Interview
Photo prise par l'auteur
D'après un rapport de l'ESSEC de mars 2015, la facilitation est un nouveau métier qui provient des cabinets de conseil aux entreprises, lequel se tourne davantage vers le consulting managérial.
En fait le métier de facilitation se rapproche de cette définition. Historiquement les cabinets de conseil arrivaient avec une posture d'expert auprès des entreprises avec des connaissances, avec un bagage, une expertise qui leur permettaient de faire un diagnostic, de développer un plan de conduite de changement et de le suivre. Ils étaient plus dans une posture de "sachant" vis-à-vis des équipes qui elles étaient considérées comme "non-sachant". C'est-à-dire qu'ils n'avaient pas les connaissances nécessaires à conduire eux-même ce changement-là. Aujourd'hui les pratiques évoluent, pour que l'expert-consultant en management devienne facilitateur du changement et que ce soit les équipes elles-mêmes qui le conduisent.
Comment tu définirais ton métier et ses objectifs?
C'est un beau défi, je fais vraiment des choses différentes. Mais si je dois trouver des caractéristiques communes à toutes mes actions je dirai que je facilite grâce à l'écoute bienveillante, parce que je suis garante d'un processus dans un collectif, mais c'est aussi énergiser le groupe, inviter à la participation.
Tu as habité pendant 10 ans au Canada, est-ce là-bas que tu as découvert cette profession?
On peut dire ça, je pense que j'ai inventé mon métier. On a tous des chemins différents. Je suis passée par la case ingénieure et chargée de projet, et la façon dont je travaillais avec mes équipes c'était déjà de la facilitation. Sauf que je n'en connaissais pas le terme et je n'avais pas la théorie derrière. Je travaille beaucoup à l'expérience. L'idée c'était de créer des réunions de travail en intelligence collective pour stimuler les idées de tous et de prendre une décision de façon collective, et non pas d'arriver en tant que chargée de projet avec le rétroplanning, la date de livraison, les tâches et leurs attributions, cela n'a jamais été ma façon de travailler. Au bout d'un moment on se perfectionne, on développe un vocabulaire, des méthodes, une posture surtout. C'est être au service du groupe, à l'écoute, être garant du temps, de l'espace, mettre en place un cadre de bienveillance dans lequel on va pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Effectivement, au Canada j'ai inventé mon métier, mais il y a un terrain favorable, avec d'autres relations entre les personnes.
Quand tu te présentes tu dis: "Je suis facilitatrice, enfin c'est plutôt ce que je fais".
C'est assez simple, je pense que nous ne sommes pas ce que nous faisons. Ce qu'on est c'est immuable, même si cela change avec le temps. Il y a un truc dans notre essence qui n'est pas lié avec notre métier. Moi aujourd'hui je fais de la facilitation, c'est lié à ce que je suis. Depuis toujours j'essaie de faciliter les choses pour les personnes qui m'entourent, à créer des liens, à faire en sorte que les gens se comprennent, à reformuler, à simplifier, à vulgariser, à organiser. C'est ce que je fais, pas qui je suis.
Est-ce qu'il existe un lien avec ce que dit Sarah Roubato: "Choisis le verbe de ta vie"?
C'est intéressant ce que dit Sarah, qui était d'ailleurs à Annecy récemment. Ça permet de recentrer la réflexion sur le lien entre qui on est, et ce que ça nous pousse à faire, et justement pas dans la limite des choix offerts par notre monde. On peut choisir ou faire un métier pour des raisons extrêmement différentes. Cela peut être pour aider, ou pour le statut social et pourtant on peut faire exactement la même profession. Ce qui est intéressant c'est de se connecter à "pourquoi on le fait".
Quelle est la différence entre un consultant, un coordinateur, un animateur et un facilitateur?
