Arnaud Carayon, descendant du peintre : « Marc Chagall a réalisé un chef d’œuvre mais ce n’est pas pour autant que celui de Lenepveu doit-être invisibilisé. »


Par Rédigé le 18/04/2023 (dernière modification le 22/04/2023)

INTERVIEW - Longtemps reléguées au dernier rang des priorités de l’Opéra national de Paris, les revendications des ayants droits de Lenepveu seront-elles considérées à la hauteur des enjeux par le directeur de l’Opéra, Alexander Neef ? Parmi l’une d’entre-elles, découvrir le plafond originel du Palais Garnier peint par leur ancêtre Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898). Un droit moral légitime au regard d’Arnaud Carayon descendant de l’artiste.


Le peintre montre un profond attachement à sa famille tout au long de sa vie par sa correspondance. Portrait de Jules-Eugène Lenepveu par Louis Lebiez
Pourtant classées monument historique en 1923, Les Muses et les Heures du jour et de la nuit de Jules-Antoine Lenepveu sont recouverts depuis plus d'un demi siècle par le plafond de Marc Chagall et tombe dans l'oubli. Cette initiative du Ministre Malraux jugée outrageante à l'époque, fait toujours débat.

Cette décision a été prise sans le consentement des ayants droits de Lenepveu, est-ce une atteinte au droit moral de votre aïeul ?

Marc Chagall a réalisé un chef d’œuvre mais ce n’est pas pour autant que celui de Lenepveu doit-être invisibilisé. De nos jours, recouvrir une œuvre d’art classée au patrimoine des monuments historiques ne serait plus autorisé. Je suis un des nombreux des ayants droits qui n’accepte plus cet état de fait.

Invisible et oublié du grand public, son plafond est depuis plusieurs semaines, au cœur de l’actualité. Etes-vous surpris de sa fulgurante notoriété?

L’intérêt des médias et les réactions sur les réseaux sociaux suscités autour de notre proposition d’alterner les plafonds Lenepveu et Chagall dépassent nos espérances. Notre famille est très reconnaissante. Nous pensions être ridiculisés par les contemporains. Et que cette perspective audacieuse serait considérée comme un combat d’arrière-garde. Or, nous constatons avec joie que les gens approuvent la légitimité de notre engagement. Personne ne critique l’idée de faire coexister les deux chefs-d’œuvre.

Quand avez-vous décidé de défendre son travail ?

Tout d'abord, l’âge venant, j’aspirais à mieux connaitre et apprécier son inestimable production artistique. Mon édifiante rencontre avec Michel Brossard, fondateur de l'Association des amis des Lenepveu puis l’exposition de ses 260 œuvres au Musée des Beaux-arts d’Angers en 2022 ont motivé notre détermination à révéler sa peinture commandée en 1865 par son ami architecte Charles Garnier.

Dans quels autres lieux publics, peut-on admirer ses œuvres ?

Les Lenepveu font l’objet de malchance (rire) ! Au Louvre, sur l’escalier Daru, les mosaïques menant la victoire de Samothrace accomplies à partir des dessins de Lenepveu ont été recouvertes par du papier peint en 1934. Et sa fresque de Jeanne d’Arc au Panthéon est quant à elle dissimulée en partie par une sculpture. Je ne vois pas mieux que d’offrir un autre écrin prestigieux à Chagall ou d’alterner les plafonds pour mettre enfin en lumière une des œuvres magistrales de notre ancêtre.

Le directeur général adjoint de l'Opéra de Paris est revenu sur sa décision après avoir annulé l'an dernier, une première réunion organisée par le chargé du Patrimoine du Palais Garnier Adrien Perreau , à la demande de votre famille.

Nous avons toujours été transparents sur notre démarche. Nous avions transmis préalablement à la Direction, une note de quatre pages expliquant ce que nous souhaitions à l’appui d’arguments juridiques. A ma surprise et celles des conviés, la première réunion a été annulée alors qu’elle consistait à survoler le sujet. Mais on est tenace dans la famille. Le 9 mai, nous serons reçus par Martin Ajdari directeur général adjoint de l'Opéra en présence de représentants du ministère de la Culture.

Martin Ajdari souhaite vous recevoir « pour vous écouter ». D'après lui « (..) déposer l’œuvre de Chagall n’est pas à l’ordre du jour ». Appréhendez-vous cette rencontre ?

La présentation de sa réaction décrite par la presse n’est pas prometteuse. Heureusement, nous avons plusieurs entrevues prévues au mois de mai. Nous espérons que la somme de ces rencontres permettra d'avancer. On est optimiste.


Les Muses et les Heures du jour et de la nuit de Jules-Eugène Lenepveu © vudailleurs
L’Opéra national de Paris, cumule près de 200 millions d’euros de pertes. Alterner les plafonds comme vous le proposez ne représente-il pas un risque financier pour l'Opéra.

Je ne peux pas croire que l'Etat n’a pas conscience des bénéfices pour l’Opéra que d’exploiter ces deux voûtes. En réinventant la coupole du Palais, le ministre de la Culture André Malraux comptait attirer plus de spectateurs et des millions de touristes. Tout comme lui, ne peut-on pas imaginer la même démarche, mais en alternant Chagall et Lenepveu.

Certains prétendent que démonter le plafond Chagall est une entreprise périlleuse. Et risquerai de suspendre pendant des mois l'activité de l'Opéra Garnier ?

Je ne suis pas un expert technique mais quand on observe dans les vidéos et les photos d’époque la facilité avec laquelle le plafond de Marc Chagall a été installé en 1964, il n’y a priori pas d’obstacles majeurs à démonter, remonter ses douze panneaux. Par ailleurs, il n’est pas inenvisageable de le présenter en exposition itinérante dans plusieurs pays du monde, au Japon, à New-York …

Avez-vous approché les ayants droits de Chagall ?

Nous ne les avons pas encore rencontrés. Ils ne nous ont pas sollicités. Vous savez, on procède par étape, on veut être constructif.

Quel est l’état de conservation de la peinture de Lenepveu, dans l'ombre des panneaux de Marc Chagall depuis soixante ans ?

Charles Garnier visait sa durabilité en commandant à Jules-Antoine Lenepveu de privilégier le mât au clinquant pour être transmise aux générations futures. A ma connaissance, personne n’a pu l'approcher depuis 1964. Il y a quelques années, une équipe de télévision étrangère envisageait d'introduire une caméra entre les plafonds pour évaluer son état. Leur projet a été rejeté. A propos de la peinture de Marc Chagall, il aurait été constaté récemment, de légères fissures mais rien de préoccupant selon l’architecte de l’Opéra Pascal Prunet.

Présenté temporaire en 1964, les vingt-cinq successeurs d'André Malraux au ministère de la Culture, ne se sont jamais prononcés pour dater le démontage du plafond de Chagall. Attendez-vous en 2023, une intervention de la ministre de la Culture Rima Abdul Malak pour restituer aux Français le patrimoine culturel qui leur est dû ? C'est à dire le plafond Lenepveu.

Nous espérons que l’Etat, le Ministère, l’Opéra de Paris reconnaissent qu’il s’agit là d’une opportunité pour tout le monde, la France, le public, les ayants droits de Lenepveu, ceux de Chagall. Ça peut-être une belle aventure.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

CONTACT ET RESSOURCES

Les amis de Lenepveu
lesamisdelenepveu@gmail.com

Podcast des Musées d'Angers
Jules-Eugène Lenepveu à l'épreuve du temps réalisé avec Sens de la visite

Rétrospective de France Inter
"Jules-Eugène Lenepveu" à Angers

Nathalie Khâ




Journaliste - Chroniqueuse Formée à l'ESJ Paris - INA - EMI - Formation Club France… En savoir plus sur cet auteur


Autres articles dans la même rubrique ou dossier: