Entretien : Félix Goldmund – Un combat contre la médicalisation et la robotisation de l’existence


Par Rédigé le 29/08/2019 (dernière modification le 25/07/2019)

Vous êtes déprimé? Il vous faut un antidépresseur. Vous avez des insomnies chroniques? Prenez un somnifère. Tous les soirs. Vous êtes en deuil? Il y a des calmants. Sinon, vous pouvez faire du sport, ou du yoga, ou bien essayer l’hypnose, la PNL, la méditation ou autre. Ça marche. Ça fait du bien "pour le cerveau". Il existe toujours une solution simple, rapide et surtout, surtout, "prouvée scientifiquement". Sauf que, parfois, cela peut aller jusqu’à provoquer des vrais malaises…


Dialogue - Image du domaine publique Pixabay

Un combat contre la médicalisation et la robotisation de l’existence.MP3  (1.14 Mo)

Félix Goldmund est psychologue indépendant et pratique une thérapie d’orientation dite psychodynamique. Dans une librairie au Luxembourg, l’air un peu stupéfait devant le rayon de livres de développement personnel, il accepte de répondre à quelques questions.

DYT: Qu’est-ce que c’est, la psychodynamique? C’est comme la psychanalyse?

FG: Oui, on peut dire que c’est presque la même chose. J’essaie d’aider les gens à comprendre les causes profondes de leurs difficultés et à se comprendre eux-mêmes. Sauf que la connaissance de soi n’est pas très à la mode de nos jours. Car elle n’est ni simple, ni rapide. Je dois me battre tous les jours contre les attentes irréalistes de mes patients, induites par notre culture de l’immédiat. Ils veulent devenir "meilleurs" en trois jours... Je dois me battre aussi contre le système, et je n’ai pas d’autres armes que les mots…

DYT: Alors tous ces livres de développement personnel ne servent à rien ? Ils se vendent pourtant très bien. Et le "système" dans tout ça? La science?

FG: Au Luxembourg, comme un peu partout dans le monde, le système a été monopolisé par les apôtres de la psychologie positive qui, en bons prêcheurs du néolibéralisme, veulent bannir la psychothérapie d’inspiration analytique au nom de la "meilleure efficacité" des thérapies brèves. Or cette approche n’a rien de scientifique. Rien de tel n’a été rigoureusement prouvé. De plus, elle risque d’être parfois toxique. Finalement, on ne fait que vendre aux gens des solutions miracles et une vision du monde simpliste et trompeuse.

DYT: Pourquoi ?

FG: Peut-être pour qu’ils deviennent des robots, des robots efficaces, qui exécutent sans opposition leurs tâches. Ou des consommateurs qui consomment ce que l’on leur donne. Ou bien des moutons qui ne mettent pas en cause le status quo politique ou autre. Parce que ça rapporte de l’argent, aussi. Et ça marche plutôt bien.

DYT: Comment se fait-il qu’il y a tellement de gens qui suivent?

FG: Parce que les gens souffrent et ils veulent trouver une sortie de cette souffrance. Et on leur offre deux méthodes pour s’en sortir. Les médicaments, qui les aident à ne plus ressentir leur malaise. Sauf que, si tu ne la ressens plus, tu n’arriveras jamais à la comprendre, et encore moins à la dépasser. Et elle restera toujours quelque part. La deuxième, c’est la pression sociale d’un supposé "savoir". Tout le monde "sait" que les psychothérapies courtes marchent bien, qu’elles t’aident à devenir "meilleur". On est bombardé avec cela dans tous les magazines et les livres de développement personnel. Donc tu n’oseras jamais dire haut et fort que l’être humain est plus compliqué que ça. Que l’on n’est pas des robots et que l’on ne doit pas le devenir. Pire encore, tu cesseras de le croire, c’est ce qu’il m’arrive avec beaucoup de mes patients.

DYT: Alors il faudrait plutôt fuir ce genre de livre, et aussi les médicaments?

FG: Non, absolument pas. Les médicaments peuvent aider, ils ont leur utilité mais ce n’est ni un passe-partout, ni une solution miracle. Et dans un livre, même mauvais, on peut trouver des idées intéressantes. Chacun est différent, et chacun a besoin d’une solution différente. Il faut juste cultiver et utiliser son esprit critique…

DYT: Est-ce qu’il y a un danger dans l’utilisation des solutions simplistes? Si l’esprit critique nous fait défaut, est-ce que l’on court un risque?

FG: Oui, je le pense. J’ai connu trois cas de personnes qui prenaient depuis des mois des calmants. Ils buvaient un verre aussi. Ce n’est pas bien, vous allez me dire. Non, effectivement, mais les médicaments étaient prescrits trop facilement et régulièrement par leurs médecins, qui savaient très bien qu’elles avaient des difficultés psychologiques lourdes et de longue date. À ces personnes, on leur a offert une solution simple: une pilule. Elles ont fait confiance à leur médecin. Deux sont mortes d’un arrêt cardiaque autour de la cinquantaine, et la troisième a vu son état s’empirer. Ce sont juste trois cas, et des cas extrêmes, mais je pense qu’il est toujours nécessaire de traiter la personne devant nous, et non pas le "trouble".

DYT: Êtes-vous confiant dans la victoire de votre cause? Êtes-vous seul dans votre combat?

FG: Non, loin de là. La critique du modèle médical, par exemple, est assez active outre Atlantique. Il y a quelque voix en France aussi, ou en Allemagne. Mais c’est loin d’être gagné. En fait, ce que je veux, ce n’est pas avoir raison. Je veux maintenir le débat ouvert et je veux qu’au centre de ce débat soit l’être humain, tel qu’il est, et non pas une supposée science ou pire encore, des intérêts commerciaux. Au risque de mener ma vie à contre-courant…






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