Hôtels et pot-au-feu


Par Jeanne Voisin Rédigé le 19/12/2014 (dernière modification le 18/12/2014)

On pourra se demander quel rapport existe entre ces trois notions. Elles ne sont pas aussi étrangères que cela! Si l'on se réfère à ce décret de juillet dernier entré en vigueur le 13 décembre courant.


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Depuis lors, la viande bovine et ovine vendue dans la grande distribution française, ne sera plus définie par son nom traditionnel, beefsteak, rôti etc… mais pourvue d'étoiles, tout comme les hôtels et on peut supposer que plus leur nombre sera élevé, plus la viande sera savoureuse et donc plus chère! Mais alors qu'en sera-t-il de ces noms charmants qui fleuraient bon la tradition ou le terroir, milieu de gîte à la noix, pièce ronde et flanchet par exemple. Il faudra aussi traduire les termes des vieilles recettes, si l'on fait un pot-au-feu, toujours bienvenu en période hivernale, de combien d'étoiles bénéficieront les plates côtes, le talon de collier ou la culotte? Dans les livres de cuisine qui ne manqueront pas de fleurir après ce décret ridicule, on lira "prenez 500g de viande trois étoiles ou à défaut deux…". Et l'on entendra la maîtresse de maison dire à ses convives "Nous avons ce soir un rôti triplement étoilé…". Là encore, on rejoindra l'hôtellerie, comme ces touristes qui en début de séjour descendent à l'Hilton ou au Four seasons et ensuite se contentent de l'Hôtel des Voyageurs ou du Globe, en début de mois on mangera du mouton trois étoiles et ensuite des morceaux n'en arborant qu'une… Et que deviendront ces charmantes images où sur le bovin ou l'ovin, apparaissent en pointillé les différentes pièces numérotées ainsi que la légende explicative… Les nombres seront remplacés par des étoiles. S'y retrouvera-t-on parmi toutes ces constellations? Mais cela n'est pas l'objectif de ce merveilleux décret, il vise comme à chaque fois à brouiller tout ce qui peut l'être et à égarer le malheureux consommateur... On croyait cependant qu'après l'affaire des lasagnes litigieuses d'il y a deux ans, tout serait limpide!


Clarté quand tu nous tiens!

Cette fois, il ne semble pas que l'on puisse accuser Bruxelles, même si ses commissaires ou ses fonctionnaires rivalisent d'imagination pour supprimer, souvent discrètement, ce qui faisait le charme de chaque pays! Christian Le Lann, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs a publié le 8 décembre, une tribune dans Libération, "Adieu poire, merlan, collier, araignée, échine, plat de côtes…". Pour lui, ce nouvel étiquetage "fait disparaître un pan entier de notre culture" et "ce qui va se perdre, ce ne sont pas simplement des mots. Ce sont les goûts qui sont associés à ces mots". Et de citer Camus "Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde". Certes, on pourra se consoler en apprenant que cette réglementation ne concerne pas les artisans bouchers et qu'on pourra toujours obtenir chez eux, des morceaux de viande avec des noms qui tiennent encore quelque chose. Mais une fois de plus, on constatera que malgré tout ce qui peut se dire à propos d'une certaine transparence alimentaire, il y aura toujours une catégorie de personnes qui devra se contenter de l'opacité ou de morceaux peu ou mal définis…
Et l'on peut se demander ce que penseraient de tout cela les Marie-Antoine Carême, Auguste Escoffier ou Jean-Anthelme Brillat-Savarin s'ils revenaient parmi nous? Pour notre part, de ce dernier, nous retiendrons pour la circonstance, un de ses aphorismes de "La physiologie du goût": "La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile"

L'étiquetage européen






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