Hébergement pour les usagers de drogues


Par PR Rédigé le 05/12/2018 (dernière modification le 04/12/2018)

La salle de consommation à moindre risque (SCMR) de Strasbourg va offrir des places d’hébergement pour ses usagers en 2019. L’association Ithaque, qui a ouvert la salle en 2016 à l’hôpital civil, veut créer vingt places pour mieux accompagner ses usagers, qui pour beaucoup vivent dans des situations précaires.


Accompagner plutôt que contrôler

La Salle de consommation à moindre risque de Strasbourg. Photo courtoisie (c) SCMR

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L’abstinence n’est pas une condition d’accès pour ces personnes qui sont toutes consommatrices de drogues illicites. Si l’idée peut encore surprendre en France, elle est pourtant bien développée ailleurs en Europe, où ce genre de structures existe depuis des années.

“Notre rôle n’est pas d’encadrer, mais de faire en sorte que les gens qui viennent ne prennent pas de risque du fait de leurs consommations”, explique Danièle Bader, directrice d’Ithaque.

L’association Ithaque accompagne depuis 1993 les usagers de drogues. Forte de soixante-deux salariés et d’une quarantaine de bénévoles, elle travaille sur différents fronts: la réduction des risques et les soins (CSAPA), la médecine de ville (réseaux de cabinets médicaux avec psychologues, travailleurs sociaux et médecins), et la recherche en addictologie. Les bénévoles sont formés et interviennent dans le milieu festif et dans un programme d’échange de seringues.

Les personnes accueillies dans les locaux d’Ithaque ont des profils très variés: tous âges et toutes situations sociales sont représentés. Elles peuvent venir aussi bien pour des problèmes avec l’alcool ou la cocaïne que pour une addiction aux écrans. Certains peuvent également venir dans le cadre d’une obligation de soins, pour éviter des sanctions pénales. Mais “c’est toujours une démarche volontaire de leur part de s’adresser à nous”, insiste Danièle Bader. “Quand les personnes viennent nous voir, elles sont dépassées par leur addiction”.

Les usagers de la salle de consommation ont les addictions les plus dangereuses traitées par Ithaque. Le premier produit consommé dans la SCMR est la cocaïne (33% des usagers), par voie intraveineuse. Les opiacés représentent la principale famille de produits consommés: l’héroïne (12,4%); mais aussi des médicaments: le buprenorphine (16%) et le skenan (27%).

Les deux missions de la salle sont la limitation des risques de contamination et d’overdose, et l’accès aux soins. Bien sûr, “quand les personnes sont partantes, elles sont accompagnées vers un traitement de substitution”.


Un début encourageant pour la salle de consommation

Le bilan de la SCMR, après deux ans d’existence, est plutôt positif selon Danièle Bader. “Les gens viennent, ça correspondait bien à un besoin”. Elle se félicite de la présence de “pas mal de femmes” : elles représentent 23% des usagers à Strasbourg, plus que dans la plupart des structures de soin, signe que l’endroit est sécurisant pour elles.

L’existence de cette salle a pourtant été un parcours du combattant: “ça a été très difficile car ça a été une entrave à la loi. On crée des zones de non droit. Tout usage de substance est pénalisé en France, contrairement à d’autres pays en Europe où une consommation pour usage personnel est tolérée. On a un cadre très restrictif. Il a fallu trouver un aménagement de la loi pour que ces deux petites salles aient pu exister en France. Ça n’a pas été simple. La notion de réduction des risques a vraiment eu beaucoup de mal à s’implanter réellement. Beaucoup de soignants aujourd’hui se sont enfin emparés de l’idée que la “guérison” des usagers de drogues ne passait pas exclusivement par l’exigence de l’abstinence, parce qu’on sait ce qui les fait fuir, pour un certain nombre d’entre eux. Dans ce pays, on est beaucoup moins pragmatiques que dans les pays du nord de l’Europe. Souvent, ces réponses qui devraient aller de soi sont contaminées par les positions morales et idéologiques concernant le soin, qui ont vraiment retardé la mise en place de ces dispositifs. En France, pour ce qui concerne l’usage de drogues, il y a une conception morale derrière".

Cela expliquerait-il notre retard par rapport aux autres pays? En France, les premières SCMR ont ouvert en 2016. A Berne, la première a ouvert en 1986.

20% des usagers de la salle de consommation sont à la rue

Beaucoup d’usagers confient à Madame Bader: "La cocaïne ça m’aide à tenir dans la rue. Parce que la nuit, si je reste dehors, il faut que je reste éveillé. Il ne faut pas que je dorme parce que sinon on va me piquer mes affaires".

Sur 460 utilisateurs de la salle en 2018, 20% sont à la rue et plus de 50% vivent dans des solutions d’hébergement précaires. En jouant sur la condition de vie des personnes, le centre d’hébergement aura pour but d’offrir un cadre apaisant qui leur permettra d’envisager leur consommation autrement.

Le centre d’hébergement sera financé par l’État, l’agence régionale de santé et peut-être aussi des investissements de la ville et du département. Le budget n’est pas encore bouclé. Vingt chambres individuelles sont prévues et un accompagnement personnalisé sera offert à chaque personne hébergée.







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