Bénin: Quand l’hôpital psychiatrique ne tourne pas rond


Par Gervais Loko Rédigé le 19/07/2010 (dernière modification le 19/07/2010)

A l’image du système national de santé mentale, le principal centre psychiatrique du Bénin végète dans le dénuement : insuffisance de ressources financières, défaut de personnel qualifié, manque d’équipements… En l’absence d’une politique nationale de prise en charge de la maladie, tout le pays vit en silence le drame de la folie dans la rue, dans les familles et à l’hôpital.


A Cotonou, l’accès universel aux soins psychiatriques est loin d’être une réalité. (Crédits: Polycarpe TOVIHO)
A Cotonou, principale ville du Bénin, la folie se donne à voir à chaque coin de rue, à chaque grand carrefour… Dans les marchés, sur les places publiques, sous les ponts, difficile de rater ces hommes, ces femmes ou ces enfants en haillons, rejetés, maltraités, voués à faire la manche, troublant souvent la tranquillité et la salubrité publiques.

Personne n’a aucune idée du nombre de ces «dérangés» de la rue. Et contrairement au paludisme, au vih/sida, à la tuberculose et à bien d’autres affections, aucune étude n’a été menée au plan national pour déterminer la prévalence de la maladie mentale au Bénin. «L’importance de la santé mentale est méconnue dans notre société», constate amèrement Dr Mathieu Tognidè, psychiatre béninois qui, se basant sur la tendance mondiale, estime cependant à «1% soit environ 70 000 le nombre de Béninois susceptibles de faire une maladie mentale».
Le manque de statistiques officielles montre combien la maladie mentale est invisible dans les préoccupations nationales. Il n’y a aucune stratégie nationale en la matière ni – encore moins – un programme qui fasse la promotion de la santé mentale.

Engluée dans le vaste programme national de lutte contre les maladies non transmissibles, la promotion de la santé mentale est loin d’être au centre des attentions. L’incompréhension est totale dans le rang des professionnels de psychiatrie et de psychologie. «Le paludisme est une maladie non transmissible pourtant nous avons un programme national de lutte contre cette maladie !», ironise Henri Tossou, étudiant en psychologie. Dr Tognidè ne comprend pas le sort peu reluisant réservé à la santé mentale qui représente, selon lui, une part importante de l’homme en tant que corps et esprit.

«Tout manque dans ce centre»

Les professionnels de la psychiatrie ont, par leurs réflexions, essayé de renverser la tendance lourde. Plusieurs fora menés entre eux ont tracé les grandes lignes de ce que peut être une stratégie nationale de prise en charge de la maladie mentale : intégrer les soins de santé mentale dans les soins de santé primaires, renforcer la formation des personnels de l’hôpital psychiatrique, décentraliser les soins de santé mentale avec un centre de référence au plan national ; un service au centre universitaire, hospitalier et universitaire (CNHU) de Cotonou puis des unités de soins de santé mentale au niveau départemental, communal et villageois. Loin de la coupe aux lèvres, ces belles idées n’ont pas pu être mises en œuvre par manque de volonté politique. Première victime de cette incurie, le centre national de psychiatrie Jacquot de Cotonou. C’est le centre public de référence. Mais ici, la prise en charge des malades relève d’un véritable sacerdoce pour le personnel. Pour environ 150 malades internés, le personnel d’encadrement est insuffisant et peu spécialisé. Pour tout le centre, il n’y a qu’un psychiatre et un infirmier psychiatrique. Le second infirmier psychiatrique est prêté au centre et ne travaille qu’à temps partiel. Le seul médecin généraliste du centre est déjà officiellement admis à la retraite ; il peut cependant compter sur une aide soignante et trois infirmiers de santé ou d’Etat dont un est aussi retraité.

