Interview - Missé Garani Amidou, enseignant de droit et consultant auprès de la CEDEAO


Par Rédigé le 08/12/2014 (dernière modification le 08/12/2014)

"Si le barrage procure de nombreux bénéfices, il faut limiter les impacts négatifs sur l’environnement et sur les conditions de vie des populations."


Missé Garani Amidou. Photo: A.T.
Face aux impacts négatifs des barrages et autres grandes infrastructures pour les communautés souvent laissées-pour-compte, la CEDEAO, à travers son Centre de Coordination des Ressources en Eau (CCRE), a engagé fin 2008 une concertation régionale sur les grands projets d’infrastructures hydrauliques dans l’espace communautaire afin d’optimiser les impacts positifs et encadrer au mieux la réalisation des infrastructures hydrauliques en Afrique de l’Ouest. Au terme de ce dialogue, un panel d’experts de haut niveau a travaillé à l’élaboration de lignes directrices devant désormais gouverner toute réalisation de grande infrastructure dans la sous-région. Dans cet entretien, nous donnons la parole à l’un des experts, Missé Garani Amidou qui revient sur le contenu de ces lignes et surtout analyse avec nous, les chances de leur application par les États.


Vous avez participé à la réflexion sur l’étude qui a abouti à la définition des lignes directrices pour la construction des infrastructures hydrauliques en Afrique de l’ouest. De façon concrète, quels sont les résultats de cette étude?

Il faut dire que ces lignes directrices constituent l’ensemble des bonnes pratiques qui existent aujourd’hui au niveau mondial et qui doivent conduire à la réalisation des grandes infrastructures hydrauliques, à savoir les barrages, les grands périmètres irrigués, les projets de transfert d’eau inter-bassins. En effet, il a été constaté que dans le cadre de la plupart des grands barrages en Afrique de l’ouest, on a mis peu l’accent sur les considérations environnementales et sociales. Il est bien vrai que le barrage procure de nombreux bénéfices, mais il faut veiller à limiter les impacts négatifs de ces barrages, non seulement sur l’environnement, mais aussi sur les conditions de vie des populations. C’est donc un ensemble de pratiques, de recommandations et d’orientations qui concourent à équilibrer la nécessité de réaliser des barrages et la prise en compte des contraintes environnementales et sociales.

Comment faire pour que les États se les approprient et surtout les appliquent?

C’est vrai que pour le moment, ce ne sont que des lignes directrices, un ensemble de bonnes pratiques au niveau international. Mais, ces lignes directrices sont en train d’être traduites en directives et lorsqu’elles seront officiellement adoptées par la CEDEAO, elles s’imposent aux États. A ce niveau, il faudra que les États prennent cette directive, regardent le contenu et le transfèrement dans leur droit interne. C’est ce qu’on appelle la transposition de la directive en droit interne. C’est vrai que c’est une directive qui va nécessiter que les États adaptent leur droits nationaux car à y voir de près, aucun droit national des États ne remplit les conditions des lignes directives actuelles et qui deviendront des directives après.

N’y a-t-il pas une crainte qu’à l’instar de plusieurs autres instruments, ces lignes directrices ne soient toujours pas en vigueur dans les États?

La crainte est fondée dans la mesure où nous avons beaucoup d’instruments communautaires sous forme de directives et de règlements qui ne sont pas mis en œuvre. Mais, je crois qu’ici, il y a un besoin qui a été ressenti par les États. Par exemple, les barrages n’avaient pas une bonne réputation parce qu’on voyait plus les impacts négatifs. Les États se sont donc rendu compte qu’ils ne peuvent plus réaliser des barrages sans prendre les mesures nécessaires pour limiter les dommages environnementaux et sociaux causés aux personnes. Et, puisque les États ont pris conscience de cela, je suis confiant dans ce que dès l’adoption des directives, il y aura un plan d’actions de mise en œuvre au niveau de la CEDEAO pour appuyer les États à adapter les législations nationales, mais aussi à les mettre en œuvre. Pour cela, il y a des conditions favorables puisqu’au niveau international, on recommande ces lignes directrices. En plus, nous avons toutes les organisations de bassins qui sont des instruments de mise en œuvre de ces directives de la CEDEAO et aussi de la volonté de l’État. Je rappelle aussi qu’il y a certaines lignes directrices qui sont déjà une réalité dans certains pays. Donc, il y a des conditions favorables qui nous font croire que ces directives ne vont pas tomber dans la même situation de léthargie que d’autres instruments communautaires.