Le métier de consultant c'est quand on cherche une expertise à l'extérieur de son organisation, qui va intervenir de façon ponctuelle, et on peut être consultant dans tous les domaines. Soit parce que l'organisation n'a pas les ressources en interne, soit parce qu'elle a un besoin très ponctuel avec un regard extérieur. Je peux être amené à faire de la coordination ou de l'animation, surtout ce dernier. La nuance que la facilitation se met au service du groupe, tu es à l'écoute et tu ne te mets pas en avant. Tu es garant du temps, de l'espace, de la parole, du processus, du cadre pour ne pas avoir de "piratage" de l'espace de parole par quelques personnes, pour qu'elle puisse circuler. Quand tu es animateur, tu es plus en avant, tu vas prendre une place au niveau de tes interventions et de tes idées, c'est toi qui choisis le cadre, le ton, les questions, ce n'est pas la même posture. Cela peut m'arriver en tant que facilitatrice de prendre une casquette d'animatrice pendant quelques minutes si je pense que c'est nécessaire et que le groupe en a besoin, pour ensuite reprendre ma posture de facilitatrice. Le rôle de coordination c'est un peu différent, je mets ce rôle-là au passé. Je pense qu'on est amené à réviser ces rôles-là. Il y a un côté très hiérarchique, c'est quelqu'un qui va absorber et traiter les informations, construire un plan, identifier des tâches et des rôles et ensuite les affectés, pour finalement suivre l'exécution de ces tâches et de ces rôles. Ce n'est plus comme cela que j'envisage le travail aujourd'hui.
C'est un métier qui est basé sur l'objectif de rendre de la souplesse dans les échanges entre individus. Dans quel type de structure interviens-tu?
J'ai passé plusieurs années à travailler avec tout ce qui est lié au sens et à l'intérêt général, c'est-à-dire développer des activités humaines qui sont porteuses d'impact positif aux niveaux social et environnemental. Aujourd'hui je m'intéresse davantage à relier les différentes instances qui ont besoin de plus travailler ensemble, certaines sont empêtrées dans des schémas, des modes fonctionnements qui les freinent. Créer cette collaboration sociale est aujourd'hui de l'ordre de l'urgence. Énormément de discipline et de domaine convergent aujourd'hui vers cette collaboration, comme les villes intelligentes qui sont basées sur le 4P (partenariat - privé - public - personne). Les grandes transitions nous attendent: aux niveaux citoyens, énergétiques, mais aussi du travail tout convergent vers la création d'une nouvelle collaboration, plus d'échanges, plus de transparence.
On parle de créativité, de design thinking, de prise de décision, intelligence collective, idéation. C'est plein de nouveaux termes, de nouvelles méthodes. C'est difficile d'introduire cette transition?
Comme tout changement, il y a toujours des résistances. Au niveau individuel, tout changement peut être perçu comme un effort à fournir, du travail en plus, pour suivre une évolution qui passe par l'extérieur, et c'est pareil pour les organisations. Si on parle d'une entreprise, son objectif est la performance économique et financière. Arriver avec ces nouveaux principes et ces nouvelles méthodes nécessite un lien qui doit se faire entre la performance et les indicateurs de performance. La difficulté c'est de pouvoir répondre aux préoccupations à court terme et d'envisager sur du plus long terme.
Tu as fait des ateliers d'intelligence collective à la faculté. Quelles ont été les réactions de cette génération face à ces nouvelles méthodes?
Pour la nouvelle génération c'est extrêmement naturel. Ils sont prêt à ça, ils travaillent déjà comme ça. C'est beaucoup plus proche de leur fonctionnement naturel, de leurs valeurs, de leurs cultures que toutes les autres approches qui leur sont imposées. Systématiquement ça vient avec un fort enthousiasme, des prises d'initiatives que l'on ne voit pas forcément dans d'autres disciplines. A chaque fois je suis surprise, je reçois plein de messages par mail suite aux interventions, ils posent des questions, s'intéressent. C'est très intéressant de travailler avec la nouvelle génération. Ils sont pleins d'idées, ils veulent en faire quelque chose.