Pour la prise en charge psychothérapeutique, le centre Jacquot a un énorme besoin de psychologues. Ceux qui sont ici ne pas payés par l’Etat. Pour la plupart anciens stagiaires dans le centre, ils ont accepté le travail moyennant une rétribution forfaitaire supportée par le centre même. «Avec ce niveau de ressources humaines, la prise en charge des malades s’en ressent forcément», reconnaît Dr Mathieu Tognidè, directeur du centre Jacquot, lui aussi victime directe de l’insuffisance des moyens. Il n’a pas de véhicule de fonction et n’a pas trop l’air de s’en plaindre. Quoi de plus normal quand la seule ambulance du centre est sur cale ! Or, explique Dr Tognidè, «il y a beaucoup d’affections dont souffrent les patients qui ne sont pas prises en charge ici. C’est notamment le cas du VIH».

Par manque de salles d’hospitalisation, «les femmes malades s’entassent comme des sardines». «Tout manque dans ce centre», soupire un membre du personnel sous le couvert de l’anonymat. Dame rumeur fait courir le bruit que le centre est financé à 60% à travers des dons. Le directeur du centre ne confirme ni n’infirme ces chiffres mais reconnaît «l’effort considérable des bonnes volontés» tout comme la modicité des moyens concédés par l’Etat, les moyens qui, selon lui, font à peine le tiers des besoins réels du centre.

La société en cause

Problème supplémentaire de la psychiatrie au Bénin la mise au ban des malades par la société. Dans l’imaginaire collectif, les malades sont considérés comme possédés par des esprits ou atteints par les sorciers. «Cette conception des choses entraîne des réponses inadaptées et la stigmatisation des malades», indique un psychiatre.

Dr Tognidè connaît bien le phénomène, lui dont le centre est quotidiennement obligé de récupérer et de soigner les malades abandonnés au portail de Jacquot par leurs propres familles. La maladie mentale est vécue comme une honte par la société entière.
Commentant le geste de démission des familles et les opérations menées parfois par les services municipaux de Cotonou pour rafler les ‘fous’ qui errent dans les rues, Dr Tognidè a des mots très durs : «notre centre a aujourd’hui la réputation d’être le dépotoir de l’encombrement humain». Une réputation vraiment teigneuse pour ce centre qui à l’origine était un hospice destiné à recueillir les malades contagieux ou incurables abandonnés à leur sort.

Beaucoup de Béninois ont sans doute du mal à se défaire de cette vieille fonction de Jacquot. Aujourd’hui, plus de 50% des internés dans ce centre sont abandonnés par leurs parents et n’ont aucun accompagnateur. «La famille, c’est quelque chose de très important pour l’Africain mais nous sommes en train de constater que la dégradation des rapports familiaux a des répercussions sur la prise en charge des malades mentaux. Les familles rejettent leurs propres enfants. Je suis obligé de faire appel à des accompagnateurs étrangers au malade… pour l’aider à prendre ses médicaments à temps et à discuter avec lui : il a besoin d’affection, d’une écoute permanente», explique le directeur du centre. Ce dernier ne compte plus les malades rétablis ou dont la santé s’est améliorée qui refusent de rentrer à la maison, «de peur d’être confrontés au rejet». Car, l’autre problème, c’est que les gens estiment qu’on ne guérit pas de la maladie mentale. «Ce qui est totalement faux puisque notre centre affiche un taux de guérison de 75%. Nous aurions souhaité faire 100% de résultats si les patients venaient plus tôt. Généralement, on laisse la maladie trop se chroniciser avant de consulter convenablement. Puis les itinéraires thérapeutiques sont trop nombreux avant qu’on vienne chez le psychiatre. Plus de 80% des gens consultent les guérisseurs avant d’aller souvent tardivement à l’hôpital», développe le professeur agrégé de psychiatrie qui rêve de transformer le centre Jacquot en un grand village psychiatrique pouvant offrir une prise en charge globale de la maladie mentale.

Au-delà de l’efficacité du traitement offert au public, Dr Tognidè soulève les problèmes de fond et invite l’Etat à promouvoir des solutions adéquates face au chômage, à l’absence de logements, la pauvreté, la toxicomanie, l’alcoolisme, la mortalité périnatale, au sida… qui ont un impact énorme sur la santé mentale des populations.





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