la notion d’humanité. Son œuvre toute entière doit se lire comme un acte de re-création qui questionne notre société et propose une « manière d’être au monde » fondée sur les valeurs humaines et la transmission du savoir.
L'artiste sera présent tous les mercredis de 14 heures à 18 heures 30 et réalisera sur place une peinture "quasimodo".