Ton métier est centré sur l'humain et les besoins de changement à travers une organisation collective. Dans quelle organisation et dans quel contexte fait on fait appel à toi?
C'est soit un besoin d'animer la pensée collective de leurs équipes internes, la recherche d'une nouvelle idée, une problématique particulière ou la recherche d'un dispositif ou d'un programme d'innovation qui est développé en interne. Là on va arriver à des formats d'intelligence collective et de créativité qu'il faut sur-mesure en fonction du temps que l'on dispose et de l'objectif. Il y a une tendance depuis 2-3 ans vers une envie de réorganiser, de repenser le fonctionnement de l'entreprise et de son organisation. Mais cela peut aussi être pour repenser les rôles, les redistribuer.
Si tu pouvais choisir n'importe quelle organisation ou entreprise qui nécessiterait ton intervention, ce serait laquelle?
Ce serait le ministère de la Santé ou de l’Éducation. Il y a de bonnes idées, de bonnes énergies, l'envie de faire des choses sur le terrain qui semblent freinées par des indicateurs, des obligations de performance. On est cloisonné par des contraintes sur lesquelles nous n'avons pas de pouvoir. Pour moi, il faudrait ouvrir une discussion globale entre les décisionnaires, les bénéficiaires et les fonctionnaires pour réfléchir sur comment rendre notre système plus humain, plus intelligent, plus résilient et plus agile. C'est-à-dire qu'il sache mieux s'adapter à la réalité.
Le métier de facilitation c'est monter des projets de changement, et d'après un rapport de l'ESSEC de mars 2015, 70% de ceux-ci n'atteignent pas leurs objectifs. Pourquoi?
Soit les objectifs sont fixés au tout début sans agissement sur le terrain, soit les objectifs ne sont pas les bons ou ne sont pas atteignables. Cela peut être lié à cette notion de court terme. Le changement c'est des processus longs qui ne correspondent pas forcément à la pression que l'on met sur des équipes au quotidien. Même si c'est important de mettre en œuvre des choses plus profondes, et qui seront à termes beaucoup plus importantes, c'est difficile à prioriser quand on a la pression et l'urgence du moment. C'est ce qu'on appelle travailler "en feu". L'entreprise qui avait pour seul objectif jusqu'à il y a très peu de temps que le profit et l'intérêt économique, aujourd'hui met le focus ailleurs parce qu'il y a une prise de conscience de l'impact social et sociétal sur l'ensemble des activités humaines.
Pour le facilitateur cela demande un véritable engagement et une multitude de compétences à diffuser. Le monde est-il prêt à cette adaptation?
Le monde est prêt. Pour moi, les individus sont prêts, la difficulté c'est quand tu travailles en collectif. Il y a des enjeux de pouvoirs, des éléments culturels, des codes, etc. Tout ça prend énormément de place dans le collectif, alors qu'individuellement un grand nombre sont prêts.
Il existe une formation de facilitateur disposé par la FacLab, comment penses-tu que ce métier peut s'apprendre?
Je pense que c'est beaucoup de pratique, il y a un chemin personnel à faire. Je suis en apprentissage permanent. Je n'ai pas la personnalité pour faire ce que je fais. J'ai une personnalité qui prend de la place et dans un groupe j'ai souvent envie et besoin de contribuer de par mes idées. Mais rentrer dans mon rôle de facilitateur c'est une vraie démarche, comme on met un chapeau. Avec les années, la pratique et l'expérience c'est quelque chose que l'on fait de façon de plus en plus naturelle et de plus en plus fluide, parce qu'on est réellement au service du groupe et d'un processus. Pour moi le plus important c'est la posture et l'écoute, après les techniques, le vocabulaire c'est plus pour nous rassurer dans notre pratique.
Comment fonctionne un atelier qui utilise la facilitation?
Il y a des formats que j'aime beaucoup et que j'utilise de plus en plus comme le forum ouvert. Le principe c'est de créer des conditions favorables aux acteurs et à leurs thématiques pour qu'ils puissent s'emparer du sujet, le faire avancer sans un cadre trop rigide. Ce sont eux qui vont mettre en place les directions et ce sur quoi ils vont travailler. Ça favorise l'engagement, la créativité, ce qu'on appelle l'intelligence collective. En ce moment je travaille avec les acteurs du tourisme en Savoie. Ils cherchent à réinventer. Il y a des problématiques, et le forum ouvert permet d'inviter tous ces acteurs qui ont envie d'avancer.
Pour présenter ton entreprise Sense in the city, tu dis: "La ville c'est nous, nos villes s'ouvrent et se transforment grâce au rapport à l'innovation, aux usages et à la mobilisation citoyenne. La ville sera collaborative ou ne sera pas intelligente".
Pour moi il y a deux choses: le sujet de la ville et celui du lieu. Quand on amène des pratiques nouvelles, il y a déjà des pratiques et des façons de faire, mais le travers humain est de revenir sur les anciennes pratiques. La solution pour moi, est de les incarner dans des lieux différents, comme des tiers lieux. L'idée c'est que les équipes sortent de leurs cadres de travail habituel et viennent dans un lieu différent pour expérimenter des choses différentes, et là il y a une vraie marche pour l'innovation. Il faut laisser une marge d'exploration. Dans le cadre d'une entreprise on veut quelque chose qui marche, et qui marche tout de suite. On ne se laisse pas le temps d'explorer. Ensuite pour Sense in the city, l'important pour moi c'est de contribuer à soutenir des activités humaines qui ont du sens, c'est-à-dire un impact positif et centré sur l'intérêt général. City c'est la ville, la cité, c'est notre milieu de vie, nous et nos voisins. À chacun, ensuite, de mettre sa limite en fonction de ce qu'il ressent. Pour moi, les solutions sont locales. Ce que l'on cherche à créer ce sont des territoires collaboratifs, où les acteurs apprennent à travailler ensemble.
En fait le métier de facilitation se rapproche de cette définition. Historiquement les cabinets de conseil arrivaient avec une posture d'expert auprès des entreprises avec des connaissances, avec un bagage, une expertise qui leur permettaient de faire un diagnostic, de développer un plan de conduite de changement et de le suivre. Ils étaient plus dans une posture de "sachant" vis-à-vis des équipes qui elles étaient considérées comme "non-sachant". C'est-à-dire qu'ils n'avaient pas les connaissances nécessaires à conduire eux-même ce changement-là. Aujourd'hui les pratiques évoluent, pour que l'expert-consultant en management devienne facilitateur du changement et que ce soit les équipes elles-mêmes qui le conduisent.
Comment tu définirais ton métier et ses objectifs?
C'est un beau défi, je fais vraiment des choses différentes. Mais si je dois trouver des caractéristiques communes à toutes mes actions je dirai que je facilite grâce à l'écoute bienveillante, parce que je suis garante d'un processus dans un collectif, mais c'est aussi énergiser le groupe, inviter à la participation.
Tu as habité pendant 10 ans au Canada, est-ce là-bas que tu as découvert cette profession?
On peut dire ça, je pense que j'ai inventé mon métier. On a tous des chemins différents. Je suis passée par la case ingénieure et chargée de projet, et la façon dont je travaillais avec mes équipes c'était déjà de la facilitation. Sauf que je n'en connaissais pas le terme et je n'avais pas la théorie derrière. Je travaille beaucoup à l'expérience. L'idée c'était de créer des réunions de travail en intelligence collective pour stimuler les idées de tous et de prendre une décision de façon collective, et non pas d'arriver en tant que chargée de projet avec le rétroplanning, la date de livraison, les tâches et leurs attributions, cela n'a jamais été ma façon de travailler. Au bout d'un moment on se perfectionne, on développe un vocabulaire, des méthodes, une posture surtout. C'est être au service du groupe, à l'écoute, être garant du temps, de l'espace, mettre en place un cadre de bienveillance dans lequel on va pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Effectivement, au Canada j'ai inventé mon métier, mais il y a un terrain favorable, avec d'autres relations entre les personnes.