Est-ce qu’avec ces lignes directrices, les préjudices causés par la réalisation des barrages aux citoyens vivant autour de ces infrastructures pourront être désormais réparés?

Oui, les lignes directrices ou la future directive disent clairement qu’il faut réparer les préjudices et injustices causés aux populations dans le cadre de la réalisation d’anciens barrages. Il faut rappeler que c’est une question de justice sociale parce que les populations se sont engagées dans la réalisation de ces barrages souvent sur la base de promesses faites par les États ou le maître d’ouvrage. Et ces dédommagements non réalisés ne permettent plus d’avoir l’adhésion des populations et chaque fois elles rappellent qu’en termes de dédommagements, il y a un passif de l’État. A ce niveau, c’est vrai qu’au tout début du processus il y a des hésitations de la part des États. Mais, ils ont fini par comprendre qu’il est de leur intérêt d’apurer ce passif pour mettre les populations en confiance. Comment voulez-vous que les populations soient des partenaires, sinon des acteurs si auparavant il y a un passif social lourd qui est là et qui est évoqué à tout moment par ces populations-là ? Je crois que les États ont finalement accepté l’idée. C’est pourquoi dans les lignes directrices et dans le projet de directive, cela est inscrit. Maintenant, il faudra voir comment mettre en œuvre cette réparation des dommages aux populations. Il est vrai que dans de nombreux cas, ça ne sera plus des réparations individuelles aux personnes qui ont été affectées par ces projets. Mais plutôt, des réparations collectives sous forme de programme de développement local ou de réalisation d’infrastructures communautaires qui bénéficient à l’ensemble de la communauté en termes d’accès à l’eau potable, d’électricité ou de partage de bénéfices dans l’exploitation de ces grandes infrastructures hydrauliques.

Il n’est pas rare de constater que des mesures environnementales sont souvent envisagées au début des projets, mais que celles-ci ne sont pas appliquées à la réalisation. Est-ce qu’il y a des garanties pour s’assurer que ces mesures seront désormais suivies?

C’est vrai que la réalisation de ces infrastructures est toujours précédée d’une étude d’impact environnemental et souvent c’est celle-ci qui préconise un plan de recasement, un plan de gestion environnementale, un plan de développement local. Mais le gros problème, c’est que ces plans ne sont pas mis en œuvre au moment venu pour diverses raisons: soit que l’État qui a prévu des mesures dans le cadre de ces plans ne les applique pas ; soit qu’il n’a pas les ressources financières parce que souvent les bailleurs de fonds n’acceptent pas prendre en charge le financement des mesures de compensation liées au projet. Ces derniers s’intéressent toujours à la réalisation de l’infrastructure physique : le barrage, le périmètre irrigué. Mais, les dépenses connexes ne les préoccupent pas. C’est pourquoi les lignes directrices disent que les coûts des plans doivent être intégrés dans le coût de réalisation de l’infrastructure. Également, ils disent qu’aucune réalisation ne peut être entamée tant que vous n’avez pas mobilisé l’ensemble des ressources financières pour les plans environnementaux et sociaux. De même, la mise en œuvre de ces plans doit commencer au même moment que la réalisation de l’infrastructure. Il y a certains même comme les plans de recasement et de réinstallation, qui doivent être achevés avant l’entame de l’infrastructure.

De quelle marge de manœuvre disposent les États pour contraindre les bailleurs de fonds qui ont leurs propres exigences, à s’aligner sur ces lignes directrices?

Comme je le disais, ces lignes directrices sont de bonnes pratiques nées au niveau international. Et ces bailleurs de fonds, notamment la Banque africaine de développement (BAD), la Banque Mondiale, sont les principaux acteurs qui ont poussé à aller vers ces pratiques internationales. C’est vrai qu’à notre niveau en Afrique de l’ouest, nous avons essayé d’adapter ces bonnes pratiques internationales à notre contexte. Donc, il y a beaucoup de chance que les bailleurs, les grandes institutions internationales se retrouvent dans ces lignes directrices. Aussi, nous avons recommandé au niveau de ces lignes directrices que la CEDEAO mette en place ses propres cadres de référence d’évaluation environnementale avec constitution d’équipes compétentes capables de mener ces études-là valables dans le cadre de nos propres instruments communautaires. Mais en attendant, on va continuer sur la base de ces bonnes pratiques à utiliser les politiques et les directives de ces institutions internationales.

Reportage vidéo, réalisé à l'occasion de la Conférence Régionale sur la mise en œuvre des recommandations de la CEDEAO sur les grandes infrastructures hydrauliques en Afrique de l'Ouest






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