La douleur comme émotion : mécanismes neurologiques et conséquences psychosociales
Par Jean Decety, Professeur de psychologie et de psychiatrie à l’Université de Chicago
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle. Cette expérience, associée à la nociception, est nécessaire à l’équilibre homéostatique et à la survie de l’individu. La douleur permet de signaler un danger et incite à le fuir ou l’éviter. L’expression de la douleur procure un autre avantage adaptatif : elle joue le rôle d’un signal social qui peut, dans certains contextes et selon les relations interpersonnelles, motiver des comportements prosociaux.
Durant ces cinq dernières années, de nombreux travaux utilisant les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelles (IRMf, MEG and ERPs) indiquent que la perception de la douleur d’autrui – empathie pour la douleur – est associée à l’activation d’un réseau cérébral relativement spécifique, incluant le cortex cingulaire antérieur (dorsal et ventral), l’insula antérieure, l’aire motrice supplémentaire, la substance grise péri-aqueducale, et dans certains cas, le cortex somatosensoriel et l’amygdale. Il est à noter que ce réseau n’est pas seulement impliqué dans le traitement de stimuli nociceptifs mais plus simplement dans la détection et la réaction attentionnelle aux stimuli saillants négatifs. "Je passerai en revue des travaux de mon laboratoire qui montrent comment l’activité au sein de ce réseau est modulée par des variables psychosociales comme celles impliquées dans la stigmatisation et l’attribution de responsabilité. Nous verrons également les modifications anatomofonctionnelles au cours du développement de l’enfant (à partir de 5 ans) et de l’adolescent en réaction à la douleur d’autrui et son origine (accidentelle ou intentionnelle), en particulier au sein du cortex orbitofrontal médian et latéral".
L’ensemble de ces études contribue à caractériser les mécanismes computationnels impliqués dans la cognition sociale. Ces connaissances sont nécessaires pour éclairer les dysfonctions associées à des désordres psychopathologiques neurodévelopmentaux comme les troubles de conduite chez l’enfant et la psychopathie chez l’adulte qui font l’objet d’études dans le laboratoire de Jean Decety.
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle. Cette expérience, associée à la nociception, est nécessaire à l’équilibre homéostatique et à la survie de l’individu. La douleur permet de signaler un danger et incite à le fuir ou l’éviter. L’expression de la douleur procure un autre avantage adaptatif : elle joue le rôle d’un signal social qui peut, dans certains contextes et selon les relations interpersonnelles, motiver des comportements prosociaux.
Durant ces cinq dernières années, de nombreux travaux utilisant les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelles (IRMf, MEG and ERPs) indiquent que la perception de la douleur d’autrui – empathie pour la douleur – est associée à l’activation d’un réseau cérébral relativement spécifique, incluant le cortex cingulaire antérieur (dorsal et ventral), l’insula antérieure, l’aire motrice supplémentaire, la substance grise péri-aqueducale, et dans certains cas, le cortex somatosensoriel et l’amygdale. Il est à noter que ce réseau n’est pas seulement impliqué dans le traitement de stimuli nociceptifs mais plus simplement dans la détection et la réaction attentionnelle aux stimuli saillants négatifs. "Je passerai en revue des travaux de mon laboratoire qui montrent comment l’activité au sein de ce réseau est modulée par des variables psychosociales comme celles impliquées dans la stigmatisation et l’attribution de responsabilité. Nous verrons également les modifications anatomofonctionnelles au cours du développement de l’enfant (à partir de 5 ans) et de l’adolescent en réaction à la douleur d’autrui et son origine (accidentelle ou intentionnelle), en particulier au sein du cortex orbitofrontal médian et latéral".
L’ensemble de ces études contribue à caractériser les mécanismes computationnels impliqués dans la cognition sociale. Ces connaissances sont nécessaires pour éclairer les dysfonctions associées à des désordres psychopathologiques neurodévelopmentaux comme les troubles de conduite chez l’enfant et la psychopathie chez l’adulte qui font l’objet d’études dans le laboratoire de Jean Decety.
Le langage de la douleur et son rôle dans la mémorisation d’un fait douloureux
Par Bernard Laurent neurophysiologiste au Centre antidouleur de St Etienne, INSERM 879
S’intéresser au langage de la douleur est indispensable car il est la porte d’entrée de presque tous les diagnostics médicaux. Il permet de valider la réalité d’une maladie donc sa précision est indispensable, mais il est aussi subjectivité et cette composante est essentielle dans la relation médecin-malade. Le langage est sa seule médiation alors que bien d’autres plaintes médicales peuvent être attestées par des objectivations paracliniques : on enregistre le sommeil, les vertiges, la mémoire … alors que nul examen ne peut mesurer la douleur.
La douleur intense se prête mal au discours descriptif avec une émotion qui sidère le discours et parfois la mimique et le comportement sont plus éloquents que les mots, en particulier chez l’enfant ou le vieillard. Plusieurs échelles d’analyse de comportement sont utilisables lorsque le discours est imprécis ou inexistant chez le patient non communiquant. La première pédagogie de lutte contre la douleur à partir des années 70 a été de diffuser largement des échelles de mesure verbales ou numériques, la mesure « visuo spatiale » du type thermomètre étant considérée comme la plus fiable pour suivre une douleur aiguë. Le souhait du médecin est de connaître les composantes topographiques, temporelles, évolutives et d’intensité de la douleur et certains documents préviennent le malade de ce glossaire médical. Les échelles verbales complexes comme le « Mc Gill questionnaire » interrogent la douleur de façon qualitative sur de nombreux qualificatifs sensoriels et émotionnels mais la profusion des termes et leur rareté ne sont pas gage de précision.
Les études qui ont comparé une même situation douloureuse chez un même patient avec différentes échelles montrent des contradictions inhérentes à toute évaluation subjective : poser la question d’un pourcentage d’amélioration est souvent différent de la simple comparaison des échelles visuelles. Mais le médecin interroge aussi la subjectivité en essayant de connaître les références douloureuses du patient pour situer la description de la douleur actuelle.
La douleur chronique est également difficile à décrire pour d’autres raisons. Le malade est las de répéter une douleur qui n’est pas accessible au traitement. La lombalgie ou la fibromyalgie génèrent une souffrance à la fois physique et morale où le discours ne sera plus seulement descriptif mais persuasif exerçant une pression sur le médecin dans une situation vécue comme une injustice. Le handicap principal de la communication de la douleur est lié à la culture médicale : le médecin a des présupposés anatomiques et physiologiques sur la douleur et il attend consciemment ou non une description conforme aux manuels de médecine. Évidemment le patient n’a pas cette culture et quand il essaie de se l’approprier pour convaincre davantage il est facilement démasqué. L’échange médecin-malade conduit parfois à l’affrontement de deux subjectivités. L’un a construit son savoir sur une description désaffectivée et technique, l’autre dit sa souffrance et sa frustration. Le biais cognitif le plus délétère du médecin dans le décryptage du discours du douloureux chronique est cette tendance à disqualifier un discours trop émotionnel, métaphorique, symbolique pour le rejeter en dehors du champ organique. La douleur est à la fois somatisation et sémantisation et ces deux aspects interagissent.
L’idée générale est double : anticiper ou imaginer une douleur connue c’est déjà se préparer à souffrir. Nommer la douleur et la maladie peut donc participer à l’amplification douloureuse. Le nom devient déterminant dans la survenue d’une maladie quand le milieu médical est incertain sur son mécanisme. Il en est ainsi des syndromes de douleur chronique dits fonctionnels : fibromyalgie, dyspareunie, spasmophilie, colopathie fonctionnelle, céphalée de tension… Rend-on service au patient avec ces diagnostics ? Oui si l’on suit des études qui ont montré que le nomadisme médical diminuait avec ces qualificatifs ; non si le terme n’est pas expliqué et dédramatisé, laissant le malade aux prises avec des sites internet aux explications non validées.
