DOSSIER - Enterrement dans les cercueils de bois au Bénin


Par Rédigé le 01/08/2012 (dernière modification le 01/08/2012)

La tradition de l’enterrement des morts dans les cercueils de bois est bien ancrée dans les habitudes béninoises. De sorte que lorsqu’un décès survient, il ne se pose même pas la question du mode d’enterrement. Cependant, enterrer les morts dans des bières de bois impacte négativement l’environnement.
Point sur la situation et interview


Ces forêts qui croupissent sous nos cimetières

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Funérailles bruyantes dans les rues de Cotonou, route barrée, musique tonitruante. Les Cotonois sont habitués aux obsèques festives qui ont lieu tous les week-ends dans la capitale économique du Bénin. Si le commun des béninois est unanime pour décrier ces funérailles onéreuses, c’est surtout le mode d’enterrement souvent adopté qui cause un problème écologique. En effet, avec un taux de mortalité brut de 7,6% en 2010 et une population totale estimée à 9 million 200 mille habitants, le Bénin a enterré près de 70 mille personnes la même année. En même temps qu’elles et mis à part les moins de 15% de musulmans qui enterrent leur mort dans des linceuls, ce sont des forêts entières qui croupissent sous la surface de nos cimetières et autres chambres funéraires.

Une tradition juste centenaire
Avec nos défunts, nous enterrons donc une partie d’un arbre, qui croupira désormais sous terre et qui ne servira plus à rien ni à personne. Pourtant, la tradition de l’enterrement des morts dans les cercueils de bois remonte seulement à une centaine d’année, ainsi que le confirme Dah Aligbonon Akpochihala, dignitaire vodoun au Bénin. Et les environnementalistes sont formels: le fait d’enterrer les morts dans des cercueils en bois impacte négativement l’environnement. Le professeur David Ogoualé est environnementaliste et spécialiste des changements climatiques. Il va jusqu’à affirmer que nos morts, sans le vouloir et à leur corps défendant, contribuent aux changements climatiques puisque leur inhumation favorise la déforestation.

Des solutions pour mourir écolo
Pour lui, de nombreuses solutions moins chères pour la planète existent. Ainsi, ailleurs, les spécialistes ont développé des cercueils de carton, plus écologique. L’autre solution reste l’incinération, malheureusement très peu pratiquée au Bénin, au vu des us et coutumes. En effet, si le feu est vu comme un élément purificateur, le fait d’immoler un mort est considéré comme dégradant pour la personne humaine. Mais le sociologue Bonaventure d’Oliveira, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il va même plus loin, proposant "une société sans cimetière". Ce ne sont donc pas les moyens de mourir écolo qui manquent. Il suffit juste de le vouloir…

La menuiserie flottante de Fifatin

La menuiserie flottante (c) Carmen Toudonou
Les fabricants de cercueils de bois prolifèrent à Cotonou, la capitale économique du Bénin. A côté des grandes menuiseries modernes de la ville, subsistent de petites exploitations individuelles, aux installations souvent précaires. C’est le cas de l’atelier du jeune Jean, située dans un quartier populeux de Cotonou. Reportage.
Cette matinée de pluie n’aura pas changé grand-chose à l’accès à l’atelier de Jean. Situé à Fifatin, un quartier populeux de la ville de Cotonou, capitale économique du Bénin, la "menuiserie" est inondée la moitié de l’année. Tout juste derrière, un chantier abandonné fait figure de forêt classée, et les jours de pluie, avec un peu de chance, les enfants du quartier arrivent même à y pêcher de petits poissons. Si Jean habite à peine à 100m de son atelier de menuiserie, il y passe la totalité de la journée, chaussé la plupart du temps de ses bottes grises, puisque l’établi et tout le reste du matériel baigne dans l’eau stagnante. "J’ai appris la menuiserie auprès de mon patron à Porto-Novo pendant 10 ans", confie-t-il dans un sourire quasi permanent. "J’ai arrêté mes études après quatre années au cours primaire, et tout naturellement, mon père m’a inscrit en menuiserie puisque l’atelier de mon patron n’était pas très éloigné de notre maison."

Un cercueil pour le prix de 100 tabourets

Son diplôme en poche, Jean s’installe dans ce quartier de Cotonou où il a entretemps rejoint son grand frère. Depuis, il joue le rôle de menuisier du quartier. "En général, les gens me commandent des tabourets, des bancs, des tables, plus rarement des fauteuils, mais le plus rentable, sans aucun doute, ce sont les cercueils." 150.000 à 180.000 l’unité de cercueil, c’est selon la qualité du bois utilisé pour la fabrication de la bière, confie Jean. Ici, les commandes ne manquent pas, et en cette matinée de jeudi, Jean se presse pour apporter la dernière touche à la fabrication d’un cercueil. "Les clients doivent passer tout à l’heure chercher le cercueil pour aller le déposer à la morgue. L’enterrement a lieu demain", précise-t-il. Malgré la mauvaise situation géographique de son atelier, Jean ne désespère pas. "Rares sont les menuisiers cotonois qui ont la chance d’avoir leur propre atelier. Alors, je suis déjà heureux, même s’il faut cohabiter avec les crapauds. Avec le temps, je garde l’espoir de déménager dans un quartier mieux aménagé." En attendant, Jean continue à raboter, et raboter encore.

Et si nous enterrions autrement nos morts?

Comment sortir de la quadrature des changements climatiques avec leurs lots de perturbations diverses et de menaces sur la survie de la planète et de l’univers? Cela passe surtout par une prise de conscience des divers dangers que l’homme fait courir à la terre à travers son mode de vie. Si sous nos tropiques, les enterrements dans les cercueils de bois sont devenus la panacée, il serait tout de même intéressant d’entamer la réflexion sur le ratio, avantage et inconvénient de cette tradition. Du point de vue des avantages, l’on peut affirmer que l’homme s’est décidé à donner une sépulture décente à son semblable pour mieux s’humaniser. Les cercueils de bois, certes, participent de cette volonté, puisqu’ils font figure de dernier habitacle pour la dépouille mortelle. Nous aimons nos parents et amis, donc nous les enterrons dans des cercueils, souvent bien jolis et décorés. Toutefois, l’envers du décor est moins idyllique. Faut-il, en effet, pour des soucis d’esthétique, se livrer à un pillage systématique des ressources de la planète? Je réponds, sans ambages, non!

Des solutions existent pour éviter ce "gaspillage". Il s’agit par exemple de l’incinération, de l’enterrement dans des cercueils "bio", etc. Mais que valent ces réponses face aux traditions béninoises si ancrées dans les mœurs? Les béninois pourraient-ils adopter l’incinération pour les obsèques de leurs proches? Il semblerait que la réponse à cette question soit négative, en tous cas pour l’instant. Dans la tradition béninoise, lorsqu’une personne vient à mourir des suites d’une brûlure grave ou dans un incendie, cela est considéré comme une "mauvaise mort". A côté de la mort pour cause d’accidents, de pendaison et de noyade, celle causée par le feu est source de plusieurs rituels. Dans les villes et villages, des familles spécialisées dans la conjuration du mauvais sort existent, et ce sont elles qui sont conviées dans la maison mortuaire pour procéder à un certain nombre de rituels, destinés à éloigner le mauvais sort de la maison éplorée. Dans ce contexte, le fait de brûler un cadavre serait difficilement admis. Et si nos hôpitaux disposent parfois d’incinérateurs, ceux-ci ne servent que rarement, et pour l’incinération d’expatriés non originaires du Bénin. Les locaux ne souscrivent pas le moins du monde à la pratique, le corps humain étant vu comme un sanctuaire qu’il faut préserver et même parer des plus beaux atours, jusqu’à l’inhumation.

Toutefois, raisonner ainsi, c’est occulter la réalité des choses, car dans les faits, après l’enterrement, le corps est quand même délaissé aux intempéries et à la nature, et nul n’ignore ce qu’il en advient. Il s’agit donc en fait d’une pure perte pour ce qui est des morceaux de bois ayant servi à l’inhumation. Il serait temps que la réflexion soit ouverte et que les béninois, les africains s’informent sur les arguments des peuples adeptes de l’incinération. Même s’il est aujourd’hui reconnu que la crémation a aussi un coût écologique, cela pourrait alors ouvrir de nouveaux champs pour la lutte pour une sauvegarde de l’environnement.

Trois questions à Dah Aligbonon, prêtre vodoun et gardien de la tradition béninoise

Dah Aligbonon Akpochihla
Avant l’apparition des cercueils de bois, comment les béninois avaient-ils l’habitude d’enterrer leurs morts?

Il faut dire que, grosso modo, l’apparition des cercueils de bois remonte à moins d’un siècle dans notre pays. Autrefois, le mort était simplement roulé dans une natte et enterré dans une fosse circulaire, contrairement aux fosses rectangulaires d’aujourd’hui. Cette fosse est appelée "li", elle est très profonde et c’est ainsi que nos aïeux enterraient leurs morts.

En tant que gardien de la tradition et aussi du patrimoine culturel, quel regard portez-vous sur le fait que des arbres sont coupés pour l’inhumation des corps?

De plus en plus, l’on coupe des bois pour en faire un mauvais usage. Cela ne dépend pas du tout des valeurs endogènes. Au commencement, il n’y avait pas de cercueils en bois. Tout le monde veut se coller à la modernité, à l’évolution dans le désordre. Donc, c’est cette envie de paraître qui pousse les Béninois à tomber dans ces travers.

Pensez-vous que les Béninois pourront un jour adopter d’autres modes d’inhumation, tels que l’incinération par exemple?


Non. Il faudra peut-être attendre encore des siècles. Je ne pense pas que des Béninois puissent accepter tout de suite que l’on mette du bois sur le corps des personnes qu’ils ont aimé, pour le brûler. Pour le moment, l’incinération ne passerait pas du tout au Bénin.





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