Quand tu te présentes tu dis: "Je suis facilitatrice, enfin c'est plutôt ce que je fais".
C'est assez simple, je pense que nous ne sommes pas ce que nous faisons. Ce qu'on est c'est immuable, même si cela change avec le temps. Il y a un truc dans notre essence qui n'est pas lié avec notre métier. Moi aujourd'hui je fais de la facilitation, c'est lié à ce que je suis. Depuis toujours j'essaie de faciliter les choses pour les personnes qui m'entourent, à créer des liens, à faire en sorte que les gens se comprennent, à reformuler, à simplifier, à vulgariser, à organiser. C'est ce que je fais, pas qui je suis.
Est-ce qu'il existe un lien avec ce que dit Sarah Roubato: "Choisis le verbe de ta vie"?
C'est intéressant ce que dit Sarah, qui était d'ailleurs à Annecy récemment. Ça permet de recentrer la réflexion sur le lien entre qui on est, et ce que ça nous pousse à faire, et justement pas dans la limite des choix offerts par notre monde. On peut choisir ou faire un métier pour des raisons extrêmement différentes. Cela peut être pour aider, ou pour le statut social et pourtant on peut faire exactement la même profession. Ce qui est intéressant c'est de se connecter à "pourquoi on le fait".
Quelle est la différence entre un consultant, un coordinateur, un animateur et un facilitateur?
Le métier de consultant c'est quand on cherche une expertise à l'extérieur de son organisation, qui va intervenir de façon ponctuelle, et on peut être consultant dans tous les domaines. Soit parce que l'organisation n'a pas les ressources en interne, soit parce qu'elle a un besoin très ponctuel avec un regard extérieur. Je peux être amené à faire de la coordination ou de l'animation, surtout ce dernier. La nuance que la facilitation se met au service du groupe, tu es à l'écoute et tu ne te mets pas en avant. Tu es garant du temps, de l'espace, de la parole, du processus, du cadre pour ne pas avoir de "piratage" de l'espace de parole par quelques personnes, pour qu'elle puisse circuler. Quand tu es animateur, tu es plus en avant, tu vas prendre une place au niveau de tes interventions et de tes idées, c'est toi qui choisis le cadre, le ton, les questions, ce n'est pas la même posture. Cela peut m'arriver en tant que facilitatrice de prendre une casquette d'animatrice pendant quelques minutes si je pense que c'est nécessaire et que le groupe en a besoin, pour ensuite reprendre ma posture de facilitatrice. Le rôle de coordination c'est un peu différent, je mets ce rôle-là au passé. Je pense qu'on est amené à réviser ces rôles-là. Il y a un côté très hiérarchique, c'est quelqu'un qui va absorber et traiter les informations, construire un plan, identifier des tâches et des rôles et ensuite les affectés, pour finalement suivre l'exécution de ces tâches et de ces rôles. Ce n'est plus comme cela que j'envisage le travail aujourd'hui.
C'est un métier qui est basé sur l'objectif de rendre de la souplesse dans les échanges entre individus. Dans quel type de structure interviens-tu?
J'ai passé plusieurs années à travailler avec tout ce qui est lié au sens et à l'intérêt général, c'est-à-dire développer des activités humaines qui sont porteuses d'impact positif aux niveaux social et environnemental. Aujourd'hui je m'intéresse davantage à relier les différentes instances qui ont besoin de plus travailler ensemble, certaines sont empêtrées dans des schémas, des modes fonctionnements qui les freinent. Créer cette collaboration sociale est aujourd'hui de l'ordre de l'urgence. Énormément de discipline et de domaine convergent aujourd'hui vers cette collaboration, comme les villes intelligentes qui sont basées sur le 4P (partenariat - privé - public - personne). Les grandes transitions nous attendent: aux niveaux citoyens, énergétiques, mais aussi du travail tout convergent vers la création d'une nouvelle collaboration, plus d'échanges, plus de transparence.
On parle de créativité, de design thinking, de prise de décision, intelligence collective, idéation. C'est plein de nouveaux termes, de nouvelles méthodes. C'est difficile d'introduire cette transition?
Comme tout changement, il y a toujours des résistances. Au niveau individuel, tout changement peut être perçu comme un effort à fournir, du travail en plus, pour suivre une évolution qui passe par l'extérieur, et c'est pareil pour les organisations. Si on parle d'une entreprise, son objectif est la performance économique et financière. Arriver avec ces nouveaux principes et ces nouvelles méthodes nécessite un lien qui doit se faire entre la performance et les indicateurs de performance. La difficulté c'est de pouvoir répondre aux préoccupations à court terme et d'envisager sur du plus long terme.
Tu as fait des ateliers d'intelligence collective à la faculté. Quelles ont été les réactions de cette génération face à ces nouvelles méthodes?
Pour la nouvelle génération c'est extrêmement naturel. Ils sont prêt à ça, ils travaillent déjà comme ça. C'est beaucoup plus proche de leur fonctionnement naturel, de leurs valeurs, de leurs cultures que toutes les autres approches qui leur sont imposées. Systématiquement ça vient avec un fort enthousiasme, des prises d'initiatives que l'on ne voit pas forcément dans d'autres disciplines. A chaque fois je suis surprise, je reçois plein de messages par mail suite aux interventions, ils posent des questions, s'intéressent. C'est très intéressant de travailler avec la nouvelle génération. Ils sont pleins d'idées, ils veulent en faire quelque chose.
Ton métier est centré sur l'humain et les besoins de changement à travers une organisation collective. Dans quelle organisation et dans quel contexte fait on fait appel à toi?
C'est soit un besoin d'animer la pensée collective de leurs équipes internes, la recherche d'une nouvelle idée, une problématique particulière ou la recherche d'un dispositif ou d'un programme d'innovation qui est développé en interne. Là on va arriver à des formats d'intelligence collective et de créativité qu'il faut sur-mesure en fonction du temps que l'on dispose et de l'objectif. Il y a une tendance depuis 2-3 ans vers une envie de réorganiser, de repenser le fonctionnement de l'entreprise et de son organisation. Mais cela peut aussi être pour repenser les rôles, les redistribuer.
Si tu pouvais choisir n'importe quelle organisation ou entreprise qui nécessiterait ton intervention, ce serait laquelle?
Ce serait le ministère de la Santé ou de l’Éducation. Il y a de bonnes idées, de bonnes énergies, l'envie de faire des choses sur le terrain qui semblent freinées par des indicateurs, des obligations de performance. On est cloisonné par des contraintes sur lesquelles nous n'avons pas de pouvoir. Pour moi, il faudrait ouvrir une discussion globale entre les décisionnaires, les bénéficiaires et les fonctionnaires pour réfléchir sur comment rendre notre système plus humain, plus intelligent, plus résilient et plus agile. C'est-à-dire qu'il sache mieux s'adapter à la réalité.
Le métier de facilitation c'est monter des projets de changement, et d'après un rapport de l'ESSEC de mars 2015, 70% de ceux-ci n'atteignent pas leurs objectifs. Pourquoi?
Soit les objectifs sont fixés au tout début sans agissement sur le terrain, soit les objectifs ne sont pas les bons ou ne sont pas atteignables. Cela peut être lié à cette notion de court terme. Le changement c'est des processus longs qui ne correspondent pas forcément à la pression que l'on met sur des équipes au quotidien. Même si c'est important de mettre en œuvre des choses plus profondes, et qui seront à termes beaucoup plus importantes, c'est difficile à prioriser quand on a la pression et l'urgence du moment. C'est ce qu'on appelle travailler "en feu". L'entreprise qui avait pour seul objectif jusqu'à il y a très peu de temps que le profit et l'intérêt économique, aujourd'hui met le focus ailleurs parce qu'il y a une prise de conscience de l'impact social et sociétal sur l'ensemble des activités humaines.
Pour le facilitateur cela demande un véritable engagement et une multitude de compétences à diffuser. Le monde est-il prêt à cette adaptation?
Le monde est prêt. Pour moi, les individus sont prêts, la difficulté c'est quand tu travailles en collectif. Il y a des enjeux de pouvoirs, des éléments culturels, des codes, etc. Tout ça prend énormément de place dans le collectif, alors qu'individuellement un grand nombre sont prêts.
Il existe une formation de facilitateur disposé par la FacLab, comment penses-tu que ce métier peut s'apprendre?
Je pense que c'est beaucoup de pratique, il y a un chemin personnel à faire. Je suis en apprentissage permanent. Je n'ai pas la personnalité pour faire ce que je fais. J'ai une personnalité qui prend de la place et dans un groupe j'ai souvent envie et besoin de contribuer de par mes idées. Mais rentrer dans mon rôle de facilitateur c'est une vraie démarche, comme on met un chapeau. Avec les années, la pratique et l'expérience c'est quelque chose que l'on fait de façon de plus en plus naturelle et de plus en plus fluide, parce qu'on est réellement au service du groupe et d'un processus. Pour moi le plus important c'est la posture et l'écoute, après les techniques, le vocabulaire c'est plus pour nous rassurer dans notre pratique.
Comment fonctionne un atelier qui utilise la facilitation?
Il y a des formats que j'aime beaucoup et que j'utilise de plus en plus comme le forum ouvert. Le principe c'est de créer des conditions favorables aux acteurs et à leurs thématiques pour qu'ils puissent s'emparer du sujet, le faire avancer sans un cadre trop rigide. Ce sont eux qui vont mettre en place les directions et ce sur quoi ils vont travailler. Ça favorise l'engagement, la créativité, ce qu'on appelle l'intelligence collective. En ce moment je travaille avec les acteurs du tourisme en Savoie. Ils cherchent à réinventer. Il y a des problématiques, et le forum ouvert permet d'inviter tous ces acteurs qui ont envie d'avancer.
Pour présenter ton entreprise Sense in the city, tu dis: "La ville c'est nous, nos villes s'ouvrent et se transforment grâce au rapport à l'innovation, aux usages et à la mobilisation citoyenne. La ville sera collaborative ou ne sera pas intelligente".
Pour moi il y a deux choses: le sujet de la ville et celui du lieu. Quand on amène des pratiques nouvelles, il y a déjà des pratiques et des façons de faire, mais le travers humain est de revenir sur les anciennes pratiques. La solution pour moi, est de les incarner dans des lieux différents, comme des tiers lieux. L'idée c'est que les équipes sortent de leurs cadres de travail habituel et viennent dans un lieu différent pour expérimenter des choses différentes, et là il y a une vraie marche pour l'innovation. Il faut laisser une marge d'exploration. Dans le cadre d'une entreprise on veut quelque chose qui marche, et qui marche tout de suite. On ne se laisse pas le temps d'explorer. Ensuite pour Sense in the city, l'important pour moi c'est de contribuer à soutenir des activités humaines qui ont du sens, c'est-à-dire un impact positif et centré sur l'intérêt général. City c'est la ville, la cité, c'est notre milieu de vie, nous et nos voisins. À chacun, ensuite, de mettre sa limite en fonction de ce qu'il ressent. Pour moi, les solutions sont locales. Ce que l'on cherche à créer ce sont des territoires collaboratifs, où les acteurs apprennent à travailler ensemble.