La mémoire d’un fait douloureux et de son contexte est constamment sollicitée dans les consultations médicales lorsque la douleur a disparu et que le malade raconte ses symptômes ou l’effet des médicaments antalgiques. Cette mémoire est complexe associant des aspects explicites (verbalisables) et implicites (expérientiels). Parmi les composantes explicites, il y a le contexte spatial et temporel (où et quand ?), les caractères spécifiques de la douleur (siège, qualité, intensité), les mesures prises (médicaments, chirurgie, hospitalisation …) et surtout le contexte émotionnel avec l’anxiété, les réactions végétatives et le stress… Le rappel d’une douleur à distance ne sera jamais limité à l’intensité nociceptive : on peut revivre la situation contextuelle et émotionnelle de la douleur sans ressentir précisément la sensation physique. En d’autres termes la mémorisation est beaucoup plus celle de la souffrance que celle de la nociception. Le plus étrange dans la mémoire de la douleur est la réapparition d’une douleur ancienne oubliée ce que l’on nomme la douleur fantôme. Ainsi les douleurs personnelles sont stockées dans notre mémoire somatique et peuvent réapparaître de façon exceptionnelle, soit par évocation précise du contexte de survenue, soit par lésion nerveuse comme dans la désafférentation des amputés.
Finalement la douleur est transmise par le langage mais une part d’elle même échappe au langage et même aux processus conscients. Elle peut être stockée et réévoquée automatiquement, déclencher des conditionnements inconscients ; la première expérience douloureuse lorsqu’elle survient dans la période d’amnésie infantile de la prime enfance peut générer des dysfonctionnements durables et sans doute des troubles psycho-comportementaux de l’âge adulte que nul ne rattache à sa cause initiale. Plusieurs travaux d’observation longitudinale de prématurés ayant subi des gestes douloureux de réanimation sont publiés et attestent de cette empreinte durable.
S’intéresser au langage de la douleur est indispensable car il est la porte d’entrée de presque tous les diagnostics médicaux. Il permet de valider la réalité d’une maladie donc sa précision est indispensable, mais il est aussi subjectivité et cette composante est essentielle dans la relation médecin-malade. Le langage est sa seule médiation alors que bien d’autres plaintes médicales peuvent être attestées par des objectivations paracliniques : on enregistre le sommeil, les vertiges, la mémoire … alors que nul examen ne peut mesurer la douleur.
La douleur intense se prête mal au discours descriptif avec une émotion qui sidère le discours et parfois la mimique et le comportement sont plus éloquents que les mots, en particulier chez l’enfant ou le vieillard. Plusieurs échelles d’analyse de comportement sont utilisables lorsque le discours est imprécis ou inexistant chez le patient non communiquant. La première pédagogie de lutte contre la douleur à partir des années 70 a été de diffuser largement des échelles de mesure verbales ou numériques, la mesure « visuo spatiale » du type thermomètre étant considérée comme la plus fiable pour suivre une douleur aiguë. Le souhait du médecin est de connaître les composantes topographiques, temporelles, évolutives et d’intensité de la douleur et certains documents préviennent le malade de ce glossaire médical. Les échelles verbales complexes comme le « Mc Gill questionnaire » interrogent la douleur de façon qualitative sur de nombreux qualificatifs sensoriels et émotionnels mais la profusion des termes et leur rareté ne sont pas gage de précision.
Les études qui ont comparé une même situation douloureuse chez un même patient avec différentes échelles montrent des contradictions inhérentes à toute évaluation subjective : poser la question d’un pourcentage d’amélioration est souvent différent de la simple comparaison des échelles visuelles. Mais le médecin interroge aussi la subjectivité en essayant de connaître les références douloureuses du patient pour situer la description de la douleur actuelle.
La douleur chronique est également difficile à décrire pour d’autres raisons. Le malade est las de répéter une douleur qui n’est pas accessible au traitement. La lombalgie ou la fibromyalgie génèrent une souffrance à la fois physique et morale où le discours ne sera plus seulement descriptif mais persuasif exerçant une pression sur le médecin dans une situation vécue comme une injustice. Le handicap principal de la communication de la douleur est lié à la culture médicale : le médecin a des présupposés anatomiques et physiologiques sur la douleur et il attend consciemment ou non une description conforme aux manuels de médecine. Évidemment le patient n’a pas cette culture et quand il essaie de se l’approprier pour convaincre davantage il est facilement démasqué. L’échange médecin-malade conduit parfois à l’affrontement de deux subjectivités. L’un a construit son savoir sur une description désaffectivée et technique, l’autre dit sa souffrance et sa frustration. Le biais cognitif le plus délétère du médecin dans le décryptage du discours du douloureux chronique est cette tendance à disqualifier un discours trop émotionnel, métaphorique, symbolique pour le rejeter en dehors du champ organique. La douleur est à la fois somatisation et sémantisation et ces deux aspects interagissent.
L’idée générale est double : anticiper ou imaginer une douleur connue c’est déjà se préparer à souffrir. Nommer la douleur et la maladie peut donc participer à l’amplification douloureuse. Le nom devient déterminant dans la survenue d’une maladie quand le milieu médical est incertain sur son mécanisme. Il en est ainsi des syndromes de douleur chronique dits fonctionnels : fibromyalgie, dyspareunie, spasmophilie, colopathie fonctionnelle, céphalée de tension… Rend-on service au patient avec ces diagnostics ? Oui si l’on suit des études qui ont montré que le nomadisme médical diminuait avec ces qualificatifs ; non si le terme n’est pas expliqué et dédramatisé, laissant le malade aux prises avec des sites internet aux explications non validées.
La mémoire d’un fait douloureux et de son contexte est constamment sollicitée dans les consultations médicales lorsque la douleur a disparu et que le malade raconte ses symptômes ou l’effet des médicaments antalgiques. Cette mémoire est complexe associant des aspects explicites (verbalisables) et implicites (expérientiels). Parmi les composantes explicites, il y a le contexte spatial et temporel (où et quand ?), les caractères spécifiques de la douleur (siège, qualité, intensité), les mesures prises (médicaments, chirurgie, hospitalisation …) et surtout le contexte émotionnel avec l’anxiété, les réactions végétatives et le stress… Le rappel d’une douleur à distance ne sera jamais limité à l’intensité nociceptive : on peut revivre la situation contextuelle et émotionnelle de la douleur sans ressentir précisément la sensation physique. En d’autres termes la mémorisation est beaucoup plus celle de la souffrance que celle de la nociception. Le plus étrange dans la mémoire de la douleur est la réapparition d’une douleur ancienne oubliée ce que l’on nomme la douleur fantôme. Ainsi les douleurs personnelles sont stockées dans notre mémoire somatique et peuvent réapparaître de façon exceptionnelle, soit par évocation précise du contexte de survenue, soit par lésion nerveuse comme dans la désafférentation des amputés.
Finalement la douleur est transmise par le langage mais une part d’elle même échappe au langage et même aux processus conscients. Elle peut être stockée et réévoquée automatiquement, déclencher des conditionnements inconscients ; la première expérience douloureuse lorsqu’elle survient dans la période d’amnésie infantile de la prime enfance peut générer des dysfonctionnements durables et sans doute des troubles psycho-comportementaux de l’âge adulte que nul ne rattache à sa cause initiale. Plusieurs travaux d’observation longitudinale de prématurés ayant subi des gestes douloureux de réanimation sont publiés et attestent de cette empreinte